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2e2m et Multilatérale au Festival Ensemble(s) 2025 ( Bagnolet ) – Musiques en regard – Compte rendu

Pour la sixième année, le Festival Ensemble(s) ouvre la saison contemporaine parisienne, à deux pas au-delà du périphérique, au théâtre L’Échangeur à Bagnolet. Belle idée que ce long week-end qui réunit cinq acteurs de la création musicale : les ensembles 2e2m, Cairn, Court-Circuit, Multilatérale et Sillages. La troisième soirée (le week-end commençait cette année dès le mercredi) est l’occasion d’entendre le plus ancien (2e2m, fondé par Paul Méfano en 1972) et le plus jeune (Multilatérale, qui fête cette semaine ses 20 ans).

Le programme de 2e2m propose deux œuvres avec électronique. Le très énergique Shades of Ice (2011) de la Polonaise Agata Zubel, qui fut compositrice en résidence auprès de l’ensemble en 2019, tire son inspiration des grondements des glaciers d’Islande : la clarinette et du violoncelle jouent beaucoup sur la diffraction et l’éclat (multiphoniques, sons écrasés) et s’insinuent dans les sons enregistrés sur le terrain, amplifiés jusqu’à saturer l’espace sonore. Commande de l’ensemble à Hugo van Rechem (né en 1996), violoniste et mandoliniste aux frontières du jazz et du classique, GLID•(e)ING • CEIL•(ed)ING___bathbleedingdust convoque piano préparé, percussions, violoncelle et un chœur – celui des élèves du Conservatoire d’Ivry-sur-Seine. S’il y a bien quelques belles intentions tant pour la voix (utilisation rythmique de la voix parlée) que pour l’articulation avec les instruments, et s’il faut souligner le beau travail du chef Léo Margue (photo) auprès des jeunes chanteurs, cette fantaisie vaguement horrifique manque d’une construction solide et répète assez lourdement les mêmes effets sonores.

Philippe Hurel, figure imposée
Entre ces deux pièces, Léo Margue donne une interprétation pleine d’énergie d’… à mesure (1996) de Philippe Hurel, guidant parfaitement les jeux rythmiques auxquels se livrent les six musiciens – la « section rythmique » (la pianiste Chae-Um Kim et le percussionniste François Vallet-Tessier) s’y montre particulièrement brillante. Le compositeur, dont on fête cette année les 70 ans, est la « figure imposée » du festival, ses œuvres apparaissant dans chacun des programmes. Multilatérale a ainsi choisi pour le deuxième concert de la soirée, le Tombeau in memoriam Gérard Grisey (1998). Dans cette œuvre-rituel où les moments d’énergie pure (et tragique) alternent avec ceux où le temps s’élargit, la pianiste Lise Baudouin et la percussionniste Hélène Colombotti impressionnent.

Lise Baudoin & Hélène Colombotti
En regard, elles interprètent Argile de Lanqing Ding (née en 1990), une musique beaucoup plus linéaire mais qui manifeste un vrai sens de la poésie sonore. Autre mise en regard : blue horizons, tinnitus, red train, inorganic lines and their sorrows d’Ikumi Yamauchi (née en 1996), créée, comme la pièce de Lanqing Ding, en juillet dernier dans le cadre de l’académie ARCo organisée par Multilatérale à Marseille, reprend l’effectif de Dérive 1 de Pierre Boulez (1925-2016) – qui est d’ailleurs le même que celui d’… à mesure de Philippe Hurel. L’idée de cet hommage indirect, sans volonté de citer ni même d’évoquer, est intéressante mais, manquant d’unité, le souvenir de la pièce de la jeune compositrice s’efface devant la plénitude de Dérive. Julien Leroy dirige tout en fluidité, accentuant les couleurs des vents notamment (Marius Biscuit à la flûte, Alain billard à la clarinette).
Entre ces deux diptyques croisant les générations, Aurélie Saraf interprète Automate I d’Anne Castex (née en 1993), étude hybride pour harpe et électronique, à la subtile poésie mécanique. En avant-concert, la jeune Joséphine Dubois-Sengès, élève du Conservatoire du 11e arrondissement de Paris, créait avec brio Elle oscille pour harpe seule.
Jeunes et très jeunes artistes
En effet, chaque concert est précédé d’un prélude confié à de jeunes – voire très jeunes – musiciens. Ainsi la soirée s’est-elle ouverte avec le très poétique Parler oiseau de Séverine Ballon (née en 1980), joué par deux élèves du Conservatoire d’Ivry, Ulysse Monjardet (flûte) et Sofia Tapia-Primo (clarinette). L’écriture pour jeunes instrumentistes y est à son meilleur, tantôt mesurée ou plus libre, variant les effets sans en faire catalogue et ajoutant même une dimension scénique (arrivée et sortie par l’arrière-scène) et, mine de rien, une approche spatiale de la musique. Suit Ciglio II (1993), typique de l’écriture en mouvement perpétuel de Franco Donatoni (1927-2000), porté avec beaucoup d’engagement par Camille Wauquier (flûte) et Émilie Duchemin (violon), étudiante au Pôle Sup’93. De même, Irène Demongeot et Paola Bazelaire-Ferré (Conservatoire de Paris 11e), avant le concert de Multilatérale, rendent-elles toute la magie musicale et théâtrale des mots composés de Conversation et Dialogue amoureux de Georges Aperghis ; le compositeur, né à Athènes en 1945, a évidemment toute sa place ici à Bagnolet, lui qui y fonda l'Atelier de théâtre et musique (ATEM), réinventant le théâtre musical.
Jean-Guillaume Lebrun

Bagnolet, L’Échangeur, 19 septembre 2025 // https://festivalensembles.com
© Céline Bodin
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