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"Racines" par le Ballet de l’Opéra de Paris – Soirée paisible – Compte-rendu

 

 
On se cale, et on se laisse bercer par un charmant académisme, qui ne procure aucune vraie émotion, mais un moment de paisible esthétisme, dont l’unité, soulignée par le nom de Racines donné au programme – bien qu’il prétende en explorer aussi la diversité – surprend tant les dates en sont éloignées : de George Balanchine, avec son Thème et Variations, créé en 1924 à New York, à Mthuthuzeli November, venu de sa lointaine Afrique du Sud pour ajouter sa jolie pierre à l’édifice classique en 2024 avec Rhapsodies, et enfin Christopher Wheeldon, chorégraphe très goûté à ce jour pour son élégance et qui écrivit ses Corybantic Games en 2018 pour le Royal Ballet de Londres.

 

Thème et Variations (chor. G. Balanchine) © Maria-Helena Buckley - OnP  

Un rêve d’Amérique
 
En fait, un fil continu les relie avec bien sûr des volutes, des broderies, mais qui utilise une technique classique de pointes qui ne révolutionne en rien le langage académique et surtout ne lui donne pas une force nouvelle : avec un Géorgien natif de Saint-Pétersbourg, venu créer la danse classique américaine, qui manquait singulièrement de cette grammaire à l’époque, un Sud-africain fasciné par ce langage alors qu’il est issu de la danse de rue et retourne ainsi aux sources, enfin un Anglais demeuré bien inscrit dans le patrimoine du vieux continent. Et pour tous trois, une essence commune, un rêve d’Amérique, qui fait le véritable axe du spectacle : Thème et variations certes repose sur Tchaïkovski mais Balanchine – qui n’est pas encore, en 1924, le Balanchine mythique adapté aux longues jambes des Américaines – le construit comme un clin d’œil aux sources classiques européennes : beaux dégagés, larges arabesques, et ensembles géométriques qui, parcourus de légères syncopes, laissent entrevoir ce que sera sa collaboration avec Stravinsky.
Il y a là de vertigineuses difficultés, même si elles ne se veulent pas provocatrices, ainsi lorsque l’étoile féminine plantée sur pointes, effectue ses figures en se reposant d’un air indifférent sur les autres ballerines, elles-mêmes également sur pointes. Elles la soutiennent comme si elles buvaient une tasse de thé, petit doigt en l’air. Technique superbe, donc, beaux ensembles et intérêt distingué, même si Bleuenn Battistoni, fine étoile et son partenaire Thomas Docquir, accomplissent ces prouesses avec classe, sans peut-être l’éclat qui pourrait faire un peu plus briller l’œuvre, convenable, convenue. 

 

Rhapsodies (chor. M. November) © Maria-Helena Buckley - OnP

De solides attitudes classiques
 
On attendait un plus grand choc de la part de Mthuthuzeli November, avec Rhapsodies, sur la sublime musique de Gershwin de 1925, si accrocheuse, si sexy et jouée avec tonus par le pianiste Michel Dietlin, avec l’Orchestre de l’Opéra, bien mené par l’incontournable Vello Pähn. Les figures de danseurs ondulants, où l’on croit discerner un couple soliste avec notamment la belle Letizia Galloni et Yvon Demol, sont englouties dans les sinusoïdes un peu apparentées à la danse africaine mais vite rétablies par de solides attitudes classiques. Le tout avec tuniques sobres, dans des tons peu provoquants, alors que la partition de Gershwin l’est tellement. Joli ballet, coulant et plastique, mais manquant du côté jazzy qui devrait lui donner tout son sel. Sans parler du poivre. On rêve du Fantasia 2000, de Walt Disney, le meilleur chorégraphe d’entre tous …

 

Corybantic Games ( Chor. C. Wheeldon) © Maria-Helena Buckley - OnP

 
Une fluidité un peu atone
 
Enfin, Christopher Wheeldon, enfant chéri de la scène contemporaine quand elle croit se renouveler en restant fidèle à l’essentiel de son héritage : sur Bersntein, Serenade after Plato’s Symposium, bien dessinée par le violon de Frédéric Laroque, d’une vivacité accrocheuse, un rien prétentieuse cependant, avec des Corybantic Games qui font référence à Platon, Socrate, etc. On peut faire dire beaucoup de choses à la danse, mais peut être pas tout quand il s’agit de concepts philosophiques aussi précis. Ici, sur fond de cadres mobiles mais bien raides cependant, signés Jean-Marc Puissant et qui évoquent le tracé de quelque temple dorique, les danseurs sont censés faire revivre les corybantes, ces corps enfiévrés par la transe, se déchaînant en l’honneur de quelque divinité, Cybèle ou Apollon.
En fait, même si les costumes d’Eldem Moralioglu, tuniques blanches barrées de lignes graphiques, se veulent d’une amoureuse mathématique, et ondulent avec une expressive délicatesse , le reste de la chorégraphie, à une époque où l’on est habitué à une grande force dans le retour aux sources de la violence corporelle libératrice, surprend par son élégance et sa fluidité un peu atones, les corps se coulant et s’enchevêtrant dans des figures comme dégagées des contingences terrestres, plus angéliques qu’organiques, esprits flottants là où l’on attendrait une force sacrificielle. Surprenant, d’autant qu’aucun danseur ne s’y détache. Retour aux racines certes, mais pas encore sorties de terre. On a regardé avec plaisir, admiré, et rangé.
 
Jacqueline Thuilleux

 

« Racines » (chor. G. Balanchine / M. November / C. Wheeldon) – Paris, Opéra Bastille, 9 octobre ; prochaines représentations, les 12, 15, 17, 18, 23, 24, 28, 29 octobre, 6, 7 & 10 novembre 2025 // www.operadeparis.fr/saison-25-26/ballet/balanchine-november-wheeldon
 
Photo  © Maria-Helena Buckley - OnP

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