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Yo Yo Ma lève la baguette pour l’Académie de Villecroze - La corne d’abondance - Compte rendu

Yo Yo Ma

Formidable énergie que celle déployée tout au long de l’extraordinaire soirée organisée au Conservatoire de la Rue de Madrid par la présidente de l’Académie de Villecroze, Anne Postel-Vinay : prolongeant l’élan donné par la fondatrice de l’Académie, sa grand-mère Anne Gruner Schlumberger (1905-1993), elle s’emploie à encadrer, éclairer et soutenir les talents de jeunes musiciens, grâce à des sessions de masterclasses, organisées de mars à novembre, sous la houlette des plus grands maîtres et pédagogues.
 
On connaît le charme magique de ces haltes provençales aussi sereines que fructueuses, telles que Georges Zeisel les organise pour ProQuartet à Pont-Marie près d’Avignon, par exemple. Mais ici, c’est à un sublimé de beauté et de vitalité qu’on a pu goûter, preuve de la force de l’entreprise, aussi inscrite dans son siècle que dans une mission de transmission pérenne.
 
Au cœur de cette soirée rare, il y avait une sorte de totem, le violoncelle et sa voix d’ambre, un magicien inspiré pour le faire parler, Yo Yo Ma (photo), et plusieurs créateurs, compositeur, luthiers, graveur, tous engagés d’un même cœur et d’un même style dans l’entreprise: le but, confier à un jeune violoncelliste un instrument neuf, commandé par la Fondation, et remis à un artiste après plusieurs jours de travail intensif, pour lesquels YoYo Ma a offert gracieusement ses conseils et sa participation à ses amis Anne et Daniel Postel-Vinay, tandis que Xavier Delette, directeur du Conservatoire, ouvrait sa salle tout en dirigeant l’Ensemble formé par ses étudiants, et en transportant lui-même chaises et pupitres dans une ambiance d’une réjouissante ferveur.
 
En lever de rideau, le maître, Yo Yo Ma en personne : on a que peu l’occasion d’entendre celui dont l’aura le garde malheureusement trop outre-Atlantique, tant il est peu médiatique et s’attache à vivre et penser la musique plus qu’à courir les salles de concerts.
Exceptionnellement présent en France pour deux concerts à Paris et au Festival de Pâques d’Aix en Provence, le voici cette fois à l’écoute d’un groupe de violoncellistes choisis par l’Académie, outre quelques éléments proposés par le Conservatoire, les guidant, les épaulant avec cette douceur ferme qui irradie son jeu. Dire que le jeu des jeunes gens en a été transcendé est peu ! D’entrée, il  ouvre la porte de son royaume pour nous faire pénétrer dans la 1ère Suite BWV 1007 de Bach. On sait sa manière, qui est de donner à la musique sa plus ample respiration, son appel au large : elle n’a en rien changé, et après cet appel à la communion musicale,  un silence riche de sens a succédé à la joyeuse excitation de la rencontre.
 
Ensuite, cap sur la relève, avec David Popper et son Requiem op.66 pour trois violoncelles et piano, servi par Tristan  Cornut, Edgar Moreau et le subtil jeune pianiste Selim Mazari, lauréat du Concours Piano Campus 2013. Yo Yo Ma, autant qu’il y jouait et donnait la réplique, semblait entendre la voix des autres avec un bonheur contagieux. Puis lui-même, brillantissime, toujours avec Mazari, dans les Fantasiestücke, op.77 de Schumann. Dans la foulée, huit archets sont entrés en lice, faisant vibrer la Fantaisie à la manière de Callot, que Philippe Hersant, avec sa force expressive et son langage coloré, a composée pour eux, sur le thème du Frère Jacques utilisé par Mahler dans sa 1ere Symphonie, lequel prenait dans sa pièce  une  lourde scansion orientalisante qui l’apparentait à quelque mélodie hébraïque.

Quatuor Hermès / Photo © Jean-Claude Capt
 
Puis, place au brio, à l’éclat de Vivaldi, dont Yo Yo Ma et Edgar Moreau ont joué le Concerto en sol mineur RV531, l’aîné ayant l’air de s’émerveiller de la sonorité dorée et de la virtuosité du jeune homme. Juste après cette explosion d’enthousiasme, arrêt douloureux, intense sur le Quintette en do majeur D956 de Schubert, joué par le Quatuor Hermès, magnifiquement guidé par son premier violon Omer Bouchez, dont le lyrisme délicat, la fine musicalité, menaient au cœur de ce bouleversant voyage, tandis que Yo Yo Ma lui faisait écho, toujours plus profondément. Enfin, la soprano Julie Cherrier, recrue de l’Académie, a ondulé avec charme dans la Cantilena de la Bachianas Brasileiras n° 5 de Villa-Lobos, comme une bouffée d’air parfumé.
 
Entre temps, le totem s’était montré : le violoncelle tout frais sorti de l’atelier Moes & Moes, un couple de luthiers implantés en Allemagne - dont Yo Yo Ma possède un instrument -, et qui fut remis à Anthony Kondo, membre du Quatuor Hermès. Il n’y eut pas de bouteille de champagne cassée sur le nouveau venu mais Yo Yo Ma le joua la plus grande partie de la soirée : quel plus beau baptême que celui-là, tandis que le carton de naissance avait été réalisé avec une élégance propre à la grande école des graveurs français, dans l’esprit et la technique de Callot, par Eric Desmazières. Un grand jamboree musical, encore animé par la présence inattendue du tout jeune accordéoniste Vincent Gailly, qu’on aimera suivre dans son parcours original : chacun en est sorti étourdi.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Paris, Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, le 6 mai 2014
 
Site de l’Académie de Villecroze : www.academie-villecroze.com
 
Site de l’Atelier Moes & Moes : www.moesandmoes.com
 
Photo © yo-yoma.com

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