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Wozzeck au Teatro del Liceu de Barcelone – Singulière incarnation – Compte-rendu

Gros succès de la saison qui s’achève à l’Opéra de Paris, le Wozzeck mis en scène par William Kentridge était accueilli du 22 mai au 4 juin à Barcelone dans une distribution renouvelée mais toujours dominée par Matthias Goerne, créateur de cette production présentée à Salzbourg en 2017. Le décor, un bric-à-brac de meubles et de planches enchevêtrés (Sabine Theunissen) entièrement tapissé de saisissantes images vidéo (Catherine Meyburgh), qui évoquent les atrocités de la première guerre mondiale dans le goût expressionniste et rappellent l’esprit malade de Wozzeck malmené par un capitaine et un médecin de garnison, est un pleine réussite. La qualité des lumières qui balaient l’espace comme les faisceaux d’un mirador (Urs Schönebaum) et font surgir de l’ombre comme des rats chacun des personnages, vient s’ajouter au dispositif scénique et souligner une direction d’acteur puissante et millimétrée.

Abattu, moqué par son entourage, muré dans son monde intérieur, balloté d’une occupation à une autre sans logique apparente, le Wozzeck de Goerne est en totale adéquation avec la vision morbide et apocalyptique défendue par le metteur en scène sud-africain, Le chanteur qui revient régulièrement à cet anti-héros depuis près de vingt ans, a pu affiner son interprétation et gagner de production en production en connaissances et en conviction. Des voix aux timbres plus caractérisés et aux ambitus plus développés l’ont précédé, de Keenlyside à Mattei en passant par Skovhus, mais la force brute aux éclats maîtrisés et à la démence refoulée qui se dégagent du corps de Goerne, comptent parmi les plus singulières.
 

© Salzburger Festspiele – Ruth Waltz

Autour de cette figure centrale gravite une distribution magnifiquement élaborée, du Capitaine grinçant de Mikeldi Atxalandabaso, au Docteur démoniaque
composé par Peter Rose, sans oublier l’agressif Andres de Peter Tantsits ou le grandiose Tambour-major de Torsten Kerl. Mezzo anguleux à la ligne revêche et aux aigus écorchés Annemarie Kremer (qui remplace Elena Zhidkova, initialement prévue sur la production) n’a pas la précision vocale et la géniale intuition dramatique d’une Waltraud Meier, inoubliable Marie dans la légendaire production de Chéreau : à mettre cependant à son crédit, le jeu affûté d’une interprète qui sait ce qu’elle chante, comme Rinat Shaham sous employée dans le rôle de Margret, mais impeccable.

Admirable chef, Josep Pons prouve une fois encore ses extraordinaires compétences en traduisant avec naturel et évidence l’obsédante écriture d’Alban Berg, son extrême difficulté et sa terrifiante métrique, sans la moindre autosatisfaction. Au contraire son culte du son et de la clarté des lignes, rendu possible par un orchestre (et un chœur !) aussi bien préparé que discipliné, parachève une inoubliable représentation.  
 
François Lesueur

Berg : Wozzeck – Barcelone,  Teatro del Liceu, 4 juin 2022
 
Photo © Salzburger Festspiele – Ruth Waltz

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