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Aladin et la lampe merveilleuse par l’Opéra Studio - Waut Koeken maître ès féerie

La production de Nino Rota ne réduit pas, loin de là, aux nombreuses partitions que l’Italien écrivit pour le cinéma. Mais quand un musicien touche à ce domaine, fût-ce avec génie, les amateurs de musique « savante » tendent à snober le reste de son catalogue… Ceci explique sûrement pour beaucoup le temps qu’il aura fallu attendre pour assister à la création française d’Aladin et la lampe merveilleuse, une « fable lyrique » composée en 1963-1965 et inscrite dans une liste d’une douzaine d’opéras qui s’ouvre avec Il principe porcaro (1926) et se referme sur Napoli milionaria, terminé en 1977 deux ans avant le décès de Nino Rota.

En trois actes et onze tableaux, pour un orchestre important et d’une durée de plus de deux heures, la version originale d’Aladino n’était pas adaptée à une structure telle que celle de l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin, ni aux impératifs d’un spectacle pour enfants. Le choix s’est donc porté sur la version raccourcie (à peine plus d’une heure) et habilement réduite pour petit ensemble instrumental par Rainer Schottstaedt en 2003. Quant au livret, Benoît Deleersnyder s’est chargé d’en réaliser une savoureuse adaptation-modernisation en français – on y « yoyote de la touffe » sans complexe !

Parmi les deux temps forts de la saison des jeunes chanteurs de l’Opéra Studio de Colmar, avant le Matrimonio segreto de Cimarosa qu’ils donneront en avril-mai, Aladin et la lampe merveilleuse a comblé toutes les attentes, et très au-delà, grâce à la baguette magique du jeune metteur en scène belge Waut Koeken. En lui confiant la première française de l’ouvrage de Rota à Colmar, Marc Clémeur aura permis au public français de découvrir un artiste très prometteur, déjà remarqué dans son pays natal, au Luxembourg, en Allemagne ou en Espagne.

Le rideau est ouvert, en creux et bosses la scène ondule pareille à un tapis volant paré pour le décollage… Dès les premiers instants du spectacle, un monde de rêve, de fantaisie, de drôlerie, de tendresse s’offre au spectateur. Opéra pour enfants ? Têtes blondes et adultes fondent en tout cas de bonheur en découvrant le petit miracle de poésie que produit la baguette magique de Waut Koeken. Machiniste, accessoiriste, sonorisateur, directeur de production, décorateur, dramaturge : l’artiste a fait bien des métiers avant d’exercer celui de metteur en scène et ce point n’est sûrement pas étranger à la maîtrise avec laquelle son imaginaire se déploie dans le beau décor de Marcoen Dolhain. Peu d’accessoires – mais toujours maniés avec à-propos -, une inventivité de chaque instant, une étonnante finesse des réglages (au passage, chapeau bas à Glen D’haenens pour la virtuosité de ses lumières !) : on sort de ce bref Aladin avec la mémoire aussi pleine d’images que si la soirée avait duré des heures !

Il faut dire que les jeunes chanteurs de l’Opéra Studio se sont totalement pris au jeu du maître ès féerie qu’est Waut Koeken. Bondissante avec Enrico Casari, tendre avec Anneke Luyten, la fraîcheur de ton d’Aladin et de la Princesse font mouche(1). On ne fera pas moins d’éloges au Magicien, cauteleux à souhait, d’Andrey Zemskov (au point qu’on lui pardonnerait presque sa prononciation française défaillante), ni à Eve-Maud Hubeaux (Mère d’Aladin), Fabien Gaschy (le Sultan) ou Young-Min Suk (le Grand Vizir). Mais on décernera toutefois une mention toute particulière à Olivier Déjean et Jean-Gabriel de Saint-Martin, idéalement appariés en Génie de la lampe et Génie de l’anneau : un impayable tandem ! Issues de la classe de Silvana Torto au Conservatoire de Strasbourg, Aude Freyburger, Eléonore Marmeuse et Young Ryung Lee tiennent pour leur part avec naturel les rôles des trois servantes.

Dans la fosse, la baguette de Vincent Monteil, le patron de l’Opéra Studio, se révèle parfaitement en phase avec la conception très fluide de Waut Koeken. Elle distille avec autant de vivacité que de poésie la partition de Nino Rota et les seize instrumentistes issus du Conservatoire de Strasbourg se montrent à la hauteur de la tâche.

De nouvelles représentations d’Aladin sont programmées à Mulhouse en février et Illkirch en mars. Puissent d’autres scènes de l’Hexagone accueillir une production aussi remarquablement aboutie ! Quant à L’Enlèvement au sérail que Waut Koeken mettra en scène la saison prochaine à l’Opéra du Rhin, inutile de préciser qu’on l’attend avec une certaine impatience…

Alain Cochard

(1) Des rôles pour lesquels ces chanteurs alternent tout au long des représentations avec Xin Wang et Anaïs Mahikian, deux autres membres de l’Opéra Studio.

Nino Rota : Aladin et la lampe merveilleuse (version abrégée), Colmar, Théâtre municipal, le 17 décembre 2009 (création française), prochaines représentations le 23 février (Mulhouse) et le 10 mars (Illkirch, 14h30 et 20h 30) 2010.

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Photo : Alain Kaiser
 

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