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Werther selon Vincent Boussart à l’Opéra de Lausanne – Sobriété et passion – Compte-rendu

 
 

Werther de Massenet avait été créé en 1892 à Vienne sur un livret traduit en allemand, mais c’est à Genève, peu après, que l’opéra fut pour la première fois donné en français. C’est donc une manière de retour aux sources, en Suisse romande, dans laquelle s’inscrit la nouvelle production à l’Opéra de Lausanne. La réalisation, dans l’acoustique très présente de ce théâtre, séduit à plus d’un titre. À commencer par la mise en scène de Vincent Broussard, dans une quasi absence de décors (un immense mur gris strié de néons et ponctué de portraits de famille, conçu par Vincent Lemaire) mais une succession vive et rapide de changements de tableaux, haletants comme les affres des protagonistes.
 
© Jean-Guy Python

Ceux-ci sont donc mis en avant, et leurs souffrances tout autant, dans des confrontations où les émois des deux héros, Werther et Charlotte, vont s’intensifiant jusqu’à la fin programmée du premier et les regrets éternels de la seconde. Le tout dans un jeu théâtral au plus près des sentiments et une gestique accordée à la musique (dans le cas de la virevoltante Sophie). Les costumes, signés du talentueux Christian Lacroix (décidément très présent sur les scènes lyriques), s’insèrent dans cette conception « Sturm und Drang » (façon Massenet repris de Goethe) avec tenues noires (en allusion aux « hommes noirs » évoqués par Charlotte) plantées de chapeaux haut-de-forme, évoquant le temps romantique et son contexte, sous des lumières rasantes (de Nicolas Gili). Saisissant !
 

© Jean-Guy Python
 
L’interprétation y est pour beaucoup, avec une distribution d’une belle intensité devant un orchestre qui l’est autant. Jean-François Borras est le Werther du moment, rôle où il avait fait ses débuts éclatants au Met de New York en 2014, avant de le reprendre avec autant de succès sur différentes scènes : voix épanouie dans tous les registres, avec aigus percutants ou en registre de tête, dans une expression vive du sentiment. Digne successeur actuel de celui qui fut un autre Werther accompli, Alfredo Kraus (dans un registre vocal plus filé). Héloïse Mas figure une Charlotte de grande pointure, épanchée quand il faut avec une présence, mise en exergue dans cette conception scénique, profondément dramatique. Vincent Le Texier plante le Bailli assuré que son métier conforte. Marie Lys, pour sa part, lance une Sophie juvénile aux jolis aigus aériens. Et le baryton-basse Mikhail Timoshenko s’acquitte du malheureux Albert, le mari délaissé et autre malheureux de cette histoire de malheurs, dans une pleine émission de circonstance.
 
© Jean-Guy Python
 
Les enfants du Chœur de l’École de musique de Lausanne (dirigé par Catherine Fender), interviennent avec justesse délicate pour leurs joyeux petits ensembles. L’Orchestre de chambre de Lausanne distille le phrasé et les emportements d’une partition inspirée comme rarement chez Massenet, sous la direction des plus investies de Laurent Campellone à la tête de l'Orchestre de Chambre de Lausanne. Un spectacle de choix, qui fait honneur à la programmation d’Éric Vigié (qui devrait quitter son poste directorial fin juin 2024, après vingt ans de bons et loyaux services).
 
Pierre-René Serna
Massenet : Werther – Lausanne, Opéra, 15 mai ; prochaines représentations : 18, 20 & 22 mai 2022 // www.opera-lausanne.ch/en/show/werther/
 
Spectacle repris à l’Opéra de Tours les 30 septembre, 2 & 4 octobre 2022.
 
À noter que la saison 2022-2023 de l’Opéra de Lausanne vient d’être annoncée, avec comme toujours des inédits et raretés, dont Candide de Bernstein, Davel, création du compositeur Christian Favre sur le mythe d’un héros vaudois, Pinocchio de la compositrice Gloria Bruni. www.opera-lausanne.ch
 
 
Photo © Jean-Guy Python
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