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Amor Azul de Gilberto Gil en création mondiale à la Maison de la Radio – Krishna à Rio – Compte-rendu

Petit événement dans le cénacle musical parisien, avec la création mondiale de l’opéra de Gilberto Gil, Amor Azul (Amour bleu). Et le succès accompagne l’entreprise. Il faut cependant savoir que l’événement revient d’un peu loin : l’ouvrage a été composé de 2015 à 2018, puis programmé à l’Opéra de Rio de Janeiro à l’automne 2018 pour y renoncer en raison des soubresauts politiques (et de l’élection de J. Bolsonaro). Des propositions sont alors venues de Paris, avec le projet d’une exécution au Châtelet. Cette dernière prévue fin 2020 fut aussi annulée, en raison du contexte sanitaire, pour aboutir enfin dans le cadre de la saison de Radio France.
 

© Christophe Abramowitz

En l’espèce, cette création prend place à l’auditorium de la Maison ronde, en version de concert avec l’Orchestre philharmonique de Radio France au grand complet, secondé du Chœur de Radio France et d’un bouquet de solistes venus spécialement du Brésil. Gilberto Gil (né en 1942), qui s’est taillé une réputation internationale à travers la musique de son pays, en particulier dans ses chansons au rythme de samba ou bossa nova, signe ici son premier opéra. Il en partage toutefois la composition avec Aldo Brizzi (responsable également de l’orchestration). Le livret, écrit par Brizzi, n’a pourtant rien de brésilien, reprenant la traduction en portugais (due à l’écrivain Rugério Duarte) de la légende hindoue Gita Govinda, qui relate les aventures du dieu Krishna et de la belle Radha.
Le sujet est à la fois mystique dans la tradition indienne, mais aussi amoureux entre les deux protagonistes principaux et leurs suivants. La musique de ce que les auteurs ont intitulé « opéra-chanson », fait se succéder des thèmes dans l’esprit de chansons avec leurs reprises, mais d’une manière savante entre des parties solistes et de nombreux ensembles pour les chanteurs (y compris le chœur). Un parlé-chanté, interprété en particulier par Gilberto Gil, fait le lien. L’orchestration est quant à elle rutilante, fournie en percussions (notamment brésiliennes) sur des rythmes obstinés avec quelques pointes de râga indien. Un ensemble d’une bonne durée de trois heures, qui ne manque pas son objectif, dans la séduction comme la métaphore.

© Christophe Abramowitz
 
Les six chanteurs solistes, tous issus de l’Opéra de Bahia, lancent leurs parties avec flamme, y compris dans quelques vocalises pour les sopranos. Citons les deux chanteurs principaux, en raison de l’importance de leur rôle, la basse Josehr Santos (Krishna) et la soprano Luciana Pansa (Radha). Gilberto Gil lui-même se fait le narrateur (et incarnation de Vishnu) au son de sa guitare électrique, pour ses paroles rythmées et cadencées. Toutes ces voix sont transmises avec l’appoint de micros. Le chœur (préparé par Lucie Barluet de Beauchesne) représentant l’âme de la forêt et la voix intérieure), omniprésent au long de l’œuvre comme contrepoint ou en solitaire, intervient en juste phase. Et l’orchestre s’emporte ou se fait diaphane, accompagné d’une guitare populaire brésilienne aux soins de Bem Gil et de trois percussionnistes, brésiliens également. Complètent le tableau, deux danseurs grimés façon indienne traditionnelle, pour des mouvements évanescents (et à l’occasion un accompagnement de veena, sorte de guitare indienne). Le tout est mené par Aldo Brizzi, chef d’orchestre et compositeur italien (né en 1960) établi au Brésil qui fut un disciple du compositeur Giacinto Scelsi, avec fougue et allant. Et l’accueil final du public tourne au triomphe, mérité tant pour l’œuvre que son interprétation.
 
Pierre-René Serna

G. Gil / A. Brizzi : Amor Azul (création mondiale). Paris,  Auditorium de la Maison de la Radio, 2 décembre 2022.
Le concert a fait l’objet d’une captation vidéo. Diffusion sur Culturebox le 10 décembre, sur France 5 le 20 janvier 2023, et sur France Musique le 25 janvier à 20h.

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