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65e Festival Pablo Casals de Prades – Les beaux soirs de Saint-Michel – Compte-rendu

Saint-Guihem-le-Désert, Vernet-les-Bains, Céret, Marcevol, Cattlar, Corneilla-de-Conflent, Villefranche-de-Conflent, Serrabone, Molitg, Vernet-les-Bains, Vinça, etc. : comme l’atteste la localisation de nombreux concerts, le Festival Pablo Casals a beaucoup accru son rayonnement géographique depuis quelques années. L’abbaye Saint-Michel de Cuxa demeure toutefois le centre de gravité de la manifestation, vers lequel le public converge pour la grande majorité des rendez-vous du soir. Un public auquel se joignent des étudiants de l’Académie du festival. Avec 127 stagiaires (27 nationalités au total) et 28 professeurs cette année, le succès de la ruche pédagogique pradoise se vérifie une fois de plus – et donne un sacré coup de jeune à la cité pyrénéenne trois semaines durant !

Le Shanghai Quartet © Festival Pablo Casals

Infatigable directeur artistique, Michel Lethiec aime à concocter des programmes thématiques : choix évident à quelques encablures de la frontière, l’Espagne aura inspiré un concert haut en couleur. Le Quintette avec piano en sol mineur de Granados l’ouvre ; une partition, datée de 1895 – exactement contemporaine des Valses poéticos donc –, trop rare dans les programmes, défendue ici par le Shanghai Quartet et Yves Henry. La maturation conduisant aux géniales Goyescas n’est certes pas encore accomplie, mais que de merveilleuses prémices dans une musique dont les interprètes soignent le lyrisme et les timbres avec une fervente simplicité (irrésitible Allegretto quasi andantino !).
L’art de la couleur du Shanghai Quartet ne s’illustre par moins ensuite dans la fameuse Oración del torero de Turina, menée avec parfait art des transitions pour culminer dans les deux dernières sections (Andante-Lento), d’un prégnant recueillement.

Changement de climat avec les Variations sur Carmen, coruscante réalisation de Sarasate que l’on découvre – solution plutôt rare –avec accompagnement de quintette à cordes (le Shanghai Quartet et la contrebasse de Jurek Dybal). Du haut de sa fine silhouette, la Coréenne Ju-Young Baek mène l’affaire avec un mélange d’autorité, de flamme, de chic et de grâce ... et recueille la plus méritée des ovations !

Florian Uhlig © Marco Borggreve

Ne retenir qu’une œuvre de la soirée ? Notre choix se porterait sans hésiter sur le Concerto pour clavecin de Manuel de Falla. Les instruments d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir – et nul ne s’en plaint ! – avec le mastodonte Pleyel joué jadis par Wanda Landowska (la commanditaire, dédicataire et créatrice de l’œuvre) mais posent un réel problème d’équilibre en concert au sein de l’effectif prévu par Falla. Excellente idée que d’opter pour l’interprétation au piano (d’ailleurs permise par l’auteur), d’autant que Florian Uhlig, par un jeu vif et mordant, adhère totalement à l’esprit de cette musique quintessenciée au fil d’un dialogue idéal de relief et de dynamisme avec des partenaires de haut vol (Patrick Gallois, Jean-Louis Capezzali et Isaac Rodriguez côté vents, Philippe Graffin et David Cohen pour les archets). Le résultat s’avère magnifique d’ardeur et de concentration.

Passage de relai entre le Shanghai Quartet et le Artis Quartet pour la seconde partie. Grande habituée de Prades elle aussi, la formation viennoise se régale d’abord de trois pièces d’Albéniz (Sevilla, Córdoba et Asturias) transcrites pour quatuor : ce qui est perdu avec la disparition du clavier est compensé par une subtile et poétique distillation des couleurs. Yves Henry et Jurek Dybal rejoignent in fine les Artis dans la Pantomine et la Danse rituelle de L’Amour sorcier. On doit à Falla la version en sextuor de ces deux pièces, servies avec autant de souplesse et de poésie dans la première que de contagieuse ferveur dans l’illustre Danza.

Cap sur l’est lors du concert du lendemain avec d’abord la rare Sonatine pour violon et piano op. 100 de Dvorak. Une musique fraîche et parfumée que Hagai Shaham, tout de chaleureuse et humaine expressivité, explore, porté par le clavier vivant et léger de F. Uhlig. Un pur délice !
Le ciel se couvre avec l’ultime Quatuor à cordes n° 7 en fa mineur de Mendelssohn. Une œuvre sombre, dramatique certes, mais que les archets du Shanghai Quartet veillent à ne pas surcharger de pathos. C’est d’abord l’urgence, la détresse qui se dégagent d’une interprétation prenante, intense, émaciée, avec en son cœur un Adagio aussi vécu que pudique.

(de g. à dr. ) Philippe Graffin, Gild Karni, Jurek Dybal, Isaac Rodriguez & Jean-Louis Capezzali © Festival Pablo Casals

Les programmes de Prades font souvent place à de grands « tubes » de la musique classique et romantique – l’Opus 80 de Mendelssohn en offre un exemple – mais ne négligent pas pour autant des ouvrages moins populaires. Ainsi n’entend-on pas souvent le Quintette en sol mineur (pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse) op. 39 « Le Trapèze » de Prokofiev. Musique de ballet à l’origine (1924 ; pour les Ballets de Boris Romanov), elle se transforma rapidement (1927) en une œuvre chambriste. J.-L. Capezzali, I. Rodriguez, P. Graffin, G. Karni, J. Dybal : la fine équipe réunie pour l’Opus 39 sait en aviver les rythmes vigoureux et les harmonies acidulées, sans oublier de cultiver toute la lancinante étrangeté de l’Adagio pesante.

Fin de soirée en octuor à cordes  – et quel ! : J.-H. Baek, H. Shaham, Peter Schuhmayer, Johannes Meissl, Herbert Kefer, Bruno Pasquier, Othmar Müller et D. Cohen – avec le Prélude et Scherzo op. 11 de Chostakovitch. Du jeune Chosta, certes, mais déjà inimitable, pour une conclusion d’une grinçante et haletante urgence !
 
Alain Cochard

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Prades, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, les 2 et 3 août 2017 / Festival jusqu’au 13 août : http://prades-festival-casals.com
 
Photo Florian Uhlig © Marco Borggreve

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