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37e Festival de Musique Sacrée de Perpignan – De la Perse à l’Angleterre – Compte-rendu

 

 
Depuis bientôt quatre décennies le Festival de Musique Sacrée de Perpignan donne rendez-vous aux mélomanes un peu avant Pâques. Une institution dans la vie culturelle de la cité catalane donc, mais nullement guettée par la routine. A la direction de la manifestation depuis 2013, Elisabeth Dooms veille à ce qu’elle se réinvente constamment – tout y concourt quand la curiosité et le désir de toucher un large auditoire sans démagogie sont à l’œuvre comme c’est ici le cas. Le thème de la musique sacrée est « un puits sans fond », souligne E. Dooms, et chaque nouvelle édition lui offre l’occasion de « raconter le festival comme une histoire autour d’un thème » (« Vibrato de l’âme » cette fois), d’amener la musique dans divers lieux patrimoniaux de la ville aussi, avec 85 % de rendez-vous gratuits (dont une partie importante en direction du jeune public) et, pour les payants, une tarification très abordable oscillant entre 1€ (pour les moins de 26 ans) et 25 €.
 

Anousha Nazari & Stepand Dadbeh © Michel Aguilar

Pas de concession sur la qualité toutefois, comme l’ont prouvé les deux concerts par lesquels se terminait la journée du 1er avril, tous deux dans le cadre majestueux de l’église des Dominicains. Le voyage commence du côté de la Perse avec deux artistes d’origine iranienne, l’une établie en France, la chanteuse Anousha Nazari, l’autre aux Pays-Bas, Stepand Dadbeh, compositeur et multi-instrumentiste (ici au oud et au tambûr, instrument à cordes pincées, contrairement à ce que son nom peut laisser imaginer).
Dans « Koshrow et Shirin » les interprètes évoquent les amours pleines de rebondissements de Koshrow Parwis, bel et courageux roi de Perse, et de la princesse arménienne Schirin avec des compositions sur des vers du poète persan du XIIe siècle Nizami Ganjavi. Nourri par sa généalogie de la plus riche tradition de la musique iranienne, Stepand Dadbeh s’attache à apporter une dimension contemporaine à son art. Le programme comprend aussi bien des musiques de son cru, que des arrangements de chants traditionnels ou de pages signées Komitas, Gurdjieff, Abd al-Quadir Maraghi - et même une référence au Livre vermeil de Monserrat. Entrecoupé de longues sections instrumentales, le « Roméo et Juliette perse » que content la soprano et son partenaire (sur une scène aux éclairages soigneusement étudiés), plonge l’auditoire, particulièrement réceptif, dans un univers sonore où la sensualité, l’érotisme vont de pair avec la force hypnotique d’un récit sorti des tréfonds de la mémoire d’un peuple.

 

Paul-Antoine Bénos-Djian © John Zougas
 
De la Perse à l’Angleterre, le chemin est promptement parcouru : une grosse heure et demie plus tard le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian et Le Consort occupent à leur tour la scène. Un Consort sans Sophie de Bardonnèche et Justin Taylor, retenus par l’imminence d’un heureux événement, mais excellemment remplacés par Roxana Rastegar (violon II, photo) et Nora Dargazanli (clavecin), Louise Pierrard (viole de gambe) et Théotime Langlois de Swarte (violon I, photo) étant quant à eux bien présents - ce dernier retrouvant d’ailleurs à cette occasion sa ville natale. (1)
 
Avec Eva Zaïcik (qui était au côté du Consort le 30 mars aux Invalides pour un rare programme Leonarda, Strozzi, Agnesi), Adèle Charvet (2) et Emmanuelle de Negri, Paul-Antoine Bénos-Djian fait partie des partenaires lyriques réguliers du Consort. Qui s’assemble ... La profonde musicalité du contre-ténor, servie par un instrument dont la richesse, l’ampleur incroyable dans le grave et l’homogénéité parfaite jusqu’à des aigus dénués de tout caractère métallique – un profil vocal assez unique dans le paysage « contre-ténoristique » actuel – trouve dans une douzaine d’airs de Purcell et de son maître John Blow (le Welcome ev’ry Guest et l’Ode on the Death of Mr Henry Purcell en l’occurrence) un terrain d’expression idéal.
Souvent emprunte de mélancolie, sa poésie ressort d’autant mieux que le programme, parsemé de diverses réalisations instrumentales (Purcell, Matteis père & fils, Eccles), procède à une véritable mise en scène musicale, un ground pour clavecin de Purcell (d’une prenante et souple expressivité sous les doigts de N. Darganzali), puis sa Sonata in Four Parts Z. 807 tiennent lieu d’ouverture instrumentale, avant que le chanteur ne se lance dans un Welcome ev’ry Guest : accueil aussi lumineux qu’engageant !  Changement total de climat avec Purcell et sa Fairest Isle, d’une élégance et d’une délicatesse admirables, jamais guettée par la moindre préciosité – l'une des qualités premières de l'art de ce chanteur.
 

Théotime Langlois de Swarte, Roxana Rastegar, Nora Dargazanli, Paul-Antoine Bénos-Djian & Alice Pierrard © Michel Aguilar

Paul-Antoine Bénos-Djian (3) déploie un sens inné des caractères, et ne se laisse nullement inhiber par la célébrité de certaines pages et les innombrables enregistrements dont elles ont fait l’objet. Il délivre un Music for a while aussi juste dans son humeur que foncièrement libre dans son déploiement. Un peu plus loin, le non moins inoxydable O solitude, vécu de bout en bout, procure une même sensation - apporter de la fraîcheur à des partitions aussi rebattues n’est pas donné au premier venu ... Justesse de sentiment qui s’exprime d’autant mieux que l’accompagnement du Consort n’a rien d’un bel écrin passif. Les instrumentistes modèlent et accordent en permanence accents et coloris avec les plus subtiles intentions du chanteur (à preuve, par exemple, la sympathie, au sens étymologique du terme, de l’archet de la viole envers le mot « Alas » dans la si noble et émouvante Ode de Blow sur la mort de son génial élève). Curtain Tune, Strike the viol, Here the Deities et The Three Ravens, tous de Purcell, atteignent aussi parfaitement leur cible, d’autant mieux que les pièces instrumentales retenues les valorisent.
 
Il y a deux chanteurs lyriques sur scène est-on souvent tenté de se dire en entendant le violon de Théotime Langlois de Swarte, d’une pureté habitée. Moment de beauté absolue que la Fantasia en la mineur pour violon solo de Nicola Matteis fils qui, comme dans l’enregistrement (justement acclamé) de l'artiste avec Thomas Dunford (« The Mad Lover » / Harmonia Mundi), précède la prégnante Sarabanda amorosa de Matteis père pour laquelle l’archet retrouve ses partenaires dans la plus totale harmonie - non moins profonde s'agissant de The Mad Lover de Eccles, que le violoniste réinvente, ici comme à chaque fois qu’il s’en empare.
En bis, le fameux Sound the trumpet réunit les cinq protagonistes de la soirée et ne fait qu’accroître l’enthousiasme d’un public aussi nombreux que conquis – on le comprend !  Et une fois de plus la formule du concert sans entracte aura démontré qu’elle est l’un des plus beaux services que l’on puisse rendre à la musique ...

Le 37Festival se prolonge jusqu’au 8 avril avec, en clôture, un très alléchant programme « Jérusalem » avec Georges Abdallah, Milena Jeliazkova et La Tempête de Simon-Pierre Bestion.

 
Alain Cochard

(1)  Lire le portrait ( daté de 2020) de Théotime Langlois de Swarte : www.concertclassic.com/article/theotime-langlois-de-swarte-radieux-archet

(2) Rappelons qu'Alpha vient de publier un magnifique programme vénitien d'Adèle Charvet et du Consort. Intitulé "Teatro Sant'Angelo" il rassemble des pages, souvent inédites, de Vivaldi, Chelleri, Ristori, etc. (Alpha 938)

(3) Dans la toute récente actualité discographique de Paul-Antoine Bénos-Djian, signalons la sortie d'un solaire programme Bach, en compagnie de Marie Perbost et de l'Ensemble Ma non troppo ( "Le voyage à Naples" - 1 CD Son an Ero )

Perpignan, église des Dominicains, 1er avril 2023 / 37ème Festival de Musique Sacrée, jusqu’au 8 avril 2023 : www.mairie-perpignan.fr/culture-patrimoine/culture/festivals/festival-de-musique-sacree
 
Photo © Michel Aguilar

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