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Adriana Lecouvreur de Cilea à l’Opéra de Saint-Etienne – Béatrice, Sarah, Adriana et les autres ... – Compte-rendu

Tandis que Monte-Carlo réunissait en novembre dernier Barbara Frittoli et Roberto Alagna, couple vedette de cette Adriana Lecouvreur signée Davide Livermore, Saint-Etienne a préféré miser sur Béatrice Uria-Monzon et Sébastien Guèze, qui font leurs premiers pas dans l'opéra de Francesco Cilea(1866-1950).
D'une grande qualité visuelle, le spectacle transpose le drame dans le Paris de la première guerre mondiale, l'héroïne ayant les traits de la mythique Sarah Bernhardt, légendaire comédienne de théâtre et interprète pour le cinématographe balbutiant d'une Adrienne Lecouvreur réalisée en 1913 par Louis Mercanton et Henri Desfontaines – aujourd’hui disparue. Sur une tournette, les imposants décors du collectifs Gio Forma permettent de jouer avec les espaces, intérieur/extérieur, plateau/coulisses, selon le fameux procédé du théâtre dans le théâtre, de multiplier les angles de vue et de rendre plus ténues encore les frontières entre intrigues de cour et de cœur, que relate ce sujet historique.

Clairs-obscurs très travaillés (Nicolas Bovey), remarquables costumes (où l'on retrouve les célèbres plissés Fortuny), références aux Ballets russes, à Diaghilev et à Nijinski, tout prend forme, s'imbrique, s'éclaire avec esprit, à l'aune de la grande Sarah, icône du théâtre, amoureuse invétérée, adulée et jalousée qui, comme Violetta Valery, meurt démunie au milieu de quelques objets qui rappellent sa gloire passée, aux pieds de son dernier amant, tandis que quelques images filmées en noir et blanc, muettes et tremblantes, accompagnent son agonie.

© Cyrille Cauvet - Opéra de Saint-Etienne
 
Pour Béatrice Uria-Monzon, cette prise de rôle inattendue est un succès : extrêmement préparée, la cantatrice réalise un sans faute, sa voix timbrée, stable et nuancée lui permettant d'habiter pleinement ce personnage un rien grandiloquent. Mesurée, attentive à la gestion des émotions et des intentions à donner, la musicienne franchit chaque obstacle (les deux airs, le monologue de Phèdre et les duos avec Maurizio), la comédienne divinement habillée et parée magnifiant son personnage par des gestes étudiés : sa manière de trébucher au final, gênée par ses béquilles et par cette douloureuse prothèse (la « Divine » avait été amputée de la jambe droite quelques années avant sa mort) traduit un vrai sens du plateau.
 

© Cyrille Cauvet -  Opéra de Saint-Etienne
 
En amoureux transi, efficace et obstiné, Marc Scoffoni est un excellent Michonnet au timbre charnu et à la ligne scrupuleuse, très bien entourée par Virgile Ancely, Prince de Bouillon au chant soigné et par Carl Ghazarossian intriguant Abbé de Chazeuil. Cécile Lo Bianco (Jouvenot), Valentine Lemercier (Dangeville) et Mark van Arsdale (Poisson) sont de parfaits comprimari au chant discipliné, à la différence de celui de Sophie Pondjiclis, agressif, désuni et fâché avec la justesse, qui pénalise sévèrement le personnage de la Princesse de Bouillon. En nets progrès par rapport à certaines prestations passées où l'aigu était souvent compromis et sous tension, Sébastien Guèze semble avoir résolu certains problèmes techniques et compose malgré, les difficultés du rôle, un Maurizio juvénile et plein d'audace, très crédible face à sa consœur Béatrice Uria-Monzon.

La partition de Cilea aurait mérité une phalange plus aguerrie que celle de l'Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire, mais le maestro Carminati tient fermement ses troupes et à défaut d'une véritable lecture de l'œuvre, évite tout dérapage.
Marseille devrait accueillir cette production en 2019-2020 ; une reprise à ne pas manquer.
 
François Lesueur

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Cilea : Adriana Lecouvreur – Saint-Etienne, Opéra, 28 janvier 2018
 
Photo © Cyrille Cauvet, Opéra de Saint-Etienne

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