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Festival Passions baroques 2025 (Montauban) – La musique en voyage – Compte rendu

Promenade dans le temps : cet intitulé du concert inaugural de Passions baroques 2025, par l’Ensemble Calico au Musée Ingres-Bourdelle, fait écho à l’esprit de rencontres invitant chaque année le public à voyager dans l’espace et le temps. Après la France (de Janequin à Rameau), le périple se poursuivait dans l’Angleterre de John Blow avec une œuvre connue de tous… dans les dictionnaires de musique, mais rarement entendue : Vénus et Adonis passe pour être le plus ancien semi-opera ou masque anglais conservé (1681 ou 1683), en l’occurrence par le Jeune Orchestre Baroque Européen placé sous la direction musicale et artistique de Sylvain Sartre et Margaux Blanchard. La traditionnelle exposition à la Maison du Crieur, cette année des costumes de scène inspirés des XVIIet XVIIIe siècles mis à disposition par le Centre de musique baroque de Versailles, accompagnait cette thématique.
 
 
Danza ! El Fenix de París

 
Le second week-end transporta l’auditoire, au Théâtre Olympe de Gouges, simultanément en Espagne et à la cour de France avec Danza ! El Fenix de París, spectacle du Poème Harmonique et Vincent Dumestre centré sur la figure énigmatique de Luis de Briceño (v.1581-v.1646). On doit à ce virtuose installé à Paris sous le règne de Louis XIII une Méthode très facile pour apprendre à jouer de la guitare [à cinq cordes] à l'espagnole, véritable cancionero publié chez Ballard en 1626 – « il séduit alors l’aristocratie parisienne tout en s’attirant les foudres de Moulinié, ardent défenseur du luth français ». Reprenant celui du CD Alpha de 2011, le programme complète la musique de Briceño, outre un monologue de Pedro Calderón de la Barca, de pages en espagnol signées Martin y Coll, Henry Le Bailly et même… Étienne Moulinié. La matière des pièces de Briceño est en réalité si ténue (les mélodies en sont absentes, jugées connues) qu’elle exige des musiciens, après d’intenses recherches comparatives, une part essentielle de réécriture généreusement rehaussée d’improvisation. Au point que ce spectacle, bien que sans la danse qui en compléterait à merveille l’idée, se révèle un moment très contemporain d’expression musicale, chaque protagoniste s’y affirmant recréateur de l’instant.

 

de g. à dr. : Vincent Dumestre, Rozarta Luka, Isabelle Druet (et derrière elle Joël Grare), Simon Guidicelli & Lucas Peres © Auxie Boivin

Mobilité expressive

Étaient réunis la mezzo-soprano Isabelle Druet (photo), chanteuse et diseuse d’une piquante et spirituelle mobilité expressive, passant de l’affliction d’un Lloren mis ojos anonyme à de vives pages d’inspiration populaire ; le violon aérien de Rozarta Luka, dont la couleur grave et chatoyante évoque des saveurs d’anches douces ; la viole de gambe de Lucas Peres, jouée également sans archet telle une guitare XXL ; la contrebasse de Simon Guidicelli, elle aussi avec ou sans archet – et alors étonnamment proche par l’esprit et l’impact d’une jam session ; les percussions de Joël Grare, élégante discrétion et présence enjouée, parfois un presque rien faisant penser dans leur maniement, en particulier lors d’un étonnant solo, à un jeu de prestidigitateur ; enfin la guitare baroque, chantante et rythmante, de Vincent Dumestre lui-même, présentant Briceño et les œuvres tout en confortant un lien chaleureux avec le public, comblé. À l’appui de la diversité du programme et de sa libre restitution, deux bis pour élargir plus encore l’espace : un chant séfarade du XIIayant traversé les siècles, mais aussi, à l’instar du bonus surprise du CD au-delà de sa durée annoncée, un fado non moins atemporel et d’une irrésistible nostalgie.

 

Jean-Marc Andrieu & Dulci Jubilo © André Bourhis

1643, l’héritage italien
 
À l’issue de l’édition 2024 (1), Jean-Marc Andrieu, directeur artistique de l’Orchestre Les Passions et du Festival Passions baroques, avait lancé pour 2025 une idée riche de promesses : 1643. La fin d’une ère, mais en forme d’apogée, le début d’une autre, dans un esprit de transmission. En 1643 disparaissent Monteverdi et Frescobaldi, naît Marc-Antoine Charpentier. Le programme donné en l’église Saint-Jacques est l’un des plus beaux jamais proposés par Les Passions, dont les instrumentistes dialoguaient avec les voix de Dulci Jubilo de Christopher Gibert. Les deux chefs se partageaient la direction de ce concert redonné le lendemain à Cahors sous la seule direction du second – il sera repris les 6 juillet et 12 septembre 2026 à Saint-Donat (Drôme) et au château de Bournazel (Aveyron).

Lumière monteverdienne

Christopher Gibert ouvrit la soirée avec Monteverdi : lumineuses Litanies de la Vierge bienheureuse (1626), suivies d’un Beatus vir exaltant de la Selva morale (1641), dirigé par Jean-Marc Andrieu. Six voix et quatre instruments, formation certes de chambre mais ici d’une incroyable plénitude, à même de déployer toute la magie de l’harmonie montéverdienne. Chaque soliste vocal apporte sa propre couleur et intensité, tous solistes et parfaits ripiénistes. Avec dans la tenue finale de chaque œuvre du programme une stabilité, une homogénéité et une complétude tant de couleur que de dynamique tout simplement enchanteresses. En guise de riche intermède suivirent de Frescobaldi, dont on connaît surtout l’œuvre pour clavier, deux rares Canzone en sections multiples et contrastées a due canti et basso : les virtuoses et poétiques Flavio Losco et François Costa au violon, Marjolaine Cambon à la viole de gambe, magistral soutien tout au long du concert – on l’avait entendue lors du traditionnel Impromptu de milieu de journée au violoncelle, en dialogue avec la comédienne Nathalie Vidal lisant des extraits de 555 d’Hélène Gestern, au clavecin transcrit de Domenico Scarlatti répondant entre autres son père Alessandro et Bach –, enfin l’irremplaçable Yasuko Uyama-Bouvard à l’orgue positif, portant l’ensemble du spectre harmonique.
 
Apparat musical et spirituel

Autre grand moment de la soirée : l’oratorio Jephté (v. 1648) de Carissimi. Si le manuscrit original de cette Historia est perdu, la BnF en conserve une copie de la main de Charpentier. Les six voix s’y répartissent les deux « rôles » : le ténor Thibault Givaja en Jephté, timbre chaleureux et projection aisée ; la soprano Clémence Garcia en Fille de Jephté, partie de grande ampleur abordée avec vaillance et éloquence, personnages entourés de commentateurs du drame – la soprano Clémence Montagne, voix ductile et soyeuse, l’alto Lucile Rentz au timbre singulier et prenant, les basses Éric Beillevaire et Xavier Bazoge, très souplement sonores et articulées : tous parties prenantes d’un drame bouleversant – vœu, bataille, lamentation, déploration. Le très fameux chœur final, résolument structuré, fut restitué de manière suprêmement harmonieuse. Influencé à Rome par Carissimi et l’oratorio italien, dont il fut l’un des rares représentants en France, Charpentier refermait symétriquement la soirée : grandes Litanies à la Vierge à six voix, pour Mademoiselle de Guise, Christopher Gibert reprenant la direction cependant que Jean-Marc Andrieu rejoignait les instruments pour doubler, à la flûte à bec, la partie de violon. Même apparat musical et spirituel pour cette œuvre s’intégrant à la perfection dans un admirable programme italien.

 

de g. à dr. : Josépha Jégard, Bérengère Maillard, Myriam Bis-Cambreling, Jean-Marc Andrieu & Pauline Lacambra © Auxie Boivin

Feu d'artifice
 
Si Christopher Gibert dirigeait seul le lendemain à Cahors, c’est que Jean-Marc Andrieu, accompagné au même moment d’un quatuor à cordes entièrement féminin issu des Passions, refermait le Festival avec un programme pour flûte à bec concertante à l’abbaye de Belleperche (Cordes-Tolosannes), réputée pour son vaste et remarquable Musée des Arts de la Table. Donné deux fois de suite dans l’après-midi, il faisait la part belle à Georg Philipp Telemann : Suite (de danses et de pièces de caractère) en la mineur et Concerto en do majeur, l’un et l’autre pour flûte alto et débordant de créative exubérance, encadraient un Concerto en fa majeur délicieusement gazouillant d’idées et de volubilité pour flûte à bec soprano signé Giuseppe Sammartini, dont une allante sicilienne. À un Jean-Marc Andrieu virtuosissime répondaient avec prestance Josépha Jégard et Bérengère Maillard (violons), Myriam Bis-Cambreling (alto) et Pauline Lacambra (violoncelle). Ultime concert en forme de feu d’artifice pour couronner une édition 2025 plébiscitée par un public venu chaque fois nombreux et chaleureusement attentif.
 
Comme de tradition, une idée a été lancée en prévision de la 12édition de Passions baroques, en 2026 : les deux chefs aimeraient se plonger dans le cycle de Cantates de Buxtehude Membra Jesu nostri
 
Michel Roubinet
 

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