Journal
Cavalleria rusticana et Pagliacci selon Silvia Paoli à l’Opéra de Montpellier – Drames d’aujourd’hui- Compte rendu

Pour ouvrir sa saison, l’Opéra Orchestre National de Montpellier vient de donner deux représentations de Cavalleria rusticana et Pagliacci, en coproduction avec Toulon et Dijon. Créée en juillet 2024 à Châteauvallon dans le cadre de la saison hors les murs toulonnaise, ce spectacle est mis en scène avec grande intelligence par Silvia Paoli.
Une actualisation réussie
Si les actualisations d’œuvres du répertoire laissent parfois dubitatif – voire plus ... –, celle imaginée par Silvia Paoli pour le dyptique « Cav/Pag » est, à notre sens, un modèle de réussite sans aucun contresens mettant en lumière la pérennité des maux de nos sociétés. Signé Emanuele Sinisi, le décor, commun aux deux opéras, propose pour Cavalleria rusticana les gradins en béton d’un théâtre de quartier désaffecté et tagué. Le lieu est grillagé sur trois côtés et, à cour, une croix lumineuse se dresse en haut des marches. Côté jardin, sous un réverbère, un fauteuil devant la télé de Mamma Lucia et des bouteilles et cannettes vides. Quelques junkies s’y retrouvent non loin d’une vieille dame sdf qui y a trouvé refuge. Santuzza, vient acheter un sachet de came avant de clamer sa peine auprès de Lucia ; son fils, Turiddu, qui l’a déshonorée en la mettant enceinte, l’a quittée pour retrouver Lola, son ancienne fiancée mariée à Alfio.

Cavalleria rusticana © Marc Ginot - OONM
La société villageoise sicilienne est là en ce jour de Pâques où Alfio, mafieux de pacotille suivi par ses petites frappes, vient distribuer des œufs à l’assistance avant qu’elle ne se rende à l’office. Entre temps le drame s’est noué, au centre du théâtre, la sdf, présence remarquable de la comédienne Giusi Merli, est devenue une mater dolorosa et Santuzza a informé Alfio qu’il était cocu ; le duel qui suivra sera fatal à Turiddu. Tout ceci devant une phrase écrite en leds rouges « averti que dio te vede »… Dieu te regarde !

> Les prochains concerts en Languedoc-Roussillon <
Transition entre les œuvres : la mater dolorosa sdf est morte allongée sur un banc. Au début de la représentation de Pagliacci, les secours emportent sa dépouille et ses effets personnels. La scène est désormais totalement grillagée et devant les marches du théâtre, deux jeux d’un parc d’enfant : un cheval à ressort et un portique. Le deuxième drame peut se jouer. Canio, clown triste, trompé et jaloux, va pouvoir tuer sa Colombine, Nedda, pendant une représentation. Cette dernière, dénoncée par Tonio, un membre de la troupe circassienne duquel elle a repoussé sans ménagement les avances, avait programmé sa fuite avec son amoureux Silvio. La mise en abyme est des plus réussies.

Pagliacci © Marc Ginot - OONM
Magnifique Santuzza
Pour cette ouverture à l’opéra Berlioz de Montpellier, ce sont les femmes qui vont briller. Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, tout d’abord. Une Santuzza désespérée qui va jusqu’à la trahison mortelle de son amoureux. La voix est solide, percutante, la ligne de chant précise. Des qualités dont ne manque pas Galina Cheplakova, charmante Nedda qui cisèle avec passion son amour interdit pour Silvio, Leon Kim, solide baryton, voix chaude et colorée ; leur duo est magnifique. La mama Lucia de Julie Pasturaud, voix mature et sensible, est émouvante et digne et la Lola de Reut Ventoreto, insouciante et frivole à souhait, voix limpide et précise.
Du côté masculin, Azer Zada, Turiddu et Canio, est un ténor précis mais léger, très léger ; sa voix a du mal à passer la fosse et cette lacune prive la représentation d’une passion qui doit amener le frisson. Dommage. Tomasz Kumiega incarne Alfio et Tonio avec un égal bonheur. Sa stature est aussi imposante que sa voix, puissante et grave, emplie de couleurs dramatiques. Le ténor Maciej Kwasnikowski, Beppe, se montre ici totalement à sa place, voix précise et bien projetée.

Pagliacci © Marc Ginot - OONM
Chœurs à la hauteur
Idéalement préparés par Noëlle Gény et Anass Ismat, leurs chefs respectifs, le chœur de l’opéra montpellierain, celui de l’opéra de Dijon et le Chœur Opéra Junior (dir. Albert Alcaraz) répondent parfaitement aux nombreuses sollicitations de la mise en scène tout en demeurant très attentifs à celles du chef d’orchestre. A la tête d’une formation ne demandant qu’à laisser s’exprimer passion et couleurs, Yoel Gamzou livre une lecture certes précise, mais parfois assez linéaire. Un mot, enfin, pour signaler la pertinence des chorégraphies mises en place par Emanuele Rosa qui participent à la crédibilité de l’actualisation des deux pièces. À Montpellier « La commedia è finita… » La saison peut commencer !

Mascagni : Cavalleria rusticana / Leoncavallo : Pagliacci –Montpellier, Opéra Berlioz - Le Corum Montpellier, 3 octobre 2025.
Prochaines représentations à l’Opéra de Dijon les 5, 7 & 9 novembre 2025 ( avec une distribution différente : https://opera-dijon.fr/fr/au-programme/calendrier/saison-25-26/cavalleria-rusticana-pagliacci/ )
Photo © Marc Ginot - OONM
Derniers articles
-
06 Octobre 2025Michel EGEA
-
06 Octobre 2025Alain COCHARD
-
06 Octobre 2025Laurent BURY