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33ème Festival de piano de La Roque d’Anthéron – Fébrilité et sérénité - Compte-rendu

L’intégrale des 32 Sonates de Beethoven interprétées par Abdel Rahman El Bacha en cinq concerts aura incontestablement constitué l’un des moments forts du 33e Festival de La Roque d’Anthéron. Au-delà du défi que représente une telle entreprise, la musicalité toujours présente et l’intensité qui président à l’ensemble de l’exécution, font oublier l’exploit “sportif“. Par comparaison, le concert de Daniil Trifonov, 23 ans, aux moyens techniques époustouflants, laisse un sentiment d’inachèvement par ses partis pris stylistiques.

Pourtant, tout avait bien commencé pour le jeune prodige russe sur la scène du Parc du Château de Florans avec une Sonate n°2 de Scriabine, miroitante et d’une progression fulgurante. Le vainqueur du Concours Tchaïkovski en 2011 et 3e Prix du Concours Chopin de Varsovie la même année possède un tempérament enfiévré dont les excès finissent par contrarier le cheminement de la Sonate de Liszt. Trop contrastée aussi bien dans la dynamique que dans les tempi, son interprétation, malgré une aisance digitale et une puissance orchestrale impressionnantes, ne convainc pas. Dans le kaléidoscope des 24 Préludes de Chopin, la dimension organique, le fil conducteur, échappent également au discours d’un artiste plus préoccupé de l’effet immédiat (le 15e Prélude en ré bémol majeur paraît interminable) que de l’organisation du cycle. Pourtant, Trifonov ne manque pas de dons, mais il lui faudrait les canaliser.

Abdel Rahman El Bacha se situe à l’exact opposé de son confrère. Son apparition, toute de sobriété et de simplicité, constitue le prolongement de la musique qu’il est amené à servir, en l’occurrence les cinq dernières sonates de Beethoven. Un peu hésitant dans l’énoncé de l’Opus 101 à la subtilité trop mesurée, il prend réellement ses marques dans une « Hammerklavier » traitée de main de maître avec une hauteur de réflexion dont témoigne l’Adagio sostenuto, hors du temps. La Fuga a tre voci finale, emportée par un geste fulgurant, conserve une clarté et une luminosité qui doivent aussi à la finesse de touche d’un beau Bechstein. Les Opus 109, 110 et 111 relèvent de la même démarche, à la fois lyrique et contrôlée, conjuguant abstraction et vision épurée. Une telle perfection est le résultat du travail en profondeur mené depuis plus de trente ans. Après une première intégrale des Sonates réalisée dans les années 1980, El Bacha vient de réenregistrer pour le label Mirare cette vulgate du piano en 10 CD à paraître très prochainement.

Michel Le Naour

La Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, 5 et 6 août 2013

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Photo : Leslie Verdet

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