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25e Festival de Pâques de Deauville – Contre vents et marées – Compte-rendu

Ils ont tenu bon, l’inoxydable Yves Petit de Voize, géniteur de ce festival tout de liberté et de fraîcheur, et ses amis de Deauville, soutiens de la manifestation, qui s’enchante du voisinage de l’océan et de la foule de brillante jeunesse musicale qui y converge chaque année. L’an passé, la foudre du confinement avait étouffé l’œuf prêt à éclore. Tout était écrasé, sidéré. Cette année, grâce à l’énergie de ses organisateurs et à la joie de vivre des musiciens, on feinte, on trouve des solutions, à coup de streaming, de captations, de retransmissions. On aiguise ses oreilles.
 

Yves Petit de Voize © Yannick Coupannec
 
La liste des interprètes réunis pour cette édition encore plus sonore que les autres, est proprement sidérante : en cinq concerts, ils sont des dizaines de chambristes, heureux de se retrouver, de jouer à grandes guides, d’autant que les programmes, selon la volonté toujours aventureuse d’Yves Petit de Voize, ouvrent sur des horizons parfois méconnus : ainsi la part enfin faite au compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg, considéré comme l’égal de Chostakovitch, dont sera joué le Quintette pour piano et cordes opus 18, ou l’hommage à Olivier Greif (1950-2000), qu’il serait bon de ne pas oublier car il est l’une des sensibilités les plus fortes de la composition musicale française du XXe siècle.
 
Si la session doit se terminer sur les fines ondes de la musique française, le Festival s’est ouvert sur le monde viennois, de Schubert à Schönberg. Qui dit mieux ? Un Trio cordes et piano, donc, pour lancer le jeu, le D 898 op. 99, de Schubert, qui, comme tous les chefs-d’œuvre, ouvre la porte à de multiples lectures. Celle des trois compères, piliers du Festival, Pierre Fouchenneret, Jérôme Ducros et Jérôme Pernoo, a plus que surpris, autant que conquis: contraste des instruments autant que fusion, pour faire chanter chaque partie avec le maximum d’intensité, du violon fin et poétique de  Fouchenneret  à la sonorité charnue, sensuelle du violoncelle de Pernoo, les deux soulevés, lancés en l’air par un Jérôme Ducros meneur de jeu sur un clavier musclé, presque impérieux. Résultat riche, surprenant, et terriblement vivant. On sentait comme une vague d’énergie trop longtemps contrainte chez des musiciens privés de leur public habituel, qui déferlait avec une véhémence, une intelligence irrésistibles. Moment d’une intensité parfois violente, parfois tendre, se déployant en une palette qui varie inlassablement dans ses nuances les plus subtiles.
 

(de g.à dr) Pierre Fouchenneret, Adrien La Marca et Paul Zientara en répétition © Claude Doaré
 
Le temps de se remettre et voilà que se mettait à frémir la Nuit Transfigurée de Schönberg, idéale pour capter les angoisses de l’instant. Les six instruments du sextuor à cordes ont commencé à vibrer pour créer le climat de cette déchirante Nuit, brumeuse, désolée puis enfin dégagée des souffrances dans une atmosphère à la Klimt, scintillante et comme noyée dans un immense élan d’amour universel. Tout au long de cette ascension, il faut savoir lui ménager des poses, et surtout la faire respirer pour qu’on entende les battements de cœur des protagonistes, trouver le souffle du drame que traduit la musique, « contenir la mélodie, puis la ranimer après un silence qui ne doit être ni trop long, ni trop lourd, ni artificiellement étiré », comme l’explique Adrien La Marca, ébloui par l’intensité et la portée de l’œuvre. Toute une éthique de la respiration commune des musiciens, qui s’unissent ou dialoguent avec une subtilité magnifiée par six instrumentistes d’exception, avec notamment les deux altos, le nouveau venu Paul Zientara, et le rayonnant Adrien La Marca, en fusion avec les violons de Shuichi Okada et Pierre Fouchenneret et les violoncelles de Jérôme Pernoo et Jérémy Garbarg.
 
Une entrée en matière de luxe, qui a su se jouer des contraintes, les dominer et laisse augurer des moments d’autant plus exceptionnels qu’il sont devenus rares, puisqu’on pourra goûter dans les concerts suivants, Tchaïkovski et Greif, Mahler et Saint-Saëns, Chabrier et Reynaldo Hahn, Ravel et Falla, Schubert et Weinberg. Un festin. 
 
Jacqueline Thuilleux

 
Concert du 17 avril 2021, capté à la salle Elie de Brignac Concerts suivants, les 24, 25 avril, 1er et 8 mai. Les concerts seront diffusés en direct et en vidéo sur Recithall, France 3 Normandie et music.aquarelle, enfin ceux des 24 et 25 avril seront transmis en différé sur France Musique. En outre, la collection « Deauville Live » de B Records s’enrichira de l’enregistrement du concert du 1er mai (où figure la Symphonie pour baryton et orchestre et le Quadruple Concerto "Danse des morts" d'Olivier Greif). 
www.indeauville.fr/festival-de-paques
 
Photo © Claude Doaré

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