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La Chronique de Jacques Doucelin - "Festivalite" et peau de chagrin

Fut un temps, pas si lointain, où la moindre chapelle, le plus petit pan de mur moyenâgeux donnait naissance à un festival de musique généralement classique. On en dénombra ainsi autant que de sortes de fromages dans l’Hexagone, soit plus de deux cents, assidûment fréquentés par des vacanciers venus des villes vers la campagne ! Cette floraison musicale a correspondu, sur le plan culturel, aux fameuses trente glorieuses consécutives au boom économique de l’après guerre.

Mais la crise du pétrole a balayé la relative euphorie du dernier quart du XXe siècle: l’argent se fait désormais rare et cher. L’Etat a rogné dans les subventions de 5% pour les budgets 2006. Depuis une décennie, il a même modifié les clefs de répartition de sa manne financière, parallèlement à son désengagement au détriment des collectivités locales. C’est ainsi que les aides d’Etat sont de plus en plus concentrées sur quelques manifestations phares, ou en tout cas considérées comme telles par les pouvoirs publics.

Les festivals d’Aix et d’Avignon - comme l’Opéra de Paris ou la Comédie française parmi les grandes institutions culturelles parisiennes - concentrent l’essentiel de l’argent public. Le reste des manifestations estivales se débrouillent comme elles peuvent, régions, départements et communes étant priés de mettre la main à la poche. Ce qui n’est pas honteux en soi, puisque les festivals contribuent amplement à drainer des touristes dans ces localités, qui alimentent le commerce du cru. Le désengagement généralisé de l’Etat risque, évidemment, de livrer les initiatives festivalières aux aléas de cloche merle…Il y a hélas, des exemples! Au fil des ans, on voit ainsi le tissu festivalier de la France s’éclaircir dangereusement. Il y a certes, la mortalité naturelle: car les festivals sont mortels comme les civilisations et les hommes qui les ont créés. Ces derniers n’ont pas toujours le temps, ou le désir, de « passer la main » comme l’a fait Guy Ramona à Jean-Michel Mathé pour le Festival de La Chaise-Dieu qui vient fêter son quarantième anniversaire. Mais le prix de sa survie au sein de l’ensemble auvergnat fut son extension géographique à d’autres lieux que la sublime abbaye révélée à la musique par le pianiste Georges Cziffra en 1966.

Le Festival Pablo Casals à Prades a su reprendre souffle grâce au clarinettiste Michel Lethiec qui s’applique à garder présent dans ses programmes l’esprit du grand violoncelliste catalan sans craindre d’innover. Celui de la Grange de Meslay, en revanche, n’a pas survécu à la disparition de son inventeur, le génial pianiste russe Sviatoslav Richter. Comme quoi, les festivals aussi peuvent avoir une âme. Et quand elle s’envole, la coquille reste vide, quelle que soit l’agitation des marchands du temple.

A l’inverse, la présence exclusive de Radio France au Festival de Montpellier, qui ne devait être à l’origine voilà plus de vingt ans, qu’éphémère, perdure au-delà du raisonnable. Cette permanence empêche notre structure nationale de diffusion radiophonique de remplir sa mission de refléter l’ensemble de l’activité musicale de l’hexagone. C’est peu de dire, en effet, que Radio France ne remplit plus depuis des années son rôle de diffuseur de l’activité musicale nationale. Ce qui est un vrai problème en un temps de toute puissance des medias et de la communication. Si l’on voit France Musique installer ses micros au service des grosses machines commerciales que sont les Folles Journées nantaises et le Festival de La Roque d’Anthéron, elle les distribue avec une regrettable parcimonie à des manifestations quantitativement moins importantes, certes, mais plus riches artistiquement.

Si les télévisions régionales remplissent avec beaucoup d’honnêteté, en général, leur rôle d’informateur du public sur les programmes des festivals de leur ressort géographique, il n’en va pas de même de notre radio nationale, pourtant financée par l’argent des contribuables. Elle retransmet, certes, les prestations de ses propres orchestres à Montpellier et aux Chorégies d’Orange, ainsi que quelques « musts » internationaux, de Bayreuth à Salzbourg grâce aux accords dont elle bénéficie au sein de l’Union européenne de radio. Mais pour le Festival d’Aix, silence radio, si l’on ose dire. L’argument invoqué, certes véridique, c’est que le Festival d’Aix exige des droits de retransmission trop élevés pour le service public. Ajoutons: d’autant moins justifiés que les contribuables ont déjà subventionné les productions aixoises.

Cela explique que la chaîne concurrente, mais totalement privée, Radio Classique a emporté le morceau en faisant appel à un mécène. C’est son droit. Celui-ci mérite de figurer au premier rang des mécènes du Festival d’Aix. Car compte tenu de l’importance de la subvention d’Etat, la retransmission gratuite et obligatoire sur la radio nationale des spectacles d’Aix devrait figurer au cahier des charges de la manifestation.

Selon sa direction, le Festival d’Aix a accueilli cet été 50 .000 personnes. On n’aura pas la cruauté de rappeler que c’est le nombre de spectateurs que Salzbourg reçoit en cinq jours ! (1) Car lorsque Karajan a pris les rênes du festival dans les années 1960, il a commencé par édifier une salle de 3000 places tout simplement pour financer le nombre et la qualité des spectacles qu’il voulait afficher. C’est un problème de gestion financière. Le théâtre de 1.300 places qu’on doit inaugurer à Aix l’année prochaine semble bien insuffisant. Rien que cet été, si les prix des places les plus élevés ont doublé, la part de la billetterie n’atteint toujours que 18% du budget total. On souhaite bonne chance à Bernard Foccroulle qui succède à Stéphane Lissner.

Jacques Doucelin

(1) Le parc salzbourgeois comprend la grande salle (3.000 places), la petite (1.350), le Manège des rochers (1.500), le Théâtre municipal (1.200), la salle du Mozarteum (800) : 7.850 fauteuils sont ainsi offerts chaque soir aux mélomanes sans compter, certaines années, la cour du palais de l’archevêque (1.000 places) et le Perner-Insel voué au théâtre parlé (plus de 2.000 places). Les 10.000 places par soirée sont un minimum.

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Photo : DR

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