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Ain - Compte-rendu : Ambronay, chantier féministe


Ségrégation ? Sexisme ? Mise à l’index ? Disons que la femme s’est longtemps trouvée marginalisée dans un univers musical conçu et animé essentiellement par des hommes. Conscient de réparer là une criante injustice, le Festival d’Ambronay vient de s’investir dans une véritable réhabilitation du rôle joué par les femmes dans le concert d’époque (rappelons que le beau sexe était privé de chant à l’église).

A l’enseigne de ces talents qui ont participé activement à la grande aventure de l’art des sons, de la Renaissance à nos jours, l’édition 2008 déclinait donc avec bonheur ce thème du génie féminin « interdit » de musique et présentait cantatrices et instrumentistes dans tous leurs états, à la fois auteurs, interprètes, voire chefs d’orchestre. Avec un constat qui ne surprendra pas les connaisseurs : la suprématie de l’Italie, terre pourtant réputée sexiste, mais déjà mère de toute modernité avec le madrigal « peinture du mot », juste avant la naissance du Baroque et les premiers essais en style représentatif.

Un premier âge d’or belcantiste s’y épanouit, où mélodisme et vocalité exacerbée ne font qu’un, telle la cour de Ferrare, au temps du duc Alphonse II, humaniste raffiné et esthète fier des prouesses de son fameux concert secret à 3 voix, justement appelé le Concert des Dames de Ferrare : une merveille de sensibilité et de savoir-faire que toutes les cours nord-italiennes envient alors au prince mélomane.

C’est l’ensemble Doulce Mémoire, orfèvre en matière de style et de figurations volubiles, qui jouait à Ambronay les exhumateurs, stimulé par les timbres précieux de Véronique Bourin, Julie Hassler et Dagmar Šašková. Nonobstant l’espace un peu trop étroit du Chapiteau, structure doublant en période de festival l’église abbatiale, un décor évocateur se mettait en place, d’autant plus crédible qu’un sobre instrumentarium laissait l’imaginaire du spectateur libre de choisir entre la rhétorique foisonnante du primo Seicento et la contemplation fascinée de la « belle manière », cet idéal de la forme poursuivi par toute la Renaissance italienne et incarné ici par les madrigaux de Luzzasco Luzzaschi, maître de chapelle d’Alphonse II, et de son continuateur Agostini.

Reste que le meilleur était à venir le lendemain, avec ces Stelle Belle les bien- nommées, étoiles rayonnant du plus vif éclat dans le ciel foisonnant du stile nuovo. Tout un cortège de figures emblématiques y retrouvait vie et jeunesse par la grâce du Concerto Soave, référence désormais incontournable dans le réveil d’un paysage baroque tout ensemble tendu, virtuose, intimiste.

Avant tout, les initiatives de Jean-Marc Aymes (photo), qui dirige ses camarades du clavecin ou de l’orgue, sont à louer, guidées par le souci d’un son toujours plus signifiant et une intuition concertata imparable. Et le soprano de Maria-Cristina Kiehr, portée par une ligne vocale incroyablement libre, s’y enchâsse comme en un écrin, modèle de cantar espressivo dans l’enceinte du sanctuaire (céleste Maria, dolce Maria, de la Florentine Francesca Caccini, talent tout à fait digne de son père, l’ombrageux Giulio) comme dans les pleurs de l’amour profane (l’aria Lasciatemi qui solo de la même Francesca ou le vrillant Lagrime mie de la Vénitienne Barbara Strozzi, joyau rhétorique dans le droit-fil du Lamento monteverdien). En tout cas, un grand moment s’est joué là, confirmant le statut hors normes de l’Argentine comme diva baroque et la singulière maîtrise technique du Concerto Soave.

Roger Tellart

Festival d’Ambronay, les 4 & 5 octobre 2008

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Photo : DR

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