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Agrippina de Haendel à l’Opéra de Dijon - La révélation Tim Mead - Compte-rendu


C'est le deuxième et dernier opéra que Haendel créa en Italie en 1710. Écrit par un homme d'Église avisé, le cardinal-diplomate Grimani, le livret d'Agrippina regorge d'imbroglios politico-érotiques pour offrir sur un plateau, glissant, une des plus belles galeries de personnages qu'ait connu Haendel. De la pulpeuse Poppée au sentimental Ottone en passant par une Agrippine manipulatrice dans le rôle-titre, l'opéra mêle habilement, parfois au cœur d'un même personnage, des thèmes aussi variés que l'amour maternel et la manipulation (Agrippine), l'ivresse du désir et l'appétit de pouvoir (Néron), l'ambition féminine et la satire politique (Poppée et Claudio). Le résultat est une œuvre juvénile, foisonnante, avec les récitatifs les plus longs et les plus expressifs jamais composés par Haendel, et des airs plus nombreux et plus courts que dans aucun autre de ses opéras, parfois sans da capo, faisant de cette Agrippina un ouvrage à part dans sa riche production. Apogée de sa période italienne, Haendel y pose surtout les jalons de ses grandes œuvres futures.


Face à tant d'ambivalences et de profusion stylistique, Jean-Yves Ruf, le jeune metteur en scène de cette nouvelle co-production entre les Opéras de Dijon et de Lille, peut-être piégé par une certaine faiblesse de moyens, n'a manifestement pas su trouver une forme adéquate. Aucun imaginaire ne parvient à se dégager d'un théâtre dans le théâtre bien paresseux, entre faux salon XVIIIe et chaînes pendant du plafond qu'on désespèrera pendant plus de trois heures et demie de ne pas voir plus s'agiter. Peu ou pas de décors, à part un mince effort au deuxième acte, une « bête » humaine qui jappe de temps en temps dans les jupes d'Agrippina (et parfois au beau milieu des airs !) sans doute pour matérialiser avec une naïveté confondante l'animalité du pouvoir...
De tourments, de fantasmes, de situations historiques, bref, de tout ce qui meut les personnages, il ne sera jamais question malgré une direction d'acteurs et des lumières soignées. La scénographie est tellement conventionnelle et dépourvue d'imaginaire que du coup les incursions humoristiques sont trop rares pour ne pas tomber à plat (Poppée cherchant des poux sur le crâne de Claudio), et la seule tentative érotique au dernier acte consiste à jucher inutilement à quatre pattes cette pauvre Poppée en petite culotte et soutien-gorge sur son grand lit. Le déshabillé lui allait si bien...


Pour la sensualité et l'imagination, il vaut mieux tendre l'oreille du côté de la musique. Avec un son ample et chaleureux, des graves et un continuo magnifiques, le Concert d'Astrée d'Emmanuelle Haïm a su retrouver des couleurs après un Giulio Cesare raté la saison dernière à l'Opéra de Paris. Si elle est encore loin d'avoir le sens du contraste et la théâtralité de René Jacobs (il suffit d'écouter la très belle version qu'il vient de graver chez Harmonia Mundi pour s'en convaincre), l’artiste livre une prestation enjouée et chaleureuse, portée par une distribution des plus homogènes.


Alastair Miles retrouve le rôle ouvertement parodique de Claudio avec une verve égale à celle de l'enregistrement auquel il avait participé il y a quinze ans sous la baguette de Gardiner. La voix a bien perdu un peu de graves en route pour le redoutable air guerrier de la chute de Rome (« Cade il mondo »), mais le phrasé, la projection et l'auto-dérision font merveille. Tout comme le Néron de Renata Pokupic, Chérubin avant l'heure à qui Haendel confie ses plus belles cavatines érotiques avant de le propulser vers le pouvoir au dernier acte au son d'un « Come nube che fugge » fulminant. La mezzo croate, impressionnante de bout en bout, n'en fait qu'une bouchée. Seul point faible, la Poppée de Sonya Yoncheva est malheureusement plus inégale, ses aigus intermittents ne résistant pas à la gymnastique de « Se Giunge un dispetto » à la fin du premier acte. Moins démonstrative mais avec un chant beaucoup plus maîtrisé, Alexandra Coku s'en sort mieux en Agrippina, offrant un art consommé du Da Capo en plus d'une présence scénique qui joue à merveille de la duplicité de son personnage.


Mais la révélation de cette distribution, c'est assurément le contre-ténor Tim Mead(photo). Dans le plus pur style anglais, avec un timbre proche de celui d'Alfred Deller, il profite du port altier du seul personnage un tant soit peu noble de cette parodie héroïque pour afficher une maîtrise vocale et une sensualité continues. Allongé au milieu d'un des rares décors prévus par le metteur en scène, sa plainte pastorale en duo avec le hautbois solo au milieu du deuxième acte touche au sublime, affichant des graves insolents en début d'air, utilisant le vibrato juste ce qu'il faut, dessinant des volutes mélodiques qui sculptent à merveille le chagrin de son personnage. Une révélation à suivre au printemps prochain, toujours à Dijon et sous la baguette d'Emmanuelle Haïm, cette fois-ci pour l'Ottone du Couronnement de Poppée de Monteverdi.




Luc Hernandez




Haendel : Agrippina – Opéra de Dijon, le 8 octobre, représentations jusqu'au 13 octobre.

www.opera-dijon.fr

Reprise du spectacle à l'Opéra de Lille, les 5, 7 et 9 novembre 2011

www.opera-lille.fr



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Photo : Basja Chanowski

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