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Une interview de José Martinez, directeur de la Compagnie Nationale de Danse d’Espagne – L’élégance du cœur

Il fut - et est encore - le plus élégant des danseurs, mince, élancé, tête fine et musculature de pur sang. Ses origines espagnoles ne l’empêchèrent pas d’être étoile à l’Opéra de Paris, de 1997 à 2011, et là, prince évident, on le découvrit aussi en danseur de caractère riche de surprises, ainsi dans Nosferatu de Jean Claude Gallotta, avec une sorte de hauteur menaçante. Doublé d’un chorégraphe parmi les plus talentueux révélés dans la Maison, notamment pour Les Enfants du Paradis, magnifique fresque qui y est périodiquement reprise. On le retrouve en directeur de troupe, celle de la Compagnie nationale de Danse d’Espagne, et c’est un bonheur que de converser avec cet homme enthousiaste et cordial. Bien plus que son physique avantageux et altier, il a la vraie élégance du cœur. Propos.
 
Cette direction du Ballet madrilène, ce fut un galop d’essai pour vous ?
 
José MARTINEZ : Un changement radical, et je suis impatient de montrer le résultat de cette expérience. J’ai été présent à Paris pendant vingt-cinq ans, et c’est un peu comme mon bal des debs ! En fait, je n’ai pas eu le temps de rêver après mon départ de l’Opéra : j’ai fait mes adieux le 15 juillet 2011 et le 17, commençaient les auditions pour la compagnie ! Mes manches étaient donc déjà retroussées. Ce fut d’emblée un galop contre la montre, car la compagnie, longtemps entre les mains de Nacho Duato, n’avait presque plus de répertoire, puisqu’il était parti avec ses ballets, qui en constituaient 90% . Il y avait eu ensuite une transition difficile pendant un an et j’ai trouvé des danseurs découragés, qui en me voyant arriver ont craint de me voir reproduire un mini-Opéra de Paris, dont ils n’auraient pas eu le niveau car ils avaient cessé d’interpréter du pur classique. Peu à peu, au vu de la programmation que je leur ai annoncée, et en constatant que je tenais compte de leurs spécificités et de leurs qualités, ils se sont détendus.  Mais au début, il est vrai que je me sentais bien seul.
 
Qu’est- ce qui vous paraît le plus difficile, travailler sur un terrain vierge, ou se trouver à la tête d’une structure brillante mais un peu figée, comme Manuel Legris à Vienne ?
 
J.M. : Je pense que dans mon cas, l’échec n’était pas possible, car chaque décision était risquée et aurait compromis non seulement ma position mais aussi l’avenir de la compagnie. D’autant que je n’ai pas pu agrandir mes effectifs comme je le souhaiterais, faute d’argent : nous sommes 44, soit deux de plus. Et surtout je ne me suis pas risqué à des créations la première année, mais j’ai pris des pièces néoclassiques de grande qualité, comme Petite mort de Kylian et Artifact de Forsythe. Il était aussi très difficile de donner une homogénéité à toutes ces individualités qui composaient la troupe. Aujourd’hui, elle compte 18 espagnols. A mon arrivée, il y en avait 4 ! Quant au public il n’avait pas vu de danse classique depuis vingt-cinq ans et se montrait très demandeur. En Espagne, il est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de troupes de ce style : juste la compagnie de Victor Ullate et une Compagnie nationale de flamenco. Il ne fallait donc pas décevoir.
 
Comment avez-vous composé votre spectacle pour Paris ?
 
J.M. : J’offre trois premières françaises avec des signatures prestigieuses, Mats Ek, Itzik Galili, et moins connu en France, le chorégraphe espagnol Alejandro Cerrudo, un madrilène qui a beaucoup travaillé à Chicago. Car je me suis fait une règle d’inviter des talents nationaux, afin de donner plus de couleur à la compagnie et de diffuser un ton espagnol. Mon seul critère, en matière de danse contemporaine, est de refuser la non-danse ! De Mats Ek, qui est incontestablement mon maître et dont j’ai dansé la Giselle à l’Opéra, ce qui m’a changé à tout jamais, j’ai la chance d’avoir Casi Casa, créé en 2009. C’est une pièce inspirée de son ballet Appartment, avec un fauteuil central qui est devenu le personnage clef des scènes de la vie quotidienne, et glisse entre les gens comme un déclencheur dans leurs rapports et leurs réactions. C’est pour moi très précieux car on sait que son travail va se raréfier puisqu’il envisage de prendre sa retraite à partir de 2016. Son écriture est difficile pour mes danseurs, car elle est très composée, comme dans un ballet classique. Eux sont plus familiers d’un style comme celui de Galili, pour Sub, qui les engage physiquement jusqu’à l’épuisement, en une dynamique qui leur convient.
 
Quels sont vos projets pour la compagnie, dans le domaine du classique ?
 
J.M. : Pour l’heure, il faut être très prudent, et tout n’est pas envisageable. Les filles notamment ont oublié l’usage des pointes en travaillant avec Duato, et s’y remettent progressivement, ainsi dans Forsythe. J’ai remonté le 3e acte de Raymonda, j’ai repris l’Allegro Brillante de Balanchine, et le Pas de deux du Corsaire, car je reste très attaché au classique. Nous sommes une compagnie contemporaine qui tend à retrouver ces sources, c’est rare ! Il y aura bientôt aussi une nouvelle Carmen, assez onirique, où le 2e acte se passera dans la tête de Don José, avant qu’il ne la tue. Mais mon grand projet est un Don Quichotte, dont je n’entends pas faire un fourre-tout de cocasserie et de virtuosité, mais la célébration d’un vrai héros et de ses rêves. Plus que son côté un peu ridicule, trop mis en avant dans d’autres versions, je veux montrer le rêveur qui court après sa Chimère. Et surtout je ne veux pas d’une espèce d’espagnolade. Ainsi les castagnettes qui accompagnent les Variations de Kitri seront-elles jouées par le corps de ballet, sur scène et non dans la fosse, comme Petipa l’aurait aimé. Prévu pour décembre 2015, le ballet sera d’abord esquissé sous forme de Suite, afin que les danseurs se fassent à ce style.
 
A titre personnel, dansez-vous encore ?
 
J.M. : Je le fais pour mon seul plaisir, je prends des cours de temps en temps, et j’ai même des projets en Chine et peut-être au Japon avec Agnès Letestu, ma partenaire de toujours. Tout se fait souplement, et c’est très bien, car mon corps commençait à me coûter. En faisant danser les autres, à Madrid, j’ai parfois eu le sentiment que je dansais avec leur corps, ce qui me donnait parfois un petit pincement au cœur. Mais aussi je veux continuer à chorégraphier. C’est chez moi un instinct très fort que je réprime, et auquel je veux donner plus de champ. J’ai fait pour la compagnie des pièces sur des musiques du Padre Soler et de Scarlatti, et pour le Ballet de Boston, Résonances, ce qui m’a permis d’oublier un moment que j’étais directeur. Je recommencerai !
 
Une émotion sans doute, en revenant à Paris dans vos nouveaux habits ?
 
J.M. : Très forte, bien sûr. Quand je reviens à Paris, que je me retrouve dans les couloirs de l’Opéra, j’ai l’impression d’avoir des yeux d’enfant, ainsi en revoyant le Casse Noisette que j’ai tant dansé. Les danseurs, eux, me regardent comme si je n’étais jamais parti, tant ils sont plongés dans leur quotidien au point d’en perdre la notion du temps ! Mais j’ai une bizarre sensation de danseur étranger. En Espagne, je me sens de culture française, et le contraire quand je suis en France !
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 24 novembre 2014
 
Compagnie Nationale de Danse d’Espagne
Les 27, 25, et 29 janvier 2015.
Paris – Théâtre des Champs Elysées
www.concertclassic.com/concert/compagnie-nationale-de-danse-despagne-jose-martinez
 
Les Enfants du Paradis (chorégr. José Martinez)
28, 29, 30 mai, 1, 2,3, 4, 5 & 6 juin 2015
Paris – Palais Garnier
 www.operadeparis.fr

Photo © Emmanuel Donny

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