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Véronique Gens et la mélodie française à l’Académie Orsay-Royaumont – « Il faut être simple et raconter une histoire »

L’amour de Véronique Gens (photo) pour la mélodie française n’est plus à dire et l’on ne s’étonne pas que l’artiste compte parmi les chanteurs qui ont contribué à la naissance de l’Académie Orsay-Royaumont, inaugurée en août dernier. Cette structure se donne pour mission de former des duos chant/piano à l’art du lied, mais aussi de la mélodie française, domaine où il y a fort à faire, du côté des interprètes comme celui du public.

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En pleine masterclass ... © DR

« Cette musique est négligée depuis des années, remarque V. Gens, on la considère souvent réservée à une élite ; l’Académie Orsay-Royaumont répond au besoin qu’a ce répertoire d’être reconnu, défendu, enseigné, mis en valeur. J’ai déjà fait des sessions avec de jeunes chanteurs et pris la mesure d’un manque terrible. Il existe beaucoup d’enregistrements anciens marqués par un style un peu désuet ; on n’a plus envie d’écouter la mélodie française de cette façon, on a envie de quelque chose de plus actuel. Il faut être simple, c’est ce que je répète toujours aux jeunes chanteurs, être simple et raconter un texte – et que de textes merveilleux dans le répertoire de la mélodie ! –, goûter les mots. 

« C’est toute la difficulté de la mélodie française, il faut bien sûr chanter, mais surtout raconter quelque chose. Le chanteur n’est pas là pour faire des décibels ; il faut avoir un certain niveau technique au départ pour pouvoir se lâcher, pour oublier de chanter, de placer sa voix à tel endroit, etc. C’est parfois très difficile, je pense par exemple aux Duparc ; des mélodies très théâtrales, très larges, où il faut tout de même chanter. Ce n’est pas toujours simple d’accepter de chanter avec une autre voix – j’ai dû passer par là moi aussi – car on perd beaucoup de la compréhension si l’on ne cherche qu’à faire du beau son. »

Duparc, Debussy, Hahn occupent la materclass que V. Gens donne à l’Académie Orsay-Royaumont en compagnie de Susan Manoff. « Ce sont des auteurs que j’ai beaucoup fréquentés avec Susan et j’ai à présent envie de faire partager mon expérience, les difficultés que j’ai rencontrées ; je n’ai pas la prétention de détenir la science infuse ; je chercher simplement à montrer aux jeunes chanteurs ce que j’ai expérimenté. ».
Impossible d’imaginer V. Gens sur le terrain de la mélodie sans Susan Manoff à ses côtés. « Pendant longtemps on a essayé de m’imposer des pianistes, pour des raison de marketing, avoue la soprano. J’ai toujours résisté car je suis intimement convaincue qu’en mélodie française, il faut avoir une intimité musicale avec le pianiste pour arriver au stade où les mots ne sont plus nécessaires ; il suffit de s’écouter. Susan et moi sommes parvenues à ce confort incroyable ; je sens ses intentions, elle sent les miennes. C’est un dialogue permanent, un duo ; et ce sont d’ailleurs des duos que nous faisons travailler à l’Académie Royaumont-Orsay. Si cette chose indispensable à un duo n’est pas présente, ce n’est pas la peine qu’il continue. »

Reynaldo Hahn © DR

Dans le prolongement de leur masterclass, on aura le bonheur d’entendre V. Gens et S. Manoff, d’abord aux côtés des lauréats de l’Académie lors d’un concert partagé (le 18/12 à 12h30 à l’Auditorium du musée d’Orsay). Deux jours plus tard les lauréats préluderont (de 18h à 19h45 dans la salle d’exposition permanente) au « récital des maîtres » qui clôture la session d’hiver. Des pages Gounod, Séverac, Massenet, Duparc, Poulenc en forment le programme, sans oublier huit mélodies tirées des Etudes latines de Reynaldo Hahn. « Je suis tombée amoureuse de ces mélodies qui présentent quelque chose de très simple – enfin ... simplicité apparente –, très naïf, mais tellement touchant, confie la chanteuse. Elles installent une atmosphère très particulière. C’est pourquoi, avec Susan, nous leur avons réservé une place de choix dans le disque que nous avons enregistré il y a trois ans (« Néère » chez Alpha Classics ndr (1)). »

Susan Manoff © cnsmdp

Côté disque, l’actualité est à la réédition pour Véronique Gens dont les trois volumes  des « Tragédiennes » ( enregistrés en 2005, 2008 et 2011, sous la direction de Christophe Rousset à la tête de ses Talens lyriques) ressortent en un coffret chez Erato (2).
Un volume (du Lully à Gluck), manière pour la chanteuse de « boucler la boucle » et de prendre congé du répertoire baroque, aurait seulement dû exister. Mais le succès fut tel que les Tragédiennes II (de Gluck à Berlioz) et III (de Méhul à Saint-Saëns et Massenet) suivirent. Ni V. Gens, ni C. Rousset ne se se firent prier : « c’était une démarche tout à fait naturelle pour moi comme pour Christophe qui, lui aussi, avait envie d’explorer des musiques différentes et nouvelles. Nous avons d’ailleurs bénéficié du concours du Palazzetto Bru Zane pour le troisième disque. En opéra j’aime faire des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire, tout comme j’aspire, côté mélodie, à autre chose que de refaire les Bilitis pour la 150e fois. Le répertoire que m’offre aujourd’hui le Palazzetto Bru Zane est une chance incroyable, il y a des tonnes de musiques inconnues dans lesquelles je m’engouffre avec un immense plaisir – pour les faire revivre ! » L’artiste brûle d’impatience d’être en juin prochain au Théâtre des Champs-Elysées pour participer, dans le cadre du Festival PBZ à Paris, à la résurrection de Maître Péronilla d’Offenbach, un opéra bouffe où la chanteuse tiendra le rôle de Léona, en tête d’une luxueuse distribution de 17 (!) chanteurs, avec l’Orchestre National mené par Markus Poschner.

D’ici là, V. Gens aura été Hécube dans les Troyens de Berlioz, du 22 janvier au 12 février à l’Opéra Bastille, sous la baguette de Philippe Jordan (3). « Tout le monde est un peu surpris que j’aie accepté ce rôle, très petit, situé dans un grand ensemble, un octuor avec chœur, explique-t-elle. La vision de Dmitri Tcherniakov en fait un personnage très central, avec Priam et toute sa famille. Des personnages qui n’existent pas dans le livret et que le metteur fait apparaître sur scène rendant ainsi plus lisible l’histoire des Troyens. ».

Alain Cochard
Entretien avec Véronique Gens réalisé le 29 novembre 2018.

(1) « Néère » : mélodies de Hahn, Chausson et Duparc (1 CD Alpha Classics ALPHA 215)
(2) Erato/Warner Classics 3CD 0190295611910
(3) www.operadeparis.fr/en/season-18-19/opera/lestroyens
 
Véronique Gens & Susan Manoff
Gounod, Séverac, Massenet, Duparc, Poulenc et Hahn
20 décembre 2018 – 20h
Paris – Auditorium du Musée d’Orsay.
www.concertclassic.com/concert/veronique-gens-susan-manoff

Photo © Franck Juery

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