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Une maturité sereine : Jesus Lopez Cobos en concert à Paris

Il dirige pour la cinquième année l’Orchestre Français des Jeunes lors de deux concerts parisiens, on a pu apprécier cette saison son art chambriste et élégant dans une relecture étonnante de la Traviata à l’Opéra Bastille, la direction musicale de l’Opéra Real de Madrid va hélas l’éloigner un certain temps des scènes parisiennes. Petit entretien partagé à la suite de la répétition au Théâtre des Champs-Elysées.

- Vous avez souvent dirigé des orchestres de jeunes musiciens, mais vous êtes vous déjà consacré à l’enseignement de la direction d’orchestre ?

JLC : Non, car le problème est de ne pas disposer d’un orchestre professionnel qui seul peut rendre possible ce type d’exercice. Voyez les jeunes chefs, ils doivent diriger des orchestres de conservatoire formés par des étudiants, voir des ensembles d’amateurs, ils se forment sur le tas en quelque sorte. Le seul moyen pour moi de transmettre mes connaissances à de jeunes chefs c’est de les prendre à mes cotés en tant qu’assistants. Cela en limite hélas considérablement le nombre.

- Et comment avez-vous fait vos premières armes ?

JLC : Autres temps, autres mœurs, j’ai eu beaucoup de chance, j’ai effectué tout mon cursus à Vienne puis en Allemagne. A Vienne nous disposions, nous autres étudiants en direction, d’un orchestre composé de musiciens à la retraite. Les diriger nous permettait de parfaire notre technique mais surtout, ils nous transmettaient un style, nous forçaient à obtenir des réflexes que seuls des instrumentistes professionnels exigent d’un chef.

- Vous avez beaucoup œuvré en Allemagne et l’on sent bien dans votre art ce mélange de sensualité latine et de contrôle germanique. C’était flagrant dans votre manière si élégante de diriger Traviata….

JLC : Oui, j’ai longtemps exercé mes fonctions de l’autre coté du Rhin, j’ai enregistré Bruckner et Mahler, autant, voir plus, que la musique de mes compatriotes. Mais tout cela remonte à l’enfance, mes parents étaient férus de musique allemande, nous écoutions Bach, Beethoven, Brahms, rarement l’opéra italien, ce qui est assez paradoxal chez des mélomanes espagnols. Lorsque je me suis retrouvé en poste au Deutsche Oper j’ai été particulièrement heureux de me confronter au répertoire germanique.

- Mais vous avez aussi dirigé Verdi et Puccini à Berlin. Une véritable tradition de l’interprétation germanique de Verdi existe. Après tout l’Allemagne remit les grandes partitions du maître de Bussetto à l’honneur dans les années trente, on les chantait d’ailleurs en allemand. JLC : Oui et pour certaines œuvres, pour les grands drames shakespeariens notamment, la puissance, l’impact physique des orchestres allemands est à mon sens justifié. Pour Traviata je préfère tout alléger, revenir à ma part latine.

- Cette Traviata m’a étonné par l’art avec lequel vous souteniez les chanteurs…

JLC : Selon moi, l’orchestre dans une fosse d’opéra doit avant tout accompagner les chanteurs en scène, et se régler sur leurs volumes sonores, il ne faut en aucun cas que l’orchestre les couvre. Je dis toujours aux musiciens : « s’il vous plait, écoutez les chanteurs, je n’ai pas besoin d’autant de puissance, je dirige beaucoup de concerts symphoniques, c’est alors bien plus approprié. »

- Votre travail avec l’Orchestre Français des Jeunes a justement mis l’accent sur la clarté, la lisibilité des œuvres. C’était évident surtout dans les Enluminures de Guillaume Connesson et dans La Mer de Debussy.

JLC : La clarté, c’est une vertu, je crois que ce que je recherche c’est à toujours faire de la musique de chambre, à l’opéra comme au concert symphonique. J’imagine les œuvres comme cela, même dans les quadruples forte, il faut faire tout entendre, tout doit se répondre. C’est le résultat que je cherchais à atteindre une fois de plus avec l’Orchestre Français des Jeunes.

- Pour le centenaire de la disparition d’Antonin Dvorak vous avez inscrit au programme du premier concert le Concerto pour violon, bien moins célèbre que celui pour violoncelle. Je crois que le public parisien sera très heureux d’y retrouver Arabella Steinbacher qui les a ébloui avec une magnifique interprétation du Concerto de Beethoven cette saison. Lors de la répétition, alors qu’elle jouait une suite de batteries et que le chant était aux violons de l’orchestre, vous avez interrompu et vous êtes adressé à ceux-ci en leur disant : « là, c’est Arabella qui vous accompagne et non l’inverse ». On sent une très grande complicité entre vous.

JLC : Oui, elle est tout à fait extraordinaire, à vingt quatre ans elle a déjà atteint à une maturité musicale rare. J’ai dirigé Sarah Chang et Gil Shaham dans cette œuvre que j’affectionne particulièrement, elle les égale, et la beauté naturelle de sa sonorité est enivrante.

- Vous êtes en charge de la Direction Musicale du Teatro Real de Madrid depuis 2003. Cela va-t-il progressivement vous éloigner du concert symphonique ?

JLC : Je dirige six productions par saison, chaque année nous exhumons un des opéras joués durant les premières décennies du Teatro Real, cela nous permet de redécouvrir tout un répertoire lyrique espagnol, qui même si il est clairement influencé par l’opéra italien, prouve bien que nous avons aussi une tradition lyrique. On ne pourra plus dire « L’opéra espagnol, ça existe ? ». Si je dirige moins de concerts symphoniques qu’auparavant, un équilibre raisonnable devrait être possible dès l’année prochaine.

- En tous cas l’opéra espagnol contemporain renaît de ses cendres, la création récente du Don Quijote de Christobald Halffter le prouve.

JLC : Oui et nous avons une politique de commande très active. Leonardo Balada est à l’œuvre, et d’autres compositeurs ont été pressentis.

- Après les deux concerts de cette semaine, quand vous retrouve-t-on à Paris ?

JLC : Au Théâtre du Châtelet, le 13 avril, à l’occasion de la session de printemps de l’Orchestre Français des Jeunes. Nous reviendrons avec à nouveau la 5e de Mahler et en plus les Rückert Lieder avec Lise Berthaud.

Jean-Charles Hoffelé

Concerts de l’Orchestre Français des Jeunes Jeudi 9 septembre, Théâtre des Champs-Elysées, 20h, Guillaume Connesson : Enluminures (création parisienne), Antonin Dvorak : Concerto pour violon (Arabella Steinbacher), Felix Mendelssohn: Mer calme et heureux voyage, Claude Debussy : La Mer.
Vendredi 10 septembre, Maison de Radio-France, Salle Olivier Messiaen, 20h Gustav Mahler : Symphonie n°5

Photos : DR
 

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