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20e Festival de Pâques de Deauville – Elan commun – Compte-rendu

rondeau chauvin kossenko

Le bleu insolent du ciel donne tort à ceux qui n’imaginent la Normandie que sous la pluie et les programmes des concerts des 30 avril et 1er mai à ceux qui seraient tentés de croire le Festival de Pâques de Deauville uniquement occupé par le répertoire du XIXe et du début du XXe siècle. Un superbe programme de Bach à Mozart, sur instruments anciens, attend en effet l’auditeur en plein cœur de la 20ème édition.

Cheville ouvrière de la soirée, le violoniste Julien Chauvin mène rondement l’affaire à la tête de ses collègues du Quatuor Cambini alliés aux membres de l’Atelier de musique. Bach occupe toute la première partie avec d’abord un Concerto brandebourgeois n° 5 resplendissant de santé. Jean Rondeau est au clavier et se fait le complice du traverso fruité et volubile d’Alexis Kossenko dans une interprétation tonique où le claveciniste manifeste un élan qui ne sacrifie rien à la netteté des traits.
Changement d’atmosphère ensuite avec la Cantate BWV 82 « Ich habe genug » dans laquelle le baryton Edwin Crossley-Mercer, fidèle au Festival de Pâques depuis de longues années, défend une conception toute de sobriété et d’humilité.
 

Justin Talor (pianoforte) et L'Atelier de musique © Claude Doaré
 
Depuis l’origine, Deauville offre un irremplaçable tremplin à des talents nouveaux. Nombreux parmi les auditeurs présents sont ceux qui auront découvert le claveciniste et pianofortiste Justin Taylor (24 ans) - il n’est rien moins que le 1er Prix et Prix du Public du prestigieux Concours de Bruges 2015...
Après avoir tenu le positif dans la cantate de Bach, le claviériste français est de retour, au pianoforte, dans le Concerto n° 17 KV 453 de Mozart. L’acoustique de la salle Elie de Brignac n’est pas idéale pour l’instrument de puissance modeste que Taylor joue mais... le miracle opère. L’auditoire retient son haleine, attentif à la douce luminosité et à la profonde poésie qui se dégage de ce jeu (on n’est pas près d’oublier cet Andante, d’une tendresse infinie ...). Il vrai que Julien Chauvin et ses musiciens tissent le plus bel écrin au soliste, avec une rare subtilité dans les coloris et un parfait contrôle de la dynamique jusque dans ses plus infimes gradations. Et que de merveilles du côté des vents : chapeau au hautbois d’Antoine Torunczyk et aux cors de Nicolas Chedmail et Cyrille Grenot !
Suivent Boccherini et sa Symphonie op. 12 n° 4. Comme toujours avec Julien Chauvin, énergie et contrastes vont de pair avec un sens permanent de la grande ligne et du chant, sans parler de la qualité de la mise en place et de l’intonation. Cette « Casa del diavolo » l’illustre de radieuse et enivrante façon !
 

Le Quatuor Ulysse © Claude Doaré

Place au XXe siècle et à la musique de chambre le lendemain. Partenaires de longue date (ils sont jeunes mais ont déjà deux disques à leur actif - Schubert et Mozart), Guillaume Bellom et Ismaël Margain se partagent le piano pour quelques extraits du Játékok à quatre mains de Kurtág. Ce bouquet d’une petite douzaine de pièces n’a qu’un défaut, son goût de trop peu, tant les deux interprètes jouent idéalement avec les couleurs et les caractères de miniatures épurées et fascinantes. Si seulement ils pouvaient s'aventurer dans un enregistrement intégrale du recueil ...

Bien des formations sont nées au Festival de Pâques de Deauville, auquel il convient d’ajouter L’Août musical et la Fondation Singer Polignac qui, sous la houlette d’Yves Petit de Voize, s’est transformée en une véritable ruche de talents parmi les plus prometteurs d’aujourd’hui. C’est là que le Quatuor Ulysse a vu le jour, formé d’Amaury Coeytaux, Perceval Gilles, Léa Hennino et Victor Julien-Laferrière. La formation a tout juste un an d’existence, mais quelle homogénéité montre-t-elle déjà ! A preuve, son exécution du Quatuor à cordes The Four Quarters (2010)de Thomas Adès. La perfection du détail et l’équilibre, la diversité de la palette sonore sont les clefs de l’ouvrage ; les Ulysse les possèdent et traduisent le mystère et le lyrisme de l’ouvrage de manière pour le moins idéale. Espérons que la collection « Deauville live » du label B Records gardera trace de ce moment magique ...

Comme l’a rappelé Yves Petit-de-Voize en introduction au concert, Thierry Escaich est le compositeur français vivant le plus joué au monde aujourd'hui et ses Lettres mêlées pour trio avec piano (2003) l’une de ses réalisations chambristes les plus prisées. Un triple hommage à Bach, Brahms et Bartók dans lequel les archets racés de David Petrlik et Bruno Philippe et le jeu richement timbré de Guillaume Vincent nouent un dialogue intense et contrasté, tout à l’image d’un festival où la routine et la tiédeur n’ont pas droit de cité.
Il n’est pas trop tard pour décider de faire une escapade à Deauville : la 20ème édition se prolonge jusqu’au 7 mai !
 
Alain Cochard

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20ème Festival de Pâques de Deauville
Jusqu’au 7 mai 2016
Deauville – Salle Elie de Brignac
Programmation : www.musiqueadeauville.com
Rés. : www.badgecid.com
 
 Photo ( Julien Chauvin, Jean Rondeau et Alexis Kossenko) © Claude Doaré
 

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