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Aida au Chorégies d’Orange - En plein dans le Nil ! – Compte-rendu

Aux Chorégies d'Orange comme ailleurs, les changements de distribution sont fréquents et tout l'art des programmateurs est de remplacer la vedette défaillante par une autre, si possible équivalente. Cette année, la défection de Sondra Radvanovsky, Aida très attendue, a semble-t-il conduit la direction du festival dans une panique générale, puisqu'elle n'est parvenue à substituer à la diva canadienne qu’une totale inconnue, incapable de relever le défi annoncé.

Elena O'Connor (Aida) © Philippe Gromelle

Tétanisée, la pauvre Elena O'Connor fait peine à voir avec ses allures de chatte angora passée au kärcher, ses petits pas pressés et son éternelle attitude implorante. Inaudible la plupart du temps, son Aida ne peut offrir qu'une voix sans timbre aux intonations basses ou fausses sur toute la tessiture, ainsi qu'un chant sans soutien, au souffle court et à l'aigu étroit. Si la jeune femme avait pu compenser ses carences techniques par une vraie présence dramatique, ou par une interprétation ambitieuse, peut-être les lui aurions-nous pardonnées, mais toutes les Musetta promues du jour au lendemain Princesse d'Ethiopie ne s'appellent pas Ljuba Welitsch ! Marcelo Álvarez déjà poussé dans ses derniers retranchements à la Bastille en 2013, ne peut désormais plus faire illusion en Radamès, qu'il s'efforce en vain de dompter. Le poids inéluctable des années est désormais là et son instrument rebelle qu'il secoue par d'incessants coups de tête, ne peut lutter contre l'écriture accidentée de ce Verdi tardif. Contournant les difficultés, aigu en berne, sa ligne hachée et ses respirations inopportunes pèsent sur une interprétation privée tout ensemble d'héroïsme et de charisme.
Anita Rachvelishvili (Amneris) © Philippe Gromelle
 
A côté d'un Roi catastrophique (José Antonio Garcia), Nicolas Courjal est heureusement un Ramfis au verbe affirmé et à la projection puissante, le plateau étant véritablement illuminé par la présence d'Anita Rachvelishvili et de Quinn Kelsey. Dans ce désert, la mezzo géorgienne chante avec facilité, sobriété et intelligence un rôle où tant d'autres avant elles n'ont su livrer que vulgarité et décibels. Nuançant ses interventions (« Ah vieni, vieni amor mio »), avant d'invectiver les juges lors d’un « Sacerdoti » où son chant clair et ses aigus assurés triomphent, elle montre une formidable évolution par rapport à sa dernière Amneris parisienne (production d'Olivier Py, Bastille, juin 2016), où quelques « boulons » n'avaient pas encore été resserrés. Massif et inquiétant Quinn Kelsey, magnifique Rigoletto à Paris en 2016, ne fait qu'une bouchée d'Amonasro qu'il phrase avec une délicate assurance de son timbre félin, occupant la scène avec calme sans pour autant écraser sa frêle et inconsistante partenaire au cours du duo « Ciel mio padre ».
 
Cette seconde représentation souffre de la désolante direction de Paolo Arrivabeni à la tête d'un National de France en déroute, rarement en place – surtout dans les passages où la musique vient des coulisses – aux sonorités hétérogènes, au rythme scabreux et à la narration engluée dans les eaux limoneuses du Nil. Incapable de relier les scènes entre elles, d'instaurer tension et intensité, le chef italien ne se rattrape à aucun moment, ni dans l'intimité, ni dans le péplum (pourtant relayé par les excellents chœurs d'Angers-Nantes, du Grand Opéra Avignon, de l'Opéra de Monte-Carlo et de Toulon), laissant l'ennui s'installer.
© Philippe Gromelle
 
Une mise en scène moins décorative et faussement conceptuelle que cette vague évocation à l'Histoire (la découverte des trésors égyptiens au XIXème siècle) confrontée à des scènes muséales où les personnages d'Aida s'animent pour devenir tableaux vivants, aurait sans doute balayé nos réserves. Or, ni la direction d'acteur limitée à l'extrême de Paul-Emile Fourny, ni les décors factices (Benoit Dugardyn), ni les ballets copieusement hués (ah... les soldats de plomb couchés sur le dos agitant bras et bottes, il fallait y penser !) ne nous ont convaincus.
 
L’affiche des Chorégies 2018 est dès à présent connue : Mefistofele de Boito (les 5 et 9 juillet) et le Barbier de Séville de Rossini (les 31 juillet et 4 août), mais aussi le ballet La Flûte enchantée par le Béjart Ballet Lausanne (16 juillet), ou encore quatre récitals cour Saint-Louis (Karine Deshayes, Edgardo Rocha, Eva-Maria Westbroek et George Petean).
 
François Lesueur
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Verdi : Aida – Orange, Théâtre antique, 5 août 2017 (Retransmission en différé sur France 5, le 9 août à 20h45)

Photo © Philippe Gromelle

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