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5ème Festival Passions Baroques de Montauban – Ampleur inédite et nouvel élan – Compte-rendu

Créé en 2011, le Festival Passions Baroques de Montauban connaît cette année une évolution majeure : une recréation. Il devient annuel à compter de cette 5ème édition et bénéficie d'une programmation élargie (quelque cinquante artistes invités, une vingtaine de rendez-vous entre le 5 et le 13 octobre – concerts, conférences, lectures, masterclasses, cinéma, moments d’échanges et de convivialité entre artistes et public) déployée en différents lieux de Montauban et du proche Lot-et-Garonne.
Une telle manifestation demeure indissociable du travail accompli depuis plus de trente ans par Jean-Marc Andrieu (photo) et Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban, créé en 1986, le chef et fondateur, pionnier des ensembles indépendants en région, étant aussi directeur du Conservatoire à Rayonnement Départemental de Montauban depuis 1991. L'ancrage local sans cesse réaffirmé, qui vaut à l'Orchestre et au Festival le soutien de la Ville de Montauban et auquel répond une notoriété tant régionale et nationale qu'internationale, se double d'une politique artistique et pédagogique en synergie avec d'autres acteurs culturels de Montauban, notamment, pour le Festival, l'association Confluences (1), dont le siège, la Petite Comédie, à côté du Théâtre Olympe de Gouges, aura été l'un des lieux de prédilection de l'édition 2019.
 

Stéphanie Paulet © Eric Lemarié
 
C'est au Théâtre Olympe de Gouges, épicentre du Festival, que s'est ouvert le week-end de clôture, la formation hôte de Jean-Marc Andrieu, Les Passions, proposant sous sa direction un programme insolite et captivant : Concertos pour rêves brisés, allusion à ceux du deuxième duc d'Aiguillon, Emmanuel-Armand (1720-1788), disgracié et contraint de s'exiler sur ses terres gasconnes à l'avènement de Louis XVI, grand mélomane et continuateur de l'œuvre de son père Louis-Armand (1683-1750, exact contemporain de Rameau-Bach). À l'immense fonds musical constitué par les ducs d'Aiguillon, conservé aux Archives Départementales de Lot-et-Garonne à Agen (2), étaient ici même empruntées deux œuvres d'une belle rareté. Tout d'abord un Concerto a cinque con violino principale en ut majeur de Giuseppe Tartini, seul opus de ce maître baroque figurant dans le fonds des ducs et sans doute inédit en concert. Le violino principale était celui de Stéphanie Paulet, violon solo de l'Insula Orchestra de Laurence Équilbey : un chant instrumental souplement italien, authentique ligne vocale ornementée avec grâce et sobriété, que ce chant soit vif ou élégiaque, brillamment expressif mais jamais démonstratif, souvent d'une vive complexité d'intonation. Un Vivaldi atypique : Sinfonia pour cordes Al Santo Sepolcro en si mineur, puissamment doloriste, contemplative et dissonante, tenait lieu de transition vers l'autre œuvre issue du fonds agenais, elle-même sous influence italienne et de même configuration que celle de Tartini : Concerto à 5 instruments avec violon principal en mi bémol majeur d'André-Joseph Exaudet (v.1710-1762), un rouennais ayant fait carrière à Paris, œuvre tripartite d'une grande séduction et dont l'originalité offrit maintes surprises assorties du sentiment si gratifiant de véritablement découvrir une œuvre et un auteur, Stéphanie Paulet, conformément à la tradition, improvisant une ornementation toute éloquence et mesure, expertement intégrée à la ligne instrumentale.
 
La seconde partie s'ouvrit sur une œuvre du Florentin Giuseppe Valentini (v.1680-1759) : Concerto grosso pour quatre violons en la mineur op. 7 n°11, avec comme solistes les quatre violons des Passions : Roldán Bernadé, Nirina Bettoto, François Costa et Cécile Moreau, chacun brillant de mille feux – à tour de rôle, en dialogue par « chœurs » (deux par deux) ou tous les quatre ensemble. De cette œuvre de grande ampleur (huit mouvements contrastés et enchaînés), on admira tout particulièrement le premier et monumental Allegro à six entrées, propulsant l'alto de Solenne Burgelin et le violoncelle de Pauline Lacambra au rang de solistes, également l'éruptif Allegro assai final, en parfaite correspondance avec le nom même des Passions ! S'il en est un qui devait tout comprendre de l'enseignement des Italiens, le transcendant de son génie propre, notamment polyphonique, c'est bien sûr JS Bach : le Concerto pour violon en la mineur BWV 1041, dont on ne saurait se lasser, refermait la soirée. Stéphanie Paulet y resplendit d'aisance dans les mouvements extérieurs comme de chant pur, cantabile n'étant pas un vain mot, dans le sublime Andante, aussitôt bissé pour un même bonheur. Rappelons que Stéphanie Paulet, tel un lien avec Les Passions, a gravé les Sonates de Mozart avec Yasuko Bouvard au pianoforte, aussi discrètement efficace au clavecin du continuo de ces concertos montalbanais, confortés par l'assise de la contrebasse d'Eugenio Romano, que soliste de première grandeur (3).
 

Léonor de Récondo & Yvan Garcia © Emilie Fontes

La matinée du samedi 12 octobre offrait à la Petite Comédie deux de ces rendez-vous qui font aussi le sel du Festival. Tout d'abord une « Conversation avec Léonor de Récondo », en partenariat avec la librairie La Femme Renard, d'où la musique n'était pas absente puisque l'écrivaine est aussi violoniste de renom, formée à Boston et auprès des Quatuors Amadeus et Alban Berg, tour à tour premier violon, entre autres, du Poème Harmonique ou des Folies Françoises – un concert avait précédé cette rencontre, le jeudi soir à l'Auditorium du Conservatoire : Manifesto Remix, avec Léonor de Récondo (3), tant lecture que violon, et Yvan Garcia au clavecin – Couperin, Corelli, Leclair. Cette rencontre littéraire fut immédiatement suivie d'un délicieux Impromptu, moment musical offrant au public ne pouvant se rendre en l'abbaye de Beaulieu-en-Rouergue le lendemain après-midi (au même moment que le spectacle de musique coréenne à Montauban) un aperçu du programme Confidences musicales de la soprano Tosca Rousseau et du théorbiste Nicolas Wattine. Soit ici quatre pièces très évocatrices d'un voyage rêvé dans l'Europe du XVIIe siècle : Si dolce è 'l tormento de Monteverdi, canzona de 1624 dont l'envoûtante mélodie tourne ensuite en boucle dans la mémoire ; air de Médée – celle de Marc-Antoine Charpentier – Quel prix de mon amour (Acte III, sc. 3), suivi d'une adaptation au théorbe des Barricades mystérieuses de Couperin ; ineffable Music for a while de Purcell, le tout dans une acoustique nullement porteuse comme à Beaulieu, certes, mais que le talent et le charme des protagonistes firent complètement oublier.
 

 Harvestehuder Kammerchor Hamburg © Léa Fichant

Ce même samedi, en fin d’après-midi, Au cœur de l'Allemagne baroque fit retentir au temple des Carmes un chœur de chambre « amateur », le Harvestehuder Kammerchor Hamburg (4), sous la direction de l'un des deux chefs de la formation, Edzard Burchards, dans un programme Bach, Sweelinck et Schütz également proposé la veille en la cathédrale d'Auch (Festival Éclats de Voix) et le lendemain à Toulouse les Orgues (temple du Salin) – les pièces étaient présentées de manière conviviale par une choriste… toulousaine, installée de longue date à Hambourg. Double et magistrale leçon, de chant et de vivre ensemble, rappelant à un public médusé à quel point la tradition du chant d'assemblée reste vivace en Allemagne, ce chœur, confondant de grandeur et de musicalité, n'étant sans doute « amateur », au sens propre, que par son goût et la pratique d'une musique de fait si bien aimée.
 
Deux motets de J.-S. Bach (avec orgue positif) ouvraient le programme : Ich lasse dich nicht BWV Anh.159, peut-être apocryphe, et le Lobet den Herrn, alle Heiden BWV 230 pour double chœur. Délicate attention à l'égard du public français de leur tournée et plus encore à Montauban, ville profondément protestante jusqu'à la brutale « reconquête » catholique sous Louis XIII : les musiciens chantèrent merveilleusement, en vieux français, deux pages a cappella du Psautier huguenot, Ainsi qu'on oit le cerf bruire et Or soit loué de Jan-Pieterszoon Sweelinck, elles-mêmes suivies de l'une de ses Fantaisies en écho et du fameux et virevoltant Ball[ett]o del Granduca à l'orgue de tribune – un Feuga (Toulouse) encore classique de 1800, revu par Puget puis Claude Armand (1977) et la maison Pesce dans les années 1990. Aux claviers : le jeune organiste allemand Xaver Schult, qui sut mettre en valeur de fort beaux jeux de fonds, un plein-jeu lumineux et équilibré, un jeu de tierce bien sonnant.
 
Psaumes toujours, façon Heinrich Schütz, luthérien formé à Venise la catholique : Das ist gewisslich wahr, de la Geistliche Chormusik de 1648, année qui vit s'achever l'effarante Guerre de Trente ans, puis, accompagnées au positif et en double chœur, deux pages de ses Psaumes de David, si brillamment influencés par Venise : Aus der Tiefe ruf' ich et l'irrésistible Jauchzet dem Herren. Le grand motet Jesu, meine Freude BWV 227 de Bach refermait ce concert d'apparat, l'ensemble des pupitres, de mêmes force et qualité, réitérant maintes prouesses tant de maîtrise structurelle (l'œuvre est longue et complexe) et spirituelle que de somptuosité vocale, faisant merveille dans le jeu subtil des nuances et progressions dynamiques.
 
Le concert du samedi soir, au Théâtre Olympe de Gouges, résultait d'une rencontre des Passions lors de l'une de leurs trois tournées sud-américaines : Bolivie, Pérou, Chili – la formation montalbanaise est présentement en tournée au Mexique (De Paris à Versailles, Couperin, Charpentier, Marais). C'est à Santiago que les musiciens firent la connaissance d'un Conjunto [ensemble] de Musica Antigua réputé, Les Carillons (en français, tel un lien avec la vieille Europe), créé en 2000 à la Facultad de Artes de la Universidad de Chile. Leur discographie déjà riche, qu'il s'agisse des Carillons ou de leur chef en soliste, le théorbiste Rodrigo Díaz (Un Bocconcino di Fantasia – Piezas para Tiorba), s'est enrichie d'un album mettant en relief les liens par-delà l'Atlantique : Stile Moderno – El Barroco italiano y sus ecos en América (5), sous-titre du programme Lanzamiento proposé à Montauban : entre XVIIe et XVIIIe, du répertoire italien importé en Amérique, via notamment les missions jésuites, aux œuvres composées sur place par des musiciens venus d'Europe ou, par la suite, d'Amérique du Sud.
 
Chaleureusement présenté, en français, par le violoniste au tempérament de feu Raúl Orellana – qui manie son archet baroque avec une impétueuse et virtuose sensibilité, jamais la danse n'étant loin de la musique interprétée et requérant le corps tout entier, prodigieux ! –, le programme fit souvent dialoguer en solistes le violon et la flûte à bec (flauta dulce) de Franco Bonino, avec le soutien tant de Rodrigo Díaz à la guitare baroque (et direction) que de Jaime Carter au clavecin – ce dernier magnifiquement francophone et organiste de l'église jésuite San Ignacio de Santiago (6) : le plus grand instrument de Cavaillé-Coll conservé au Chili (1874/1885 ?), le facteur y ayant beaucoup construit ainsi qu'au Brésil, son successeur Mutin[–Cavaillé-Coll] surtout en Argentine et en Colombie. Ainsi dans la Ciaccona de Tarquinio Merula puis la Canzona para dos instrumentos anonyme du XVIIe (Cuzco, Pérou), offrant à la viole de gambe de Luciano Taulis une première et prometteuse apparition soliste.
 
Au Grave-Cumbée du Madrilène Santiago de Murcia (1673-1739), danse complexe pour guitare (avec percussion sur la caisse de l'instrument) appartenant à un manuscrit de près de quatre-vingt pièces retrouvé au Chili en 2004 (Biblioteca de la Ponteficia Universidad Católica de Chile) : Cifras Selectas para guitarra (1722), firent suite une Canzona a 2, canto e basso (violon et viole) de Giovanni Paolo Cima et une autre pièce de Merula, pour flûte avec violon d'écho, puis en dialogue : Canzona « La Cattarina ». La Sonate pour viole de gambe et continuo Op. 2 n°3 de Benedetto Marcello valut au jeu souple et incisif de Luciano Taulis, tout d'éclat concentré et de ferveur, de soulever l'enthousiasme du public. Une copie d'époque (archives des Misiones Chiquitos, Bolivie), de la Sonata II de Corelli pour violon, en dialogue avec une flûte grave, témoigna à son tour de la formidable écoute réciproque dont témoignent les cinq musiciens, brûlant d'une même flamme. À défaut d'orgue, Jaime Carter joua au clavecin la Canzona en mineur des célèbres Sonate d'Intavolatura per Organo e Cimbalo de Domenico Zipoli, Toscan installé à Córdoba (Paraguay), suivie de sa Sonata pour violon et basse continue en quatre mouvements, de grande envergure et d'un souffle comme improvisé (Largo) tout simplement admirable. Une page anonyme du XVIIIe (Misiones Chiquitos également) refermait le programme : Sonata chiquitana IV, toute énergie et joie de vivre et de jouer (magnifiques diminutions en maintes occasions, comme tout au long du concert), à l'instar de l'ensemble d'un programme restitué avec la fougue inouïe propre aux formations latino-américaines, sans préjudice du style, toujours ardemment éloquent. Un bis d'une tonicité et d'une énergie redoublées vint couronner le tout : Batalla de Barrabás [Barabaso], yerno de Satanás du Napolitain Andrea Falconieri, violon et petite flûte menant la danse, page elle-même partiellement bissée.
 
Venir à Montauban sans entendre le grand orgue (7) de la cathédrale (du facteur anglais Hew, 1675, installé dans la nouvelle cathédrale et agrandi par Jean-Pierre Cavaillé, 1776, reconstruit par Pascal Quoirin, 1999) eût été dommage ! (L'orgue de chœur, 1875, est un rare exemple de la facture de Vincent Cavaillé-Coll.) Aussi la dernière journée du Festival s'ouvrit-elle sur un Point d'orgue : Matthieu Béramis, étudiant de la classe de Sylvie Perez au Conservatoire de Montauban, fit sonner Couperin : noble Plein-jeu sur pédale d'anche et Duo sur les tierces d'un fort bel aplomb, Tierce taille et Dialogue sur les grands jeux parvenant moins à s'affirmer, l'instrument, sur une tribune visuellement et acoustiquement bien haute, emplissant néanmoins avec splendeur le vaste édifice.
 

Min Hye-sung & Choi Hyodong © Emilie Fontes

Le spectacle du dimanche après-midi, à l'Auditorium du Conservatoire (ancienne chapelle du couvent des Carmes), en partenariat avec le Centre culturel coréen de Paris et dans le cadre du Korean Culture Day, était si particulier qu'une conférence de présentation, juste avant la représentation proprement dite, était mieux que la bienvenue : indispensable. Deux fins connaisseurs (et pédagogues) de cette forme de théâtre traditionnel, Han Yumi (également auteur de la traduction des surtitres, entre restitution de la langue ancienne et adaptation contemporaine pleine d'humour, condition sine qua non pour entrer dans la dramaturgie du récit chanté) et Hervé Péjaudier (expliquant noramment au public comment contribuer activement à son déroulement, sur la base de quelques interjections simples en coréen – cris d'encouragement, de louange, de protestation ou toute autre participation codifiée, auxquels le public, bien que formidablement réceptif et passionné par la découverte d'un tel univers, ne se risqua guère – Hervé Péjaudier lui-même s'en chargea) firent une présentation synthétique et pleine d'esprit du Pansori, chant profond de la Corée et Patrimoine universel (inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO depuis l'an 2000). Pan, c'est l'espace autour du chanteur, ou la place du village ; sori, le chant, le bruit. Genre apparu au XVIIIe siècle, donc contemporain des musiques du Festival, ayant connu son apogée au siècle suivant et une renaissance après la Guerre de Corée du milieu du XXe siècle, le Pansori est un art transmis oralement et qui exige un long apprentissage. Cinq œuvres majeures – « trésors nationaux » – sont aujourd'hui conservées dans la mémoire ancestrale, « figées » et néanmoins modulables, d'une durée allant de trois à huit heures…
 
L'une d'elles, parmi les plus courtes (trois heures trente), Le Dit de Heungbo, fut proposée en réduction, sorte d'« intégrale condensée » en une heure. Une chanteuse : l'extraordinaire Min Hye-sung, un tambour – buk – qui rythme et inscrit l'œuvre dans la durée : Choi Hyodong, et un paravent – les trois composantes intangibles d'un pansori. La voix unique, incarnant tous les personnages du dit, alterne récit et chant, l'auditeur occidental faisant sans difficulté la part des choses grâce aux différences de rythme et de phrase, comme dans notre musique baroque mais pour un résultat ô combien singulier ! Récit virtuose, parfois d'une rapidité sidérante, presque affolante, chant mélismatique couvrant une tessiture considérable, avec quantité d'attaques et tenues dans l'aigu fortissimo et d'intervalles meurtriers qui suffiraient à éprouver n'importe quelle voix, avant de s'abîmer dans un grave impressionnant et d'une raucité puissamment expressive, et néanmoins une « ligne de chant » (prodigieuse maîtrise du souffle) validant parfaitement la différence ou opposition entre récit et « airs », Min Hye-sung, d'une assurance stupéfiante – et souriante – relevant le défi avec une prodigieuse aisance, de sa voix souple et puissante, tour à tour gutturale, perçante ou singulièrement poétique. Phénoménal.
 

Heather Newhouse © Sébastien Jourdan
 
Intitulé La Donna Barocca, le concert de clôture au Théâtre Olympe de Gouges (1748-1793) – née à Montauban et auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) – était consacrée aux femmes compositrices de l'ère baroque, à l'occasion du quatrième centenaire de la naissance de la plus illustre d'entre elles : la Vénitienne Barbara Strozzi (1619-1677), disciple de Francesco Cavalli. Les musiciens du Concert de l'Hostel Dieu, sous la direction de Franck-Emmanuel Comte (clavecin), lequel présentait également les pièces au fur et à mesure de ce périple au féminin, entouraient la soprano canadienne Heather Newhouse, d'une lumineuse présence vocale et théâtrale. Une manière de chanson populaire ouvrit la soirée : Chi desia de Francesca Caccini, canzonetta accompagnée de la guitare : Nicolas Muzy (et théorbe), avec ritournelle de violon : Sayada Shinoda (d'une souplesse et vivacité de jeu comme dissociées de l'engagement corporel – l'antithèse de Raúl Orellana), Caccini que l'on retrouva dans une autre canzonetta, Fresche aurette, toute de légèreté. Entre les deux, première page d'envergure de Barbara Strozzi, et contraste affirmé : L'Eraclito amoroso, grande scène de douleur amoureuse, à une introduction hautement dramatique faisant suite un air éploré. Un homme, dans ce programme, eut le droit de paraitre : Marco Uccellini, le temps d'une brève mais inventive Sonata pour violon, La Luciminia contenta, cinq mouvements enchaînés alliant sans cesse surprises et contrastes – soutien affirmé, comme dans toutes ces pièces, du violoncelle d'Aude Walker-Viry.
 
Triptyque italo-français, entre Venise et Versailles : Antonia Bembo, enfuie à la cour de Louis XIV, offrit dans l'esprit de l'air de cour à la française Ah que l'absence… (Produzioni armoniche), puis Strozzi son pendant italien : Parla alli suoi pensieri, ariette en forme de plainte enlevée, vocalement fiévreuse et à maints égards escarpée, véritable miniature théâtrale, puis de nouveau Bembo, versant italien, un Lamento della Vergine du même recueil, conservé à la BnF : chant dramatiquement engagé en sections multiples de type interrogation/réponse. Reflet d'un temps pouvant paraitre bien surprenant, une virtuose Sonata Duodecima d'Isabella Leonarda, religieuse devenue mère supérieure du couvent où elle passa toute sa vie, et à l'évidence violoniste virtuose, vint entourer (quatre mouvements avant, les deux derniers après), du fait de la similitude du mélisme initial, un autre lamento de Strozzi : Lagrime mie, a chi vi trattenete, manifestation d'une douleur extravertie à force d'éloquence, de chromatisme, de fulgurance, presque de fureur, Heather Newhouse rayonnant d'équilibre à la croisée d'un texte restitué avec faconde et sensibilité et une ornementation disant à chaque instant l'aisance de sa voix si naturellement et magnifiquement placée. Le programme se referma sur le sourire de Strozzi, léger et délicieusement piquant : La Vendetta – « La vengeance est une douce passion […] se venger un grand plaisir »… Deux bis vinrent clore l'édition 2019 de Passions Baroques, deux tarentelles (8) d'époques incertaines, pouvant aller jusqu'au XIXe siècle : virtuose et ébouriffante, à en perdre le souffle (mais pas Heather Newhouse !, seulement le public) Cicerenella, si purement napolitaine, puis, sur une basse obstinée littéralement envoûtante, Carpinese, d'une douceur et d'une séduction à fondre de bonheur, traditionnelle chanson de berger des Pouilles, simple ravissement des sens et du cœur.
 
Rendez-vous en 2020 pour une 6ème édition de Passions Baroques que l'on espère tout aussi ouverte sur le monde, Les Passions devant avant cela, sous la direction de Jean-Marc Andrieu, ressusciter en concert le 21 juillet 2020, au Théâtre de Narbonne dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier, Daphnis et Alcimadure de Mondonville, « pastorale languedocienne » créée à Fontainebleau en 1754 et qui sera chantée en occitan.
 
Michel Roubinet

(1) Prochaine manifestation : Lettres d'automne, 29ème festival littéraire, du 18 novembre au 1er décembre.
    www.confluences.org/lettresdautomne-2/
 
(2) www.cg47.org/archives/bibliotheque/catalogue_ducs_aiguillon/DUCS_AIGUILLON.pdf
 
(3) www.swediteur.com/auteur.php?id=66
 
(4) www.harvestehuder-kammerchor.de
 
(5) www.rodrigodiazriquelme.cl/product/un-bocconcino-di-fantasia-piezas-para-tiorba/
     www.musicantiguaenchile.cl/2019/03/les-carillons-en-casas-de-lo-matta.html
 
(6) www.clr.cl/English-Org-Iglesia_del_Colegio_de_San_Ignacio.asp?strng=Santiago&crit=organ+listing+by+location
 
(7) https://toulouse-les-orgues.org/?instrument=orgue-de-la-cathedrale-notre-dame&villeDept=montauban
 
(8) www.concert-hosteldieu.com/produit/folia/
 
 Festival Passions Baroques, Montauban, concerts des 11, 12 et 13 octobre 2019
www.les-passions.fr/fr/festival-passions-baroques-2019/
 
Photo © Jean-Jacques Ader

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