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Une interview d’Elisabeth Platel, directrice de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – « Notre répertoire est énorme, et il nous appartient de le faire vivre. »
Après avoir été une sublime étoile, quintessence de la perfection classique, Elisabeth Platel s’est engagée corps et âme à maintenir la vitalité et la qualité stylistique d’un art auquel elle a voué son existence, pour le bonheur d’un public qui ne décroît pas. De son bastion de Nanterre sortent les espoirs de demain, qu’elle met en regard de sept autres écoles mondiales, pour des soirées d’exception. A l’approche du spectacle de l’Ecole de Danse (13, 14 & 16 avril) et du Gala des Ecoles de Danse du XXIe siècle (17 avril), tous deux au Palais Garnier, Elisabeth Platel nous donne quelques pistes sur ces moments de grâce qui font souffler un vent de fraîcheur sur la Grande Boutique.
Comment s’est mise en place l’idée de ce gala ?
Au départ, elle est venue de Mavis Staines, figure marquante de la danse au Canada et âme de l’Ecole Nationale à Toronto. Notre premier gala a eu lieu lors du Tricentenaire de l’Ecole Française, en 2013, avec ce désir de confronter la nôtre aux autres grandes institutions mondiales, jamais privées, et qui apportent ainsi un sublimé de leur style, de leur histoire. Nous avons renouvelé l’expérience en 2017, puis a éclaté la crise sanitaire, et là les choses se sont brouillées. Heureusement, à ce jour, tout renaît, même si malheureusement nous ne pouvons recevoir les Russes dont on sait l’immense qualité. C’est très complexe à organiser. Les jeunes danseurs sont logés à l’internat de Nanterre et leurs maîtres à l’hôtel, et chaque Ecole invitée prend en charge quatre élèves et leurs accompagnants. Mais tous arrivent à des moments différents, ce qui ne facilite pas le travail de répétition
Qui sont les heureux élus de l’année ?
Il y a l’Ecole du Ballet John Neumeier de Hambourg, L’Ecole nationale du Ballet du Canada à Toronto, l’Académie du Dutch National Ballet à Amsterdam, La Fondation Académie du Théâtre de la Scala de Milan, L’Ecole du San Francisco Ballet, L’Ecole du Royal Ballet de Londres, et l’Ecole du Ballet Royal Danois, à Copenhague. Chaque Ecole va donc interpréter un extrait de son répertoire, choisi pour son identité originelle. Ce qui n’est pas toujours évident car toutes les Ecoles n’ont pas forcément de vrai répertoire. Aucun problème pour l’Ecole de Hambourg, qui donnera des extraits de Yondering, pièce écrite spécialement pour les jeunes par John Neumeier, et pour Copenhague, non plus car la fidélité à August Bournonville n’a pas frissonné depuis son implantation là-bas, avec les mêmes ports de bras qu’au XIXe siècle. Pour d’autres, c’est moins évident, notamment à la Scala, qui par ailleurs est la plus ancienne de ces écoles, après celle du Danemark. Le Royal Ballet, lui, en impose par la rigueur qui est demandée pour entrer dans la compagnie. Et il est passionnant d’avoir une idée de toutes ces démarches chorégraphiques typiques qui sont inscrites dans l’ADN des danseurs
En ce qui concerne le spectacle de notre Ecole, qui précède le gala, quels sont les critères dominant cette année ?
Nous, nous n’avons aucun problème de répertoire : il est énorme, et il nous appartient de le faire vivre. Bien sûr, il faut garder en mémoire, pour le public, que nous ne pouvons faire aussi bien que la compagnie, surtout pour des ballets aussi difficiles que Suite en Blanc que j’ai choisi cette fois, et que Charles Jude fait travailler. Peu de ballets de Lifar sont aujourd’hui représentables, mais celui-ci est essentiel, il fait partie de l’histoire de la danse française. Quant à la pièce de Jiri Kylián, Un Ballo, magnifique, elle a été conçue pour de jeunes danseurs. La plus difficile à monter est Les Forains, dont le chorégraphe, Roland Petit – il aurait cent ans cette année – est pourtant relié à Lifar. En outre, je suis heureuse de présenter un programme qui aligne trois grands compositeurs français : Lalo, Ravel et Sauguet.
Avez-vous un regard différent sur vos élèves que lorsque vous étiez vous-même étoile puis avez pris l’Ecole en main ?
Avec Alexander Neef, et notamment cette année à l’occasion de ces spectacles, nous menons une réflexion sur tradition et enseignement, et sur le fait que nous devons adapter nos regards et nos méthodes aux changements de la société, même si le point du style demeure l’axe principal. Car les corps, les états d’esprit ne sont plus vraiment les mêmes. Pour nombre de ballets repris à l’Opéra, par exemple, les danseuses ne rentrent plus dans les costumes d’il y a dix ans. Et ces jeunes n’attendent plus tout à fait la même chose. Nous, nous étions des marathoniens, eux sont des sprinters. Mais l’enthousiasme demeure, même si l’inquiétude gagne car les engagements dans les compagnies mondiales se restreignent. A l’issue de leurs études, un grand vide risque alors de s’ouvrir devant eux. Le Ballet de l’Opéra, heureusement, demeure une valeur sûre, et 90% de la compagnie provient de l’Ecole. C’est une garantie de ce style qui m’est si cher.
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 14 mars 2024
Palais Garnier, spectacle de l’Ecole de danse, les 13, 14, 16 avril 2024. Gala des Ecoles de Danse du XXIe siècle, le 17 avril 2024. www.operadeparis.fr
Photo Elisabeth Platel © Francette Levieux / Opéra national de Paris
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