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3 Questions à Jean-Yves Patte, commissaire de l’exposition « Reynaldo Hahn, la musique retrouvée » au musée de l’Opéra de Vichy – « Hahn a su rassembler l’esprit de son temps et en faire du miel »

« Il est juste qu’on m’envisage/Après m’avoir dévisagé » : Reynaldo Hahn (1875-1947) pourrait faire siens les vers du Requiem de Cocteau. Longtemps méprisé et seulement perçu « par le petit bout de la lorgnette, pour ne pas dire le trou de la serrure »(1) de sa relation avec Proust, l’auteur du Bal de Béatrice d’Este bénéficie depuis quelques années – à l’instar de bien d’autres auteurs oubliés du patrimoine musical français – d’un incontestable regain d’intérêt. Les programmes de concerts, les enregistrements en témoignent, tout comme l’exposition événement « Reynaldo Hahn, la musique retrouvée », qui a été inaugurée le 4 mai au musée de l’Opéra de Vichy et que l’on peut découvrir jusqu’au mois de décembre. Concertclassic a interrogé l’historien de l’art et musicographe Jean-Yves Patte, son commissaire.
 
 Jean-Yves Patte © DR

Quelle a été la genèse de cette exposition, la plus importante jamais consacrée au musicien ?
 
Jean-Yves PATTE : L’idée vient en fait d’Eva de Vengohechea (petite-nièce du compositeur et dépositaire de son droit moral ndr), qui a eu connaissance de mon travail par le biais de divers livres que j’ai publiés mais aussi par un documentaire pour la télévision consacré à Cléo de Mérode. Elle a pris contact avec moi et, par-delà le plaisir de faire la connaissance d’une personnalité très sympathique, j’ai eu celui de découvrir tous les documents, objets, souvenirs qui sont sa possession. Nous avons beaucoup discuté  – je connaissais par ailleurs le travail que mène le musicologue Philippe Blay sur Reynaldo Hahn – et, de fil en aiguille, en faisant appel aussi à divers collectionneurs privés, j’ai proposé à Eva de monter une exposition.

© Musée de l'Opéra de Vichy
 
Comment l’avez-vous organisée; quelle image de Reynaldo Hahn souhaitiez-vous offrir au visiteur ?
 
J.-Y. P. : C’était assez compliqué car Reynaldo Hahn c’est tout de même de l’inconnu connu. Tout le monde connaît son nom, associé immanquablement à celui de Proust, une ou deux mélodies ..., l’évocation des salons de la belle époque ..., Ciboulette et puis... plus grand chose, sinon rien. Mon idée était de montrer que Hahn est un musicien de chair et d’esprit, qui a participé plus que largement à l’essor de la musique à la Belle Epoque. Il en est l’un des acteurs, on peut dire majeurs –  même si la postérité ne lui a pas tout à fait rendu justice. Et puis c’est un musicien qui a vécu la fin du XIXe et pratiquement toute la première moitié du XXe siècle. Jusqu’au bout ou presque (sauf durant la période de la guerre, peu productive), il a toujours composé est s’est toujours renouvelé en restant immédiatement identifiable. Hahn a su rassembler l’esprit de son temps et en faire du miel : pour la Belle Epoque ce sont les mélodies, les musiques de salon, les ballets, pour les Années folles c’est l’essor inouï d’une opérette à la française et des collaborations, excusez du peu, avec Sacha Guitry, Arletty, Yvonne Printemps, Francis de Croisset, etc. – pas du second rang ! C’était un musicien majeur. A la fin de la guerre, il prend la direction de l’Opéra de Paris, mais n’aura pas le temps de réaliser ses projets à ce poste. Hahn est mort en 1947 et ... on l’a enterré ! Il aura fallu attendre au moins deux générations pour reprendre en compte le musicien et la période dans laquelle il se situe. Le moment est venu et l’entrée des œuvres de Hahn dans le domaine public facilite le travail, qu’il s’agisse des travaux sur le compositeur ou de l’exécution de ses œuvres.
 
Le but de l’exposition est de participer de cette recherche en cours autour de Reynaldo Hahn, en montrant le musicien dans son intérieur avec ses objets, sa décoration. Il s’agit de quelque chose d’assez sensuel, dirais-je, qui va permettre d’aller à la rencontre de l’artiste dans ses meubles. Il y a beaucoup de meubles, beaucoup d’objets, deux pianos aussi, lui ayant appartenu ; j’ai par ailleurs beaucoup travaillé sur des documents, la correspondance, des photographies afin de redonner le cadre de vie du musicien. Le clou de l’exposition est son bureau de travail, pas le bureau derrière lequel il pose sur certaines photos, mais un meuble usé qu’il est très touchant de découvrir.
© Musée de l'Opéra de Vichy
 
Quels sont les prolongements que l’on peut attendre de l’exposition qui se tient au musée de l’Opéra de Vichy ?
 
J.-Y. P : Avant toute chose, je tiens à rendre hommage à Philippe Blay (qui prépare un ouvrage de référence sur R. Hahn, à paraître fin 2018-début 2019 aux éditions Fayard ndr) et Christophe Mirambeau pour le travail que tous deux mènent sur les éditions originales voire les manuscrits, en s’attachant à reconstituer, car on en est là souvent, un corpus musical qui a failli disparaître. Je me félicite aussi que L’Île du rêve ait été remontée (2)  – Hahn a composé cette partition encore adolescent, et a prouvé là combien il savait écrire pour la voix !  –, que Le Rossignol éperdu ait fait l’objet d’une très bel enregistrement sous les doigts de Billy Eidi (3). Il faut aussi se réjouir que l’on commence à réenregistrer les mélodies, mais en les dépoussiérant du côté sucré, « veille dame », salonnard et en attaquant pour de vrai le corps de la partition. Pas mal de disques et de livres sortent ou vont sortir : il faut saluer une remarquable version de la Sonate pour violon et piano par le Duo Tchalik (4), mais aussi l’ouvrage collectif « Reynaldo Hahn, un éclectique en musique » (4) et, autre entreprise collective, « Marcel Proust et Reynaldo Hahn, une création à quatre mains », livre passionnant qui resitue Hahn par rapport au travail de l’écrivain (6). On s’attarde toujours sur le fait qu’ils ont été brièvement amants, mais le cœur du sujet est l’amitié qui a perduré jusqu’à la mort de Proust.
Pour m’a part j’ai prévu de rééditer différents documents sonores autour du café-concert (1 CD à paraître chez Frémeaux et Associés). J’espère qu’on est à la base d’une énorme travail et qu’au-delà de Ciboulette d’autres opérettes de Hahn seront remontées. Je crois savoir qu’un Mozart se prépare quelque part et me suis laissé dire qu’un très grand pianiste s’intéresserait au Concerto pour piano.
L’exposition est destinée à tourner ; elle ira normalement à Cabourg l’an prochain et mon but ultime serait de l’amener à Paris au Petit Palais. Après y avoir vu l’exposition Oscar Wilde, je me dis que Reynaldo Hahn y aurait tout à fait sa place.
 
Un mot encore ; une chose qui me paraît très importante et une dimension de l’artiste que l’on tend à oublier : Reynaldo Hahn est un révélateur. Je pense qu’il a révélé Proust à son art, qu’il a révélé beaucoup de musiciens à leur art et, aujourd’hui, il nous révèle une époque telle que nous ne la connaissons pas. Il faut que nous arrêtions de la rêver et que nous la regardions.
 
Propos recueillis par Alain Cochard, le 3 mai 2018
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(1) pour reprendre la formule d’Eva de Vengohechea dans son savoureux avant-propos à « Marcel Proust et Reynaldo Hahn, une création à quatre mains » de Philippe Blay, Jean-Christophe Banger et Luc Fraisse (Classiques Garnier, Bibliothèque proustienne, 21)
 
(2) A propos de la redécouverte de L’Île du rêve et de sa recréation parisienne au théâtre de l’Athénée : www.concertclassic.com/article/lile-du-reve-de-reynaldo-hahn-lathenee-reve-accompli  // www.concertclassic.com/article/lile-du-reve-de-reynaldo-hahn-au-theatre-de-lathenee-charmeuse-et-secrete-idylle-compte
 
(3) 2CD Timpani 2C2229/ Billy Eidi donnera l’intégrale du Rossignol éperdu en concert à Tokyo à l’automne prochain.
 
(4) Avec la Sonate de Franck et la 1ère Sonate de Saint-Saëns  (1 CD Evidence /EVCD 036)
 
(5) Sous la direction de Philippe Blay (Actes Sud /Palazzetto Bru Zane)
 
(6) « Marcel Proust et Reynaldo Hahn, une création à quatre mains » de Philippe Blay, Jean-Christophe Banger et Luc Fraisse (Classiques Garnier, Bibliothèque proustienne, 21) /
Une lecture particulièrement enrichissante, qui montre entre autres à quel point Reynaldo fut, selon la formule très juste de Luc Fraisse, le « périscope de Proust » et permit à l’écrivain reclus dans sa chambre de demeurer en prise avec la vie artistique de son temps.
 
« Reynaldo Hahn, la musique retrouvée »
Jusqu’au 16 décembre 2017
Vichy – Musée de l’Opéra
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