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Une interview de Dominique Delouche, cinéaste – Mémoire de la danse

Un surdoué des arts du spectacle, qui à 84 ans, est toujours brûlé par sa boulimie de beauté. A l’écran, personne n’a jusqu’ici rendu aussi bien justice aux danseurs classiques. Mais non pour filmer des spectacles entiers. Sa caméra émue et attentive l’a porté à des rencontres, toutes exceptionnelles, et il en a recueilli le plus précieux des héritages, celui de la passation, faite de finesse, de rigueur et d’une infinie patience. Grâce à lui, les styles perdurent : celui des Chauviré, Vyroubova, Verdy ou Plissetskaïa. Son art fait affleurer la tendresse, la souffrance de ces corps fatigués, l’intelligence de ces âmes fières et souvent blessées. Mais on a oublié combien il est musicien - il faillit être pianiste -, fou d’opéra (il mit en scène Werther et Manon Lescaut) et de théâtre. Aujourd’hui, il nous fait un cadeau, en publiant une savoureuse galerie de portraits-souvenirs(1), d’une plume à la fois tendre et incisive, et ses sujets s’appellent Dussurget, Lubin, Fellini, Pasolini, Lifar. Tandis que le cinéma Mac Mahon programme une rétrospective de ses films. Ce discret a frôlé des gloires, et les raconte très bien.
 
Après la caméra, vous voici homme de plume ?
 
Dominique DELOUCHE : Avec un très grand bonheur et un sentiment de liberté que mon travail de cinéaste, passionnant, ne m’a jamais donné. J’avais déjà publié quelques essais, et celui-là, je l’ai écrit cet été, dans un Paris déserté et paisible. Un vrai bonheur que de pouvoir raturer, se reprendre et recommencer sans avoir à porter le moindre poids ni moral ni financier. Tourner, c’est épuisant, D’autant que les sujets que j’avais devant ma caméra n’étaient pas toujours faciles à apprivoiser.
 
Qu’est ce qui vous a fait vous consacrer à la danse ?

D.D. : Dans mon enfance, ce fut la plus forte de mes émotions artistiques dans une salle. Mais j’ai commencé d’abord avec des films de fiction, après avoir été l’assistant de Fellini, que j’évoque dans mon livre. J’ai tourné avec Danielle Darrieux, Emmanuelle Riva, puis une comédie musicale, Divine, en 1975, toujours avec Danielle Darrieux. Malheureusement elle n’a pas marché et je n’ai plus trouvé de producteur. J’avais aussi fait des courts métrages sur Maurice Gendron, Edith Stein et Dina Maillol. Après l’échec de Divine, je me suis davantage tourné vers la danse, d’abord en courts-métrages, puis en longs, et j’ai compris que ma place était là, dans ce travail de documentariste attaché à aider à la transmission des héritages.
 
Les personnalités que vous évoquez dans votre livre ne sont pas toutes liées à la danse ?
 
D.D. : Certes non. J’y dis mes admirations ou mes impressions face à des individualités qui ont marqué ma vie, comme Germaine Lubin, à laquelle j’aurais peut-être pu consacrer un opus entier, car j’avais beaucoup d’éléments ou encore, moins connu, Armand Marquiset, grand chrétien au service des pauvres, avec qui j’ai travaillé chez les Petits Frères, avant qu’il ne fonde Terre des Hommes.
 
Dans sa préface, René de Ceccatty dit joliment que vous avez le don de l’admiration …
 
D.D. : J’ai toujours considéré que j’avais de la chance, en craignant que l’on ne me démasque ! Je ne m’estimais pas beaucoup, et mon éducation chrétienne, que je ne renie en rien, m’avait insufflé la nécessité de l’humilité, la discrétion, l’absence de tapage, bref, le sens de la dernière place, titre de mon livre. J’en ai souffert bien sûr, mais cela m’aidé à pénétrer dans le monde parfois rebelle des grands artistes que j’ai croisés et captés.
 
Parmi eux, quelques étoiles particulièrement scintillantes ?
 
D.D. J’évoque la personnalité de Lifar, insaisissable, controversé, et qui m’a ébloui. Mais je garde une grande tendresse pour Chauviré, dont je ne veux pas trop parler puisqu’elle est encore de ce monde, alors que tous les autres ont disparu. J’ai eu un peu de mal avec elle lors de mes premières tentatives pour la filmer. Elle était alors une star très médiatisée, très glamour. Puis le temps passant, et chacun sait combien la carrière des danseurs est courte, elle a compris, et m’a offert le meilleur d’elle-même dans cet exercice si émouvant de la passation aux autres. D’où une Etoile pour l’exemple, en 1987 (un pur chef-d’œuvre, ndlr). Personne n’a su comme elle, à mon sens, opérer un travail aussi approfondi sur son art, aussi épuré pour trouver l’essentiel du geste. C’est à elle que je dois mon engagement définitif au service de la danse.
 
Vous avez capté plusieurs des plus beaux  danseurs et des chorégraphes occidentaux. Qui vous a manqué ?
 
D.D. : J’aurais aimé faire un film sur la grande Marcia Haydée, et permettre ainsi d’accéder à tout ce travail qui se faisait en Allemagne. Mais les choses ne se sont pas très bien passées, en raison de la structure qui l’environnait. Dommage. Je regrette aussi beaucoup de ne pas avoir filmé Béjart : il fut tenté au début, puis fit un peu la coquette. En fait, il n’aimait pas que l’on fixât ses ballets, il craignait pour leur identité. L’héritage visuel de son œuvre est d’ailleurs très mince. J’ai juste réussi à le faire collaborer à mon film sur Maïa Plissetskaïa, tant était grande sa passion pour cette ballerine.
 
Avez-vous envie de reprendre la caméra ?
 
D.D. : Surtout pas, maintenant que je suis à la lisière du dernier acte. Je l’attends d’ailleurs avec la plus totale sérénité, grâce à ma foi, très forte, et à mes lectures de toujours, Bernanos, Péguy, Dostoïevski. Je continue de me passionner pour le chant grégorien, que j’ai beaucoup écouté à Solesmes par exemple, en déplorant que les offices d’aujourd’hui soit d’une si piètre qualité musicale. Et j’ai le sentiment d’avoir bien travaillé !

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 2 octobre 2015

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(1) La Dernière Place, Dominique Delouche - Ed. Orizons, 200 pages, 20 €
 
A voir : Cinéma Mac-Mahon (5 av. Mac-Mahon, Paris-75017), Rétrospective D. Delouche du 8 au 13 octobre 2015. A noter particulièrement, Une Etoile pour l’exemple, le 10 octobre, 14h. http://www.cinemamacmahon.com/web/programme.html
 
Sur Ciné+classic, L’Homme de désir, 18 octobre 2015, Divine, janvier 2016. Sur Mezzo, Maia, à partir du 2 octobre 2015.
 
Photo © DR

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