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​Une interview de Raphaël Pichon – La crise et au-delà

Raphaël Pichon est à Aix-en-Provence. Dans le cadre du Festival de Pâques 100% numérique, il y dirige la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, qui sera accessible en ligne le 2 avril au soir du Vendredi Saint et demeurera par la suite acessible sur ARTE TV. L’occasion en ces temps culturels perturbés de rencontrer celui qui, par son talent, s’est hissé en quelques années au rang des directeurs musicaux renommés, en compagnie de son ensemble Pygmalion.
 
Raphaël, une première question, hélas d’actualité, comment avez vous vécu cette crise sanitaire qui dure désormais depuis plus d’un an ?
 
En fait, comme un privilégié. En disant cela je n’enlève pas la peur du départ, le vide, les craintes matérielles pour une grande partie de mes musiciens et pour notre structure. Peur, aussi, pour notre culture française, pour le monde en général évidemment ; mais je peux dire comme un privilégié car si cette crise nous avait frappé il y a quatre ou cinq ans en arrière, ça n’aurait pas été le même scénario. Aujourd’hui Pygmalion est plus armé, plus solide… C’est un ensemble avec une ossature qui nous a permis de survivre grâce aux mécanismes des différentes aides mises en place par l’Etat. Privilégié donc, au niveau national car il faut bien être conscient que nous sommes l’un des pays dans le monde où la culture est le plus largement soutenue ; avec malheureusement quelques trous dans la raquette, et des personnes qui doivent être encore aujourd’hui mieux épaulées. Puis il y a le regret que la France n’ait pas fait le grand choix politique au plus haut niveau afin de conserver les salles ouvertes.
 
Vous revenez d’Espagne où vous avez donné deux concerts en public, qu’en retenez-vous ?
 
Effectivement nous venons de donner nos premiers concerts publics depuis l’été dernier. C’est une émotion incroyable mais aussi une colère de voir que c’est possible, pas très loin de chez nous, de façon sûre, avec des organisateurs et des producteurs qui sont extrêmement aguerris dans les dispositifs d'accueil de public. C’est vrai que tout cela a un coût, humain et financier, mais ça fonctionne et ce pansement à la crise est loin d’être négligeable ; donc un peu de colère et de regret que ce rendez-vous n’ait pas été français. Il faut donc rester militants et continuer à demander la réouverture des salles car aujourd’hui les artistes sont prêts, tout comme les programmateurs, les producteurs et les techniciens. 
 
Malgré le contexte, vous avez été initiateur d’un nouveau festival estival à Bordeaux…
 
En fait, nous traversons aussi cette crise bien déterminés à nous battre, à faire naître des propositions qui puissent se conjuguer avec la situation ; ça a été le cas l’été dernier à Bordeaux avec la création du festival « Pulsations », né en trois semaines. Une histoire un peu folle… En fait, lorsque les salles et les festivals ont rouvert avec les contraintes sanitaires, ce sont surtout des rendez-vous « de chambre » qui ont été proposés. Pour les grandes formations, et notamment les chœurs qui étaient un peu l’ennemi public n° 1 à ce moment là, c’était différent. Nous avons alors pris la décision d’autoproduire nos propres événements, avec la possibilité passionnante de remplir une page blanche, depuis le choix de l’œuvre, celui du lieu, celui de la forme et de la façon dont on reçoit le public.
Il nous a semblé évident d’essayer de ne pas subir les contraintes sanitaires mais de les transformer en atouts. C’est ainsi que, par exemple, nous avions convié le public dans la base sous-marine de Bordeaux, pour un spectacle baptisé « immersion ». Imaginez une cathédrale de béton de 40 mètres de haut sur 40 de large avec l’estuaire en fond de bassin; là nous donnions un concert a capella avec le chœur difracté dans l’espace et le public à l’intérieur de ce chœur avec de très grandes distances entre nous. Une expérience unique ! Nous avons pu ainsi donner 25 concerts en 15 jours dans Bordeaux et ses environs. Et l’été prochain, du 30 juin au 18 juillet, normalement, devrait avoir lieu la seconde édition de ce festival avec une trentaine de concerts dans des lieux inspirants, parfois vierges de culture.
 
Restons à Bordeaux où vous êtes en résidence à l’Opéra. Le départ de Marc Minkowski qui assurait la direction du lieu et son remplacement mettent-ils en péril votre présence dans cette ville ?
 
Il y a des questions qui vont se poser ; à savoir qui va succéder à Marc Minkowski, quelle sera la place de notre résidence… Les discussions avec la nouvelle équipe municipale écologiste se passent très bien. Il y a une forte écoute de leur part et un fort soutien sur le festival « Pulsations ». Je suis confiant et j’espère de tout cœur que le recrutement d’une nouvelle direction sera à la hauteur des ambitions de l’opéra de Bordeaux.
   
Sabine Deveilhe © MolinaVisuals

En septembre dernier, un CD consacré aux motets de Bach est sorti (Harmonia Mundi). Il avait été réalisé un an plus tôt. Avez vous eu l’occasion d’enregistrer pendant cette période de crise ?
 
En fait nous avons eu un automne 2020 assez riche. Nous avons pu honorer quelques invitations qui ont pu se dérouler ; nous avons aussi vécu l’expérience un peu folle de mener à bien une création lyrique sans distanciation, avec la mise en scène initialement prévue ; c’était Hippolyte et Aricie à l’Opéra-Comique et ce spectacle a fait l’objet d’une captation.(1) Nous avons aussi pu produire différents films dont un qu’il faut absolument regarder et qui est encore disponible sur le web (2), « Mein Traum » avec cet immense baryton qu’est Stéphane Degout. Il s’agit d’un film autour de Schubert et de Schumann ; une nouvelle expérience pour nous car nous changions d’instruments pour aborder le répertoire germanique romantique. Puis nous avons enregistré un nouveau CD qui sortira à la rentrée prochaine, avec Sabine Devieilhe, autour du répertoire baroque.  

Comment aborde-t-on l’interprétation d’une œuvre sans la présence du public et devant l’objectif des caméras ?
 
C’est toujours une expérience difficile. J’ai une petite appréhension à donner cette Passion selon Saint Matthieu programmée par le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence car nous revenons de deux concerts en public en Espagne, des moments émotionnellement très forts. Je reste persuadé que le streaming c’est mieux que rien. Parfois on peut même faire naître de magnifiques objets. Mais c’est difficile car l’interaction avec le public, l’émulation, l’adrénaline peuvent manquer. Le public réduit l’espace où l’on peut se poser des questions ; il impose une forme de franchise et d’honnêteté. Il est un peu le révélateur du répertoire que nous lui proposons en adéquation avec un lieu ; c’est toute une chimie entre un lieu, des artistes, une acoustique, une atmosphère, une heure de la journée, la présence des corps, la pesanteur d’un silence… En l’absence du public les choses sont très différentes. Pour les artistes c’est un investissement particulier pour faire le vide et tenter de faire naitre cette tension entre nous.
 

© Jan Hordijk
 
Vous avez déjà donné cette Passion selon Saint Matthieu en 2016 pour les dix ans de Pygmalion. Pourquoi avoir choisi à nouveau cette œuvre pour le festival de Pâques d’Aix-en-Provence ?
 
Parce que cinq ans après je voulais absolument réunir autour de moi la famille, une famille de solistes et de personnalités, d’artistes avec lesquels on partage un amour et une certaine vision de cette musique et là, c’est le cas. Que ce soit Julian Prégardien, l’un des plus grand évangélistes de notre temps à mon sens, que ce soit Stéphane Degout qu’un compagnonnage et une confiance mutuelle lient depuis toujours à Pygmalion, Sabine Devieilhe, Lucile Richardot, Emiliano Gonzalez Toro, un vieux compagnon, et tous les autres qui sont aussi membres de la famille. Cette Passion fait partie d’une littérature sur laquelle on peu revenir durant toute la vie. Cette œuvre, c’est le début et la fin du chemin… Avec ici, un projet très fort puisqu’elle fera l’objet d’un enregistrement discographique par Harmonia Mundi que nous débutons dans quelques jours à la Philharmonie de Paris.
 
Dans cette période perturbée, quelques sont les projets de Raphaël Pichon et de Pygmalion ? Aura-t-on la chance de vous retrouver à Aix-en-Provence ?
 
Absolument. Je serais en compagnie de Pygmalion pour un très beau projet programmé au Festival à l’été 2022. Si tout va bien, il y aura la deuxième édition du festival « Pulsations » à Bordeaux. L'été qui vient verra aussi nos débuts à Salzbourg avec la Messe en ut mineur de Mozart, puis une rentrée challenge avec une nouvelle production de Fidelio à la salle Favart (2), pour Noël une nouvelle production aux côtés de Roméo Castellucci à l’Opéra d’Amsterdam, il y aura aussi un premier Requiem Allemand de Brahms avec Pygmalion … Mais soyons prudents, il faudra voir comment nous sortons de cette pandémie… Pour l’heure je reste optimiste, mais sans illusions !
 
Pour finir sur une note joyeuse, cette période vous a-t-elle permis de profiter un peu plus de votre famille ?
 
Bien sûr. Je suis un doublement jeune papa et cette année a été très propice pour passer des moment magnifiques et précieux en famille. Nous ne les aurions pas vécus si nous avions dû mener une saison artistique normale.
  
Propos recueillis par Michel Egéa le 30 mars 2021
(1) www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2020/hippolyte-aricie-replay

(2) « Mein Traum » : philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-vocal/21544-mein-traum
 
(2)  Du 25 sept au 3 octobre 2021 (m.e.s. Cyril Teste) : www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2021/fidelio
 
Bach : Passion selon Saint Matthieu
Vendredi 2 avril à 20h30 : bit.ly/3wj8dUb
Disponible en replay sur : www.arte.tv/fr/videos/102645-000-A/la-passion-selon-saint-matthieu-de-bach-au-festival-de-paques/
 
 
COMMENT VOUS CONNECTER :
 
Les concerts du Festival de Pâques sont diffusés en direct d'Aix-en-Provence tous les jours jusqu’au 11 avril (voir prog détaillé : bit.ly/2PoBTPk) C'est entièrement gratuit mais soyez à l'heure, il n'y a pas de séance de rattrapage ! Vous pouvez accéder directement aux concerts depuis la page d'accueil du Festival de Pâques. Celle-ci vous redirigera sur la plateforme Inlive Stream, accessible gratuitement depuis votre ordinateur, votre tablette, votre smartphone et sur votre téléviseur. Elle vous permet de visionner votre concert sous plusieurs angles comme si vous y étiez ! Connectez-vous quelques minutes avant 20h30 pour profiter ensuite sereinement du concert ! Les programmes de salle sont téléchargeables le jour du concert sur le site du Festival. 

Photo © PierGab

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