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Une interview de Didier Schnorhk, Président de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique – « Il faut s’adapter en ne sacrifiant pas la qualité et en se préoccupant des jeunes musiciens qui sont au cœur de tout »

La survenance de la crise sanitaire l’an dernier a bouleversé le monde des concours internationaux de musique. Après le temps des annulations est venu celui de l’adaptation, grâce à la technique, à une situation qui pour le moment hélas perdure. Président de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique et Secrétaire général du Concours international de musique de Genève, Didier Schnorhk (photo) répond à Concertclassic.
 
Quel bilan peut-on dresser pour les Concours internationaux de musique après une année de crise sanitaire ?
 
Didier SCHNORHK : L’année écoulée a été extrêmement compliquée. Deux ou trois concours dans le monde ont eu lieu, a peine plus ; la plupart on été annulés, nous avons vraiment été pris au dépourvu. Pour les concours ayant lieu en mai ou juin, la seule solution était l’annulation et le report sur 2021. Pour ceux se déroulant plus tardivement, tel celui de Genève, on a attendu un moment pour voir comment les choses évoluaient, mais il a fallu se rendre à l’évidence et renoncer. L’année 2020 a vraiment été un psychodrame pour les concours internationaux de musique, avec des situations vraiment dramatiques pour ceux qui dépendent beaucoup de fonds privés et de la billetterie. Pour d’autres qui ont la chance d’avoir des subventions publiques, comme c’est le cas à Genève et dans la plupart des concours européens, les conséquences ont été plus limitées du point de vue financier. Les conséquences n’ont pas non plus été dramatiques en termes d’image car l’annulation était le lot commun de tous le concours – et les initiatives de ceux qui ont éventuellement tenté de « bricoler » quelque chose en dernière minute n’ont généralement pas été très bien perçues. L’année 2020 s’est terminée avec l’espoir qu’au printemps suivant tout repartirait normalement ... Et l’on se rend compte que les choses ne sont pas aussi simples ...
 
Quelles sont les initiatives de la Fédération internationale pour passer ce cap difficile ?
 
D.S. : Nous avons tous eu une année pour réfléchir, nous nous sommes pas mal remis en question. Nous avons eu plusieurs sessions zoom autour de thématiques particulières : le streaming, la communication, la continuation des projets en période de crise et, bien évidemment, les actions à entreprendre pour aider les jeunes musiciens à passer ce cap. Finalement les grandes victimes de tout ça ce sont ces jeunes artistes à l’orée de la carrière. Nous avons fait des constats qui, pour être franc, sont plutôt inquiétants. Les jeunes sont actuellement confrontés à des problèmes financiers, mais lorsque les choses redémarreront, peut-être pas exactement comme avant mais de façon à peu près normale, ils risquent d’être les premiers touchés car les organisateurs de concerts auront tendance à se raccrocher à des valeurs sûres qui attirent du public ; le moment ne sera pas favorable au lancement de « jeunes pousses » dont on ne sait exactement quel sera le futur.
Ça va être très compliqué pour tout ces musiciens et les grands concours internationaux, s’ils se doutaient de pas mal de choses, ont désormais pleinement pris conscience de la nécessité d’aider leurs lauréats, financièrement pour ceux qui en ont les moyens, et en leur trouvant des concerts, en leur procurant des occasions de se faire entendre pour prendre pied sur le marché. Pas mal de concours, dont celui de Genève, avaient cet impératif à l’esprit bien avant la crise. La prise de conscience est absolument générale depuis quelques mois.
 
Le Duo Galy - Gonzalez, 1er Prix ( + 4 prix prix spéciaux) du 16e Concours international de musique de chambre de Lyon (duo violon-piano) © DR
 
Le Concours international de musique de chambre de Lyon dont la 16e édition, entièrement en streaming, vient tout juste de s'achever, montre que la technique peut s’avérer d’un grand secours ...
 
D. S. : On s’est en effet rendu compte que l’on peut faire des concours autrement que ça a été le cas jusqu’ici. Il vaut évidemment mieux réaliser un concours dans des conditions normales mais, plutôt que d’annuler, la technique offre d’intéressantes solutions de rechange. Le Concours de musique de chambre de Lyon a été l’un des premiers à s’orienter dans cette voie, et je trouve que c’était très bien fait. Le Concours Musical International de Montréal (piano), en cours en ce moment, se déroule lui aussi entièrement online, comme le fera en juin le Concours de piano de Sydney. D’autres, tel celui de Genève, adoptent une solution intermédiaire avec une partie en vidéo et une partie en présentiel. Après l’été, quand beaucoup de gens auront été vaccinés, que l’on pourra recommencer à circuler, il ne paraît pas impossible de recevoir les finalistes à Genève. A Munich, le Concours de l'ARD se dirige lui aussi vers une formule de ce type. 
Quant à Bruxelles, où le Reine Elisabeth commence début mai, les choses ont lieu en présentiel mais sans public. Il est vrai que ce Concours bénéficie du support incroyable de la télévision belge, mais bien qu’il puisse compter sur des soutiens financiers très solides la situation reste compliquée de ce point de vue. Au moins, il n’annule pas une seconde fois !
 
De façon générale, et c’est ce qui m’a plu depuis le début de la crise, je constate que les responsables de concours internationaux ont tous cherché de solutions, en regardant ce que faisaient les autres et en en tirant les leçons. Certains ont fait des choses incroyables, tel TROMP, le Concours International de Percussion d’Eindhoven, qui a mis sur pied un compétition virtuelle avec des technologies ultra-modernes : les candidats jouaient dans des salles un peu partout dans le monde avec orchestre qui était lui ... à Eindhoven ! D’autres tentatives se sont révélées moins convaincantes, mais tout cela a été très intéressant et instructif. Une chose est sûre, on a fait de grands progrès sur la partie captation vidéo/streaming ; on a compris que c’est un sujet à prendre au sérieux, avec du bon matériel. Les musiciens ont fait beaucoup de progrès eux aussi en ce domaine et puis, comme je le leur dis, un smartphone de dernière génération équipé d’un micro professionnel – c’est le point essentiel ! – est largement suffisant pour se filmer individuellement. 
 
C’est d’ailleurs ce que sont invités à faire les candidats présélectionnés pour le Concours de Genève 2021 (violoncelle et hautbois), puisque les deux premiers récitals du Concours ont été fusionnés en un récital online de 45 minutes ...
 
D. S. : Notre problème à Genève, par rapport à d’autres concours qui se déroulent sur une longue période, est que nous clôturons les inscriptions le 30 avril. Les délais sont donc trop courts pour imaginer aller filmer les candidats dans différentes villes. Il serait idéal de pouvoir dire : rendez-vous à New York, à Pékin, à Paris, à Moscou, à Berlin, etc., et nous le ferons sans doute dans le futur, mais pour le moment ce n’est pas possible. Nous invitons donc les candidats à se débrouiller pour enregistrer leur récital, en leur apportant une aide : nous allouons à chacun des musiciens sélectionnés une somme forfaitaire de CHF 500, ce qui leur permet d’acheter un bon micro, de louer une salle ou de rémunérer un technicien, bref d’utiliser cet argent pour réaliser une vidéo de bonne qualité. Nous leur fournissons aussi un tutoriel, un cahier des charges précis afin de parvenir à un format de vidéo le plus uniforme possible.
Le public pourra découvrir ces vidéos sur internet en septembre. Les demi-finalistes retenus par le jury viendront à Genève en octobre (voyage pris en charge par le Concours), ce qui laisse le temps d’organiser les choses, de réaliser des tests, etc. Avec une quinzaine de demi-finalistes pour chacun des deux instruments, c’est parfaitement gérable. Nous avons affaire à un concours hybride cette année. Je précise que nous avons abaissé de CHF 250 à CHF 150 la taxe d’inscription, pour tenir compte des difficultés que connaissent les jeunes musiciens et les aider à participer au concours. Et ils sont nombreux à s’inscrire !
J’avoue que j’ai été très influencé dans mes choix d’organisation par deux concours, d’une part celui de Musique de chambre de Lyon, à mon avis très réussi je vous l’ai dit, mais aussi le Concours de danse de Lausanne, l’un des plus prestigieux dans sa catégorie, qui s’est déroulé complètement online. La qualité était telle qu’il était impossible se deviner que ça se passait dans ces conditions si l’on n’en était pas informé ! Nous avons pris contact avec eux ; il se trouve qu’ils travaillent avec une équipe technique que nous connaissons bien. C’est ce qui nous a persuadé de demander à nos candidats de réaliser la vidéo de leur récital, en les aidant financièrement et techniquement et en effectuant ensuite un travail de postproduction sur ce qu’ils nous livreront afin d’harmoniser les choses.
Nous sommes censés avoir une grosse semaine de concours en octobre à Genève, avec du public on l’espère. Mais personne n’en sait rien fait et tout peut être soudainement remis en question ... Reste que je suis heureux de constater que les acteurs du monde des concours internationaux de musique ont tiré profit de la crise pour réfléchir et trouver de nouvelles pratiques. Le monde va changer, il faut s’adapter en ne sacrifiant pas la qualité et en se préoccupant des jeunes musiciens qui sont au cœur de tout.
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 25 avril 2021
 
Site de la Fédération mondiale des concours internationaux de musique : www.wfimc.org/
 
Site du Concours international de musique de Genève : www.concoursgeneve.ch
 
Photo © A.-L. Lechat
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