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Une interview de Roger Muraro – Après Messiaen


Le 15 mai Roger Muraro sera le soliste du Concerto n°2 de Bartok avec l’Orchestre Philharmonique de Nice dirigé par Mark Foster, dans le cadre du Festival Les Musiques de Marseille (6 – 16 mai). L’année du centenaire Messiaen a été particulièrement chargée pour l’interprète. Dès le 4 janvier 2008 il jouait la Turangalîla Symphonie à Berlin sous baguette de Zubin Mehta, la première des… dix-sept exécutions de l’œuvre données par le pianiste l’an dernier ! S’y ajoutent trois intégrales des Vingt Regards, Des Canyons aux Etoiles à sept ou huit reprises, une bonne dizaine d’Oiseaux exotiques, trois Réveil des oiseaux et quantité de récitals (dont celui du 10 décembre au TCE) où des pages de Messiaen se mêlaient à celles de compositeurs des XVIIIe et XIXe siècles.

Cap important dans le parcours de parcours de Roger Muraro, le centenaire Messiaen lui a donné du recul vis-à-vis d’un auteur auquel il est étroitement associé depuis le début de son parcours. Un nouveau départ ? Cela y ressemble fort.

Que bilan d’ensemble tirez-vous de l’année Messiaen ?

Roger Muraro : Il y a eu tout au long du centenaire Messiaen des sommets et des moments moins réussis. Je m’interroge sur le besoin qu’ont les organisateurs de vouloir coûte que coûte suivre l’actualité, qu’il s’agisse de l’anniversaire Mozart, Chopin bientôt ou Messiaen l’an dernier, alors qu’il n’y a pas au fond d’eux-mêmes une motivation artistique très profonde. Les gens qui aiment Messiaen, qui en ont toujours programmé, ont continué à le faire et d’autres se sont crus obligés de fêter cet anniversaire - ce qui n’est pas la chose la plus heureuse qu’ils aient faite. Je pense qu’il y a eu un excès dans la manière de célébrer Messiaen, un excès que le public a d’ailleurs peut-être même ressenti, une surabondance d’informations et de concerts qui finissaient par se nuire les uns aux autres. Une association Messiaen avait été créée pour gérer les manifestations du centenaire, elle a fait son travail tant bien que mal.

Sur le plan de la syntaxe propre à Messiaen, il est frappant de constater que la majeure partie de ses œuvres entrent dans le répertoire avec une facilité presque déconcertante. On divise aujourd’hui par deux le nombre de répétitions pour de grandes œuvres qui demandaient une longue préparation il y a encore dix ou quinze ans. Un Turangalîla peut être prête en deux répétitions désormais. C’est impressionnant et rassurant aussi car cela démontre que le langage de Messiaen, chez les musiciens professionnels en tout cas, devient une chose plus souple et malléable et que l’on se fond plus facilement dans ce style d’écriture.

Qu’en est-il de la relation du public avec la musique du Messiaen ?

R. M. : Il suit dans certains cas, mais dans d’autres je constate que l’énigme Messiaen demeure intacte. J’ai été étonné de voir comme la partie du public qui avait déjà « mordu à l’hameçon » continuait d’être enflammée, tandis les auditeurs rétifs le demeurent. Je pense que la surabondance de concerts du centenaire a même contribué à renforcer leurs réserves. En tant qu’interprète, j’ai ressenti ces deux attitudes. Je suis incapable de dire que l’on jouera un jour Messiaen autant que Debussy ou Ravel aujourd’hui. Je pressens toutefois qu’on le fréquentera comme certains Fauré, comme les œuvres d’artistes qui ont marqué leur époque pour diverses raisons.

D’un point de vue plus personnel, plus intime, comment votre relation avec la musique de Messiaen – a laquelle on vous associe si étroitement – a-t-elle évolué du fait du centenaire ?

R. M. : Tout d’abord, il y a des œuvres que je ne jouerai plus, que je considère comme n’étant pas dans la production de Messiaen parmi celles dans lesquelles il faut s’investir pour un résultat artistique qui n’est pas à la hauteur.

Lesquelles?

R. M. : … Je préfère vous parler de celles que je continuerai de jouer. Pour les oeuvres avec piano et orchestre, la Turangalîla évidemment, les Oiseaux exotiques, Des Canyons aux Etoiles, quant au piano solo, les Vingt Regards, une ou deux pièces du Catalogue d’oiseaux et certains Préludes - que j’aime associer à des pages de Chopin ou de Debussy. L’un de mes grands regrets durant le centenaire est de ne pas avoir disposé d’assez de temps pour remonter La Fauvette des jardins, que je considère au plus profond de moi-même comme l’œuvre pour piano seul la plus géniale de Messiaen. A chaque fois que je l’entends ou que je la fais travailler à certains de mes étudiants, elle provoque la même succession d’images et d’impressions que je conserve de mes nombreux séjours à Petichet.

A chaque fois la même émotion me prend et, en même temps, me rend très triste car je sens que cette oeuvre « effrayamment » difficile, qui réclame un travail énorme, est en train de tomber petit à petit dans l’oubli. Pourtant, plus encore même que dans les Regards, on y trouve tout ce que Messiaen à voulu nous raconter, un aboutissement de toutes les relations qu’il a établies entre les rythmes, la foi, la contemplation de la nature et de ses couleurs.

La relation que j’entretiens, en tant qu’interprète, avec la musique de Messiaen n’a pas fondamentalement évolué dans le sens où j’y aurais découvert des choses demeurées inaperçues. Des détails de phrasé peut-être, mais toute la vie on cherche ce genre de choses.
Le fond de la pensée et de l’émotion qui se dégagent de cette musique est resté là, intact. Je dirais même qu’il s’est approfondi et a pris de ce détachement qui permet de voir, d’entendre et de comprendre avec plus de profondeur un texte que lorsque l’on est dans l’élan fougueux de la découverte. Ce recul me fait mieux apprécier les qualités, mais aussi mieux voir les défauts de la production de Messiaen ; d’où mon souhait, comme je vous le disais, de faire des choix.

Après avoir tant fréquenté Messiaen, une envie d’autres répertoires se fait sûrement sentir ?

R. M. : L’année Messiaen a été très lourde, j’y ai moralement rempli mon contrat envers cette musique. Je continuerai à en jouer, mais pour évoluer - et continuer d’ailleurs à rendre service à Messiaen - il faut que j’aille vers d’autres auteurs. Je vais donc mettre un frein pendant un ou deux ans pour cultiver autre chose : Mozart, le Liszt des Années de Pèlerinage, Schumann par exemple.

Bartok aussi…

R. M. : Oui mais dans le Concerto n°2, que j’ai donné l’an passé sous la direction de Daniel Barenboim à Milan et que m’apprête à rejouer à Marseille le 15 mai, je retrouve certaines figures pianistiques comparables à celles que l’on rencontre dans la grande fugue des Vingt Regards. Le langage de Bartok est évidemment très particulier mais pas si étranger que cela au travail que j’ai fait jusqu’à ce jour. Je suis toutefois ravi de jouer ce concerto, un monument de la musique du XXe siècle. Il est passionnant, là aussi, de voir toutes les références sur lesquelles Bartok s’appuie, comme dans le premier mouvement avec ses contrepoints à la Bach, presque dans le style d’un Concerto grosso (il y a pas de cordes dans le premier mouvement, seuls les cuivres dialoguent avec le piano) : un vrai bijou d’architecture. Et ce deuxième mouvement, si beau, avec la voix du piano qui est prise, prisonnière dirais-je, des Eléments, de ce grand choral des cordes d’une puissance cosmique ; ce rondo enfin qui termine sur une note plus festive.

Bartok fait partie de mes préoccupations actuelles, mais il y a beaucoup de Mozart aussi et je suis le plus heureux des hommes en voyant la liste des œuvres de cet auteur que je joue s’allonger. Schumann m’occupe beaucoup par ailleurs. Finalement je me dirige souvent à présent vers des musiques un peu à l’opposé de la flamboyance colorée et rythmique de Messiaen. J’ai le privilège de les aborder à cinquante ans, avec le même sentiment que si j’en avais vingt : c’est une expérience vraiment merveilleuse et bouleversante. J’ai tellement joué de musiques complexes. Il n’y a évidemment rien de simpliste chez Mozart ou Schumann, mais l’élan musical nous porte plus facilement qu’une des phrases hachées et juxtaposées écrites pas Messiaen ou d’autres. C’est une caresse de l’âme. »

Propos recueillis par Alain Cochard, le 29 avril 2009

Orchestre Philharmonique de Nice, dir. Mark Foster

Roger Muraro , piano

Bartok, Stockhausen, Dutilleux

Festival Les Musiques

Parc Chanot /Marseille

Le 15 mai à 21h

Infos : GNEM – Centre National de Création Musicale

04 96 20 60 10 / www.gmem.org

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Photo : Universal Music

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