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Une interview de Frédéric Antoun, ténor – « J’ai la chance d’aimer toutes les musiques »

A l'aise dans tous les répertoires, le ténor québécois Frédéric Antoun est à l'affiche du Palais Garnier, dans la reprise de Platée qui ouvre la saison le 7 septembre. Après Rameau, ce musicien expérimenté alternera Bizet, Donizetti et Mozart avant de créer la nouvelle partition de Thomas Adès adaptée du célèbre film de Luis Buñuel, L'Ange exterminateur, au Met, à Salzbourg et à Covent Garden.
 
Entre l’Opéra Comique et le Palais Garnier où l’on vous a régulièrement vu et entendu ces derniers mois, Paris fait partie de vos destinations récurrentes. Que représentent ces deux institutions pour vous et que symbolise la capitale française dans une carrière ?
 
Frédéric ANTOUN : C'est pour moi et ma famille québécoise, très proche de la langue et de la culture française, un grand bonheur et un honneur d'avoir pu chanter dans ces deux grandes maisons. Je suis heureux de vivre cette belle histoire et d'avoir eu si tôt la chance de pouvoir marcher sur les traces de grands artistes qui m'ont précédé. Paris demeure une place forte, une capitale où il faut avoir été invité.
 
Au Comique vous avez chanté Lakmé, après L'amant jaloux et avant La Chauve-Souris, et avez enflammé l’assistance en duo dans Manon, avec Patricia Petibon, pour fêter les 300 ans de cette illustre maison. Comment allez-vous vivre le départ de Jérôme Deschamps qui a redynamisé cet établissement et comment voyez-vous son renouveau après une longue période de travaux ?
 
F.A. : Pour être honnête, je ne vais pas m'engager sur une voie politique, car je ne suis pas assez au informé sur ce sujet, mais je peux dire que je suis reconnaissant à Jérôme Deschamps de m'avoir offert de si belles opportunités et de m'avoir fait confiance dans des ouvrages intéressants. Je ne connais pas ses successeurs et me garderai donc de tout commentaire ; d'autres propositions arriveront, mes agents m'ont déjà dit que mon nom était sur les listes, nous verrons bien !
 
Quelques mois après avoir incarné Belmonte dans L’Enlèvement au Sérail à Garnier, vous voici à l’affiche de Platée, un spectacle créé en 1999 par Laurent Pelly et Marc Minkowski et plusieurs fois repris par la suite. Est-ce pour Rameau, dont vous avez chanté Hippolyte et Aricie, pour le titre, le personnage ou la production devenue un classique du genre que vous avez accepté d’interpréter Thespis ?
 
F.A. : Pour être franc avec vous, la première chose que je fais lorsque je reçois une proposition, c'est d'aller voir la partition ; il est important de savoir avec qui nous allons travailler, mais avant tout le rôle doit convenir à ma vocalité. Pour Thespis il en a été de même, je l'ai inspecté, ai pu constater que sa tessiture était aiguë, ce qui a priori ne me pose pas de difficulté, qu'une part de comédie était demandée, ce qui m'a rapidement donné envie d'accepter l'aventure. J'ai peu chanté Rameau à l'exception d'Hippolyte et Aricie et ai peu l’occasion d'interpréter des rôles comiques, ce qui m'a enthousiasmé. Le rôle est de plus assez court, ce qui va me donner l'impression de prolonger mes vacances (rires).
 
Avant d’incarner le rôle-titre et de diriger la partition, le ténor Paul Agnew a été Thespis et Mercure, lorsque Jean-Paul Fouchécourt interprétait la grenouille. Pensez-vous en faire autant et aborder Platée ?
 
F.A. : Non je ne crois pas, car ma voix commence à s'assombrir ces derniers temps et à gagner en ampleur ce qui me conforte dans l'idée de rester encore dans des rôles plus lyriques. Je n'ai pas envie de devoir trop « jouer » avec les effets de voix que requiert ce rôle androgyne de Platée. J’aurais pu chanter Mercure, c'est certain, mais comme je vous l'ai dit je vais pouvoir profiter du temps libre pour le consacrer à ma famille.
 
Ce spectacle aussi brillant que jubilatoire connaît depuis plus de quinze ans un succès qui ne s’est jamais démenti. Une des particularités de sa réussite tient à la fidélité des protagonistes et aux liens qui les unissent, qu’il s’agisse des chanteurs ou des réalisateurs : comment se ressent au plateau cette complicité entretenue par Pelly et Minkowski, toujours présents en 2015, et est-il facile de se glisser dans leur univers ?
 
F.A. : Et ils connaissent tellement bien la partition ! Oui, il est très facile de se glisser dans cet univers, car Laurent Pelly a conçu une mise en scène qui reste extrêmement proche de la partition et qui respecte la structure de l'œuvre, habilement dirigée par Marc Minkowski. Il suffit donc d'avoir bien travaillé de son côté en amont, d'avoir identifié les moments charnières de l'ouvrage et de s'ajuster. Nous sommes des professionnels ce qui nous permet de nous adapter très vite, car dans le cas présent nous avons eu peu de répétitions et comme le travail est cohérent, intelligible, les idées intelligentes, il suffit d'être réactif et de se laisser porter. Il est fou de constater qu'en seize ans, cette production ne s'est pas démodée ; c'est sans doute le signe que cette lecture était en avance sur son temps.
 
Vous chantez Mozart (Ottavio, Tamino, Belmonte, Ferrando), le bel canto rossinien, l’opéra français, le baroque jusqu’à la musique contemporaine. D’où vous vient cette aptitude à diversifier votre répertoire et à prendre plaisir à vous exprimer si facilement dans des styles et des écritures si variées ?
 
F.A. : La voix de tête (rires). Je plaisante. Des offres, car j'ai la chance d'aimer toutes les musiques et de pouvoir répondre à toutes les propositions, ce qui explique pourquoi j'ai toujours eu du travail. Ce n'est pas si difficile et si vous savez manier la voix de tête, la doser, vous avez une plus grande souplesse vocale, ce qui vous permet d'alterner des rôles très opposés, même si je l'utilise moins dans Platée, pour conserver un certain lyrisme. Mais au fond je ne sais pas, je me pose peut être moins de questions que certains de mes confrères. Il faut que le registre et l’orchestration me conviennent, à ce moment là si le gras de la voix n'est pas trop exploité, il suffit d'assouplir. Bien sûr on ne sait jamais si le chef respectera l'orchestration pour faire attention aux chanteurs, mais parfois, même si l'orchestration est légère, il peut y avoir des risques. L’acoustique importe également, ainsi que la hauteur de l'orchestre dans la fosse.
 
Les chanteurs québécois ont la réputation d’être bien formés, de bénéficier de la proximité de l’Amérique pour se perfectionner, de pouvoir s’attaquer au répertoire français aussi bien que les français eux-mêmes, d’être ouverts aux propositions scéniques les plus modernes, et de jouir d’une excellente réputation à l’étranger. L’avez-vous expérimenté où est-ce une légende ?
 
F.A. : C'est vrai qu'il y a de bonnes voix et de grands talents au Québec ; Lapointe, Lemieux... La plupart, je dirais 70%, mènent une carrière internationale et ont souvent reçu une formation aux Etats-Unis, souvent avec un professeur privé. Je dirais aussi que le fait de parler français nous donne plus d’opportunités qu'aux Américains et nous travaillons beaucoup en France. Il faut bien avouer aussi que nous avons peu de grandes maisons d'opéra chez nous et grâce à cela nous sommes tôt sur scène. Notre manière de parler le français fait souvent rire, mais la façon que nous avons d'ouvrir les sons nous aide dans le placement de la langue chantée, c'est un plus.
 
Cette saison vous retrouverez Nadir à Zürich, Tonio à Lausanne et Ferrando à Marseille, preuve de votre versatilité. A-t-il toujours été facile de mener comme vous l’entendiez votre chemin et étant capable de résister aux sirènes qui parsèment chaque début de carrière ?
 
F.A. : Cela correspond à des rôles lyriques légers, mais je sens que mon instrument évolue, s'épaissit et j’espère pouvoir conserver sa souplesse. Pour le moment cette vocalité me convient mais je voudrais aborder des rôles de bel canto comme Lucia, Rigoletto, même en français comme le faisait Alain Vanzo. Je trouve que cette langue française apporte beaucoup à cette musique et permet de trouver d'autres couleurs, car l'orchestration reste légère. Je souhaite expérimenter ces rôles avant d'aller vers Faust, qui demande un medium large et une bonne endurance.
 
Après avoir chanté dans l’hilarante Fille du régiment conçue par Pelly à Londres en 2014 auprès de Patrizia Ciofi, vous retrouverez Tonio à Lausanne mis en scène par Vincent Vittoz. Quels aspects de ce personnage avez-vous envie de travailler sur cette production ?
 
F.A. : Vincent Vittoz ! Vous me l'apprenez (rires) ! Vous voyez, une fois encore j'ai d'abord regardé le rôle avant l'équipe. Il faut dire que nos agents ne nous disent pas qui sont les metteurs en scène et souvent je l'apprends en découvrant le programme des saisons à venir. J'aimerais que Tonio soit un peu plus conquérant, tout en sachant qu'il doit rester naïf et touchant et qu'il y a peu de cuivre dans sa musique. Je vais comme toujours me conformer à la mise en scène, car tout dépend de la vision recherchée et de mes partenaires. Il faut toujours savoir s'adapter, faire des compromis et une fois que les relations entre les personnages sont trouvées, nous pouvons aller dans une direction ou une autre. J'attends toujours d'être sur place. L'important est de bien connaître son texte car plus on est prêt, plus on est libre de réagir. A Londres tout s’est passé formidablement, j'ai adoré cette maison, malgré le manque de répétition avec orchestre ; j'ai pu entendre Juan-Diego Flórez dans la salle et j'ai été impressionné. Surpris également de constater à quel point l’atmosphère était détendue dans cet établissement qui ressemble à un théâtre de province, alors qu'il s'agit d'une scène prestigieuse : c'est fou. Ce n'est pas étonnant que tout le monde veuille aller y travailler.
 
Après Dalbavie dont vous avez créé à Salzbourg Charlotte Salomon, avec Mariane Crebassa, vous devez participer à L'Ange exterminateur, la nouvelle œuvre lyrique de Thomas Adès d’après Buñuel, au Met, au Covent Garden, puis à Salzbourg. Quelles sont les qualités nécessaires à un interprète pour répondre aux exigences de la musique de notre temps ?
 
F.A. : La partition n'est pas terminée, mais je connais Thomas Adès et il connaît ma voix car j'ai chanté Caliban dans The Tempest. J'espère que ce nouveau personnage me conviendra, car je dois le chanter dans trois lieux différents. J'ai vu le film il y a peu de temps, qui reste fort et très énigmatique et j'avoue être impatient de savoir ce qui va en être fait... Ce sera une surprise. Les qualités nécessaires : les aigus ( rires).... euh, il faut je pense, une ouverture d’esprit au départ, car la vocalité diffère souvent de ce que nous chantons habituellement. Il faut aussi une grande souplesse vocale, car il y a des intervalles très puissants que l'on trouve rarement ailleurs, des sauts de dixième par exemple qui sont rares dans la musique « linéaire ». La musique contemporaine est souvent fragmentée vocalement, même si Thomas recherche des voix d'opéra. Il aime utiliser les extrêmes des registres pour créer la tension, ce qui est très intéressant.
 
Votre voix, votre manière de chanter sont fréquemment comparées à celles de grands artistes du passé, tels qu’Alain Vanzo, Anton Dermota ou Leopold Simoneau. Comment accueillez-vous ces compliments et qu’est-ce que leurs carrières vous inspirent ?
 
F.A. : Je suis bien sûr flatté, car ce sont de grands chanteurs et cela est valorisant ; j'essaie de ne pas comparer leurs carrières à la mienne, elles appartiennent au passé et nos pratiques sont différentes des leurs : on voyageait moins à leur époque. On s'habitue à ces changements, mais il faut prévoir des pauses, des temps de repos. Les carrières de nos aînés sont des curiosités, mais je dois suivre l’évolution de mon instrument et me fier à moi. Les choix que certains ont faits peuvent bien sûr m'aider et me permettre d'anticiper certaines évolutions, mais je me fie à mon état vocal présent pour en connaître les possibilités futures. L'an dernier j'ai entendu pour la première fois en live, Roberto Alagna qui m'a scotché dans Werther : j'étais abasourdi d'entendre sa voix s'épanouir aussi facilement, voyager avec autant d'aisance dans une salle aussi grande. C'est rare. J'admire aussi la technique de Franco Corelli qui pouvait interpréter des rôles dramatiques en ouvrant le larynx, ce qui lui permettait de rester au-dessus de la voix de poitrine, d'être sur le coussin d'air sans forcer l’instrument et de conserver à ses interprétations une approche lyrique : c'est magnifique. Il a d’ailleurs travaillé cela toute sa vie. C'est un exemple pour moi.
 
 
Propos recueillis par François Lesueur le 3 septembre 2015
 
 Rameau : Platée
7, 9, 11, 12, 14, 17, 20, 23, 27, 29 septembre & 3, 6 et 8 octobre 2015
Paris - Palais Garnier
http://www.concertclassic.com/concert/platee-de-rameau-par-laurent-pelly

Photo Frédéric Antoun © Intermezzo management

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