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Yuja Wang et Gianandra Noseda clôturent le Festival de Verbier 2018 – Le passage des Alpes – Compte-rendu

Ultime occasion d’entendre le cru de l’année du Verbier Festival Orchestra, avec ce concert qui clôturait l’édition 2018 du Festival de Verbier, lequel fêtait son 25e anniversaire. Impossible de faire la somme de moments mémorables passés ici, en ce lieu de rencontres optimales entre les plus grandes figures de la musique et l’énergie de celles qui le seront demain. Une atmosphère unique où brille la jeunesse et où fleurit la bonne humeur, face à un public plutôt âgé mais qui n’en manifeste pas moins généreusement son appui et son enthousiasme.
 
Il est arrivé que l’Orchestre, pris en main cette année par Valery Gergiev, ait été mieux préparé et affiné. Mais ses pupitres de vents étaient en tous points remarquables, même pour les cors toujours si problématiques ! Là, c’est au très puissant Gianandrea Noseda qu’il revenait de frapper les derniers coups dans un concert consacré au seul Prokofiev : de quoi faire vibrer les parois de la salle des Combins et son nouveau toit, et tenir en haleine un public déjà surexcité. Le maestro, dont on sait la poigne aussi romantique que vigoureuse, a ici déchaîné les rythmes cocasses ou provocants de la Suite opus 33 bis, L’Amour des trois oranges, plus qu’il n’en a fait scintiller les couleurs. Une entrée en matière pétillante, menée militairement, et très revigorante. L’orchestre a sombré dans ce vertige avec une sorte d’enivrement.

© Aline Paley
 
Mais il n’a pas toujours pu suivre le déferlement de notes qui a suivi sous les doigts de la charismatique Yuja Wang (photo), égale à elle-même, mélange de féminité étalée à coups de fourreaux pailletés et de virilité agressive. Jolie baba yaga que cette exquise silhouette se jetant sur le clavier et y galopant avec une virtuosité qui n’a toujours rien perdu de sa quasi-démence. Les écrans placés sur les côtés du plateau permettaient notamment de suivre le ballet de ses doigts d’acier et de ressentir la force des muscles de ses avant-bras.
D’abord, le Concerto n°5 de Prokofiev, abrupt, violent, accrocheur, rageur. On n’en attend pas de vraie émotion mais une sorte de combat entre des forces obscures, ce qui allait comme un gant – de boxe – à la pianiste.
 
Pour le 3e Concerto, plus classique de facture, plus langoureux, avec ces appels d’horizon que Prokofiev sait si bien lancer, on aurait attendu un peu de poésie, un rien de doute, une pincée de rêve, un toucher adouci. Mais il n’en a rien été : lancée comme un bolide, Yuja Wang a continué comme une fusée, dépassant, on l’a dit, la battue du chef, qui poussait son orchestre comme il pouvait, et filant vers on ne sait quel firmament ! Etrange furia que celle qui lui fait à ce point négliger la musique au seul profit des notes. Au moins, on aura vérifié une chose : que le piano est vraiment un instrument à percussion ! Le public, ébloui, en redemande pourtant, preuve que les étincelles peuvent parfois remplacer le feu. Et il a obtenu, comme à l’accoutumée, la fameuse Toccata opus 11 dont la pianiste a fait son bis de prédilection. On ne pouvait que battre des mains.
 
Jacqueline Thuilleux

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Festival de Verbier, salle des Combins, le 5 août 2018    

Photo © Alain Paley

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