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« Anamorfosi » par le Poème Harmonique à Caen – Magnificence, sensualité et métamorphoses du Seicento – Compte-rendu

Le disque « Anamorfosi » (1), sorti en 2019, avait été unanimement salué par la critique et augurait d’une brillante tournée. Malheureusement le COVID est passé par là et Le Poème Harmonique et son chef, Vincent Dumestre, ont été contraints, comme toute la profession, à de très nombreuses annulations. Heureux Caennais donc, qui ont pu assister au concert donné le 17 novembre à l’église Notre Dame de la Gloriette, un joyau de la fin du 17siècle, idéal pour ce style de musique ! Tout a concouru à rendre cette soirée mémorable. Le programme tout d’abord (Monteverdi, Cavalli, Rossi, Abbatini, Marazzoli, Allegri et deux anonymes) qui mêle harmonieusement des compositions profanes et sacrées, et pour certaines profanes devenues sacrées. Rien de plus naturel dans l’esprit baroque.

Si l’art du Seicento est par essence séduction, il est aussi métamorphose et contrafactum. Il est autant dans le faste que le dépouillement. Monteverdi est évidemment de ce point de vue un maître incontesté, à l’image de « Pascha concelebranda », emprunté à « Altri canti di Marte » des Madrigaux guerriers et amoureux et de « Sì dolce è l’martire », à l’origine « Si dolce e'l tormento » des Scherzi musicali. La première œuvre, qui annonce la victoire du Christ sur la mort, donne lieu à une brillante et impressionnante acclamation des 9 chanteurs et des 7 musiciens du Poème Harmonique. La deuxième nous plonge dans une intimité doloriste magnifiée par la superbe voix de la soprano Déborah Cachet.
 

© Florian Legrand

Impressionnante Isabelle Druet qui a rejoint le groupe in extremis, en l’absence Anaïs Bertrand. Dans « Un Allato Messagier », à l’origine un lamento profane de Luigi Rossi devenu une déploration sur la mort du Christ, la mezzo a trouvé des accents d’une extrême sincérité, propre à tirer des larmes. Toutes les autres voix de l’ensemble méritent aussi des éloges ; le Poème Harmonique, plus qu’une addition de solistes, étant, dès que la musique l’exige, un ensemble vocal cohérent et équilibré.
La preuve en est donnée avec la dernière œuvre du concert, le fameux Miserere de Gregorio Allegri, presque méconnaissable pour ceux qui l’ont découvert avec le chœur du King’s College de Cambridge et le jeune soprano Roy Goodman. Les longues et patientes recherches de Vincent Dumestre l’ont amené à reprendre la partition figée depuis longtemps et à en donner une version aux diminutions étourdissantes et aux accents quasi arabo-andalous. Ultime émotion d’un concert fascinant, alors que les  musiciens du Poème Harmonique font silence et que Vincent Dumestre, chef discret et attentif, a posé son théorbe. Dans chacun des collatéraux, les chanteurs divisés en deux chœurs nous offrent le mystère d’une œuvre à la beauté sensuelle insoupçonnée. Dans le transept, les sept bougies sont éteintes une à une et lorsque l’ultime accord s’évanouit, l’église est plongée dans le noir total. L’obscurité du silence après la lumière de la musique.
 
Thierry Geffrotin

 Caen, église Notre-Dame de la Gloriette, 17 novembre 2022.
 
Photo ©

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