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L’Alvin Ailey American Dance Theater au Châtelet - Corps triomphants - Compte-rendu

Ils sont de retour pour la quatrième fois aux Etés de la danse, avec un énorme succès. On reproche fréquemment à la compagnie Alvin Ailey d’avoir tout dit de ce qui constituait la force de son message car depuis 57 ans, ce formidable porte étendard d’une Amérique ô combien profonde montre au monde l’originalité de son tempérament et assure la transmission d’un style forgé aux sources de la danse américaine. Puis le temps a passé, et l’élan, nourri de la formidable musculature noire, de l’affliction d’un peuple opprimé et d’un art né grâce aux techniques les plus sophistiquées de l’expression dansée, qu’Ailey avait apprises de Martha Graham et Doris Humphrey, a paru moins en phase avec son temps, plus proche des ghettos que des champs de coton. L’accueil spontané, enthousiasmé du public du Châtelet pour la première des 27 représentations prévues a pourtant montré que le message passait toujours.
 
Telle est la force de la danse : on le sait, les expressions se démodent et l’air du temps qui les a portées se charge d’autres nuages, mais les corps sont là, bien vivants, jeunes et glorieux, et eux redonnent toute sa vie à un langage peut-être dépassé. Au fait, dépassé par quoi ? Certes la compagnie que dirige aujourd’hui Robert Battle se veut ouverte, et non contente de faire appel à des pointures de la danse universelle comme Van Manen, elle tend la main à de nouvelles signatures inconnues en France. D’où 18 ballets de styles et d’horizons variés, dont on a pu découvrir trois, outre la montée finale sur l’emblématique Revelations d’Ailey lui-même.
 
On est, d’emblée, plongé dans la nuit, avec Lift, de la canadienne Aszure Barton : un tintamarre évoquant un cyclone entoure les évocations très mécaniques, portées par on ne sait quelle nécessité, de danseurs dont on admire heureusement la plastique et les moyens exceptionnels. Les garçons sont d’ailleurs, tout au long du spectacle, plus en valeur que les filles, avec leurs statures spectaculaires, leurs torses nus et luisants, mais nullement bodybuildés, et plus que tout leurs bras immenses, souplement déployés comme les ailes de la reine des cygnes. Les découvrir permet de conjurer l’ennui.
 
After the rain est plus connu, il est du gentil Christopher Wheeldon, qui a mis en pas le très honnête American in Paris du Châtelet : joli couple, jolies évolutions de Linda Celeste Sims et de Glenn Allen Sims, parfait pour un gala. Mais on attend plus. Avec Four Corners, la vitalité de la troupe commence à passer la rampe : signée de Ronald Brown, la pièce secoue les danseurs avec une belle énergie et une richesse rythmique incontestable.
 
Puis vient le tant attendu Revelations et force est de dire qu’Ailey est le gagnant : certes, il s’agit là d’un de ses chefs-d’œuvre, avec ce fond de gospels qui tord l’âme. Sans vouloir n’être qu’une troupe à portée historique, il est clair que la compagnie y trouve son âme, et que les individualités fortes de certains solistes écrivent ici les pages d’un même livre. Le public a crié sa joie à cette explosion d’émotions sincères et vraies, à cette ample et rigoureuse gestique qui fait de la danse un art indispensable et non une ratiocination d’intellectuels.
 
Jacqueline Thuilleux

Paris, Châtelet, 7 juillet, prochaines représentations les 9(gala), 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 31juillet et 1er août. www.chatelet-theatre.com / www.lesetesdeladanse.com

Photo © Andrew Eccles

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