Une fois de plus dans l’histoire du festival d'Aix, la bonbonnière du Jeu de Paume a vécu un temps fort avec la création de l’opéra de chambre imaginé par Oliver Leith et Ted Huffman d’après Billy Budd de Benjamin Britten (dans sa version en deux actes). Ils se sont emparés de l’histoire du jeune et beau marin pendu après avoir été faussement accusé par le capitaine d’armes d’appeler à la mutinerie.
 
La cage de scène sans artifices aucun pour l’immensité de l’océan, un praticable en guise de pont de navire pour abriter un huis clos cruel, modèle réduit de la société. Billy Budd est beau, c’est un fait ; il est aussi généreux, travailleur, respectueux, homosexuel, et bègue lorsque l’émotion le submerge. Dès son embarquement, il est pris en grippe par le capitaine d’armes, John Claggart, être brutal et malfaisant redouté à bord, qui mettra tout en œuvre, et notamment la trahison du compagnon de Budd, le novice, pour éliminer cet archétype de bonté et de beauté.

Noam Heinz (Le Second Maître), Hugo Brady (Le Novice) & Ian Rucker (Billy Budd) © Jean-Louis Fernandez

 
Haine et jalousie
 
Devant Vere, le capitaine du navire, Billy Budd sera dans l’incapacité de se défendre, pris par le bégaiement, et frappera involontairement Claggard, le tuant sur le coup. Même persuadé de l’innocence de Budd, Vere laissera la justice militaire, représentée par les officiers du bord, faire son travail et condamner Budd à la pendaison devant l’équipage.
Huffman et Leith, le premier à la mise en scène, le second à l’adaptation musicale, signent ici avec réalisme et grande sensibilité une œuvre qui n’élude aucune des vicissitudes de la vie, la jalousie et la haine en tête. L’approche scénique minimaliste et le travail effectué sur le texte pour le débarrasser des fioritures et aller à l’essentiel est totalement réussi et procure une intensité dramatique qui ne laisse personne indifférent. Claviers, percussions et synthétiseur, sous la direction de Finnegan Downie Dear, livrent une partition puissante et colorée, complément idéal de l’action.

Joshua Bloom (Claggart) & Christopher Sokolowski (Vere) © Jean-Louis Fernandez

 
Les voix de la jeunesse
 
Dirigés avec précision par Ted Huffman, les protagonistes n’ont aucune difficulté à se hisser au niveau de l’excellence tant dans le jeu que vocalement. Ian Rucker est un idéal Billy Budd, et sa beauté ne le fait pas passer à côté de son personnage auquel il confère toutes ses qualités humaines. La ligne de chant est précise, les aigus maîtrisés, la sensibilité omniprésente et la séduction n’a aucun mal à opérer. Joshua Bloom a la particularité d’être successivement le détestable Claggart et l’amical Dansker. Totalement crédible, il passe de l’un à l’autre sans aucun problème, modulant sa voix de basse, sombre, et la puissance de sa projection en fonction de son jeu sur scène. Quant à Christopher Sokolowski (Vere et Squeak) lui aussi fait preuve d’assurance avec un chant limpide, direct, aigus parfaits et grande sensibilité. Un trio d’exception auquel se sont joints avec bonheur trois chanteurs issus de la résidence voix de l’Académie 2025, le ténor Hugo Brady et les barytons Noam Heinz et Thomas Chenhall, pour incarner les autres rôles.
 
Une date supplémentaire
 
Cette production, qu’il avait initiée, Pierre Audi l’aurait certainement appréciée. A l’instar d’une salle bouleversée et conquise qui a réservé spontanément un triomphe debout aux artistes venus saluer à l’issue de la création. C’était mérité ! Face à un tel succès, une séance supplémentaire a été ajoutée à la série, le 10 juillet (à 15h)
 
Michel Egéa