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16ème Festival baroque du Pays du Mont-Blanc - Saveurs d’Italie - Compte-rendu

Magnifique écrin naturel, le Pays du Mont Blanc est aussi une terre de baroque, comme en témoignent ses nombreux clochers. C’est pour faire vivre ce patrimoine à l’unisson de la musique qui lui est contemporaine qu’un festival a vu le jour à la fin des années 90, soutenu en particulier par la communauté de communes – sa principale source de subvention : 50 000 € sur un budget de 60 000 €. Intime et convivial, le rendez-vous savoyard est resté fidèle aux valeurs qui, il y a trente ans, avaient porté l’engouement pour les festivals, véritable outil de décentralisation culturelle. Bien que modeste, sa légitimité se confirme désormais auprès du public, à en juger par les salles combles des deux premiers concerts d’une 16ème édition, qui voit arriver Hugo Reyne à la direction artistique.

Placée sous le signe de Corelli et de l’Italie, la programmation 2013 s’ouvre avec Jean Tubéry et son ensemble La Fenice en trio – Jérôme Huille au violoncelle et lirone, et Philippe Grisvard au clavecin et orgue positif. Pour sa première venue au festival, le spécialiste du cornet a élaboré une navigation musicale au gré de la péninsule et de l’histoire de son instrument, de Naples à Venise, en passant par Rome, Florence et Milan. De la production napolitaine se détachent La soave melodia e sua corrente d’Andrea Falconiero, qui fait goûter la sonorité douce et intime du cornet droit, et la Corrente l’Avellina, pour flûte, débordante de fraîcheur et de vélocité. Rome est évidemment le territoire de Frescobaldi et fait apprécier le jeu nourri de Philippe Grisvard. L’espiègle Capriccio sopra il cucco : un des nombreux avatars d’imitations d’oiseaux que nous a légué le corpus baroque. Habile pédagogue, Jean Tubéry aime à présenter les pièces, mais c’est comédien qu’il s’improvise avec ses deux comparses dans la Tarentelle napoletana « Il cembalo d’amore » due à Anasthasius Kircher, restituant à cette pièce populaire toute sa saveur – sans surprise, elle sera donnée en bis à la fin de la soirée. La jubilante préciosité d’une diction à l’ancienne ferait presque passer pour timide l’ostinato du violoncelle.

On admire la richesse expressive de la flûte dans Amarilli mia bella de Caccini diminué par Jan Jacob Van Eyck – les contrechants ! Après Florence, Milan et ses madrigaux. Si Suzanne un jour de Lasso reprise par Rognoni souligne surtout la maîtrise du violoncelle, Pulchra es amica mia de Palestrina réécrit par le même Rognoni surprend par l’émouvante et inhabituelle introversion du cornet à bouquin – un sens de la couleur magnifié par Jean Tubéry. La croisière s’achève à Venise où triomphe la raison instrumentale. Le Passamezzo moderno de Pesenti constitue un exemple du style concertant qui commençait à s’affirmer au début du Seicento. Mais le Passamezzo anticho de Picchi, pour clavecin seul, n’a rien de daté et annonce par la dynamique et l’ornementation l’écriture de Domenico Scarlatti. Chant du cygne du cornet qui tombera en désuétude après la grande peste qui décima Venise en 1631, la Sonata seconda de Fontana dévoile un bel éventail expressif dans une forme encore nouvelle pour l’époque et referme ce programme qui fera d’ailleurs, en partie, l’objet d’un enregistrement.

Remplissant sa mission de tribune pour les jeunes ensembles de la région, le festival accueille le lendemain à Cordon, son « foyer », l’ensemble Il Delirio fantastico (photo) fondé il y a deux ans par le claveciniste Vincent Bernhardt avec des condisciples du CNSMD de Lyon. Plutôt que de présenter les concertos pour soliste de Vivaldi, on a opté pour ceux da camera, composés pour la cour de Mantoue. N’ayant pas d’orchestre à résidence, le compositeur vénitien en a profité pour expérimenter des associations de timbres et de couleurs. Cette inventivité, on la retrouve dans le travail des interprètes sur la basse continue, avec des combinaisons différentes selon le caractère des mouvements. Selon la tradition renseignée par les témoignages et les traités, Vincent Bernhardt privilégie un jeu plein, qui contraste avec la sobriété du théorbe (Ulrik Gaston Larsen). Si l’on retrouve dans ces concerti da camera les formules récurrentes chez le Prêtre roux, ils réservent cependant de jolies trouvailles. Dans l’Adagio du RV 94 en ré majeur, le solo de flûte s’appuie sur de délicats pizzicati du violon. Le RV 92 en ré majeur séduit quant à lui par ses modulations audacieuses. Nerveux et brillant, l’archet de Reynier Guerrero s’expose dans la Sonate en sol mineur RV 28, page d’une grande fluidité mélodique, mais paie le tribut de la relative instabilité du violon baroque. Le RV 107, en sol mineur, referme ce florilège de manière très inspirée, entre un Largo où s’entrelacent les voix de la flûte et du hautbois et une ébouriffante chaconne finale, laquelle sera reprise après le troisième mouvement de La Tempesta di Mare, pour le plus grand bonheur de l’auditoire.

Gilles Charlassier

Ensemble La Fenice – Servoz, Eglise Saint-Loup, 7 juillet 2013 Ensemble Il Delirio fantastico – Cordon, Eglise Notre-Dame de l’Assomption Festival baroque du Pays du Mont-Blanc – du 6 au 20 juillet 2013

Site de l’ensemble Il Delirio fantastico : www.ildeliriofantastico.com
Site de l’ensemble La Fenice : www.ensemblelafenice.fr

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Photo : DR
 

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