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Une interview de Cédric Tiberghien – « Je voulais montrer des compositeurs au travail »

Après un premier volume mêlant Beethoven, Mozart, Schumann et Webern, Cédric Tiberghien nous offre le deuxième volume de Variation[s], une passionnante entreprise (en trois parties, pour Harmonia Mundi) construite autour des variations de Beethoven. Plutôt que de se contenter d’enregistrer l’intégrale de ces œuvres – dont on n’entend que peu d’opus, parmi lesquels bien évidemment les Diabelli – Cédric Tiberghien a pris le parti de les mettre en perspective en les confrontant à des pages de prédécesseurs ou de successeurs de Beethoven. Démarche qui n’est pas pour suprendre de la part d’un musicien qui a toujours attaché un soin extrême à la construction de ses programmes. Le double album qui vient de sortir réunit les 32 Variations en ut mineur WoO 80, les Variations en sol majeur WoO 77, les Variations Dressler WoO 63, Righini WoO 65, Haibel WoO 68, Arne WoO 79 et « God Save the King » WoO 78  à des ouvrages de Sweelinck, Cage, Crumb et Feldman.(1)

Concertclassic s’est entretenu avec Cédric Tiberghien au sujet de son projet Variation[s]. On retrouve le pianiste sur scène à Compiègne (2 février), Bruxelles (11 fév.), Berlin (15 fév.), Castres (18 fév.), Lyon (21 & 22 mars, avec l’Orchestre nat. de Lyon dans le Concerto en sol de Ravel), Caen (8 avr.), avant une tournée aux Etats-Unis (du 19 au 26 avril).
 

 
Comment a germé l’idée de mettre en regard Beethoven avec d’autres compositeurs ?

Elle remonte à loin. En 1992, mon maître Gérard Fremy, m’avait proposé, pour mon prix au Conservatoire, d’apprendre une grande œuvre. Il avait cité une œuvre de Chopin ... ou les Variations Eroica de Beethoven. Et à dire vrai, le ton de sa voix ne m’avait pas beaucoup laissé le choix. Cette œuvre m’a toujours accompagné.(1) Et pour mon « retour » chez Harmonia Mundi, j’ai voulu créer des passerelles, entre des compositeurs d’époques et de styles différents. Je voulais montrer des compositeurs au travail. Et la variation permet de le faire de manière exemplaire. A partir de mélodies très simples, le compositeur développe, et on peut voir son imagination agir directement. Le point culminant est bien sûr Beethoven, avec les Diabelli, tout au long desquelles le compositeur fait éclater la valse et la plie à son génie. Le thème n’est plus qu’un alibi, une étincelle de départ. Beethoven a été un pionnier du travail sur le matériau thématique. Je ne voulais pas enregistrer une intégrale des variations de Beethoven. Je voulais un projet qui me corresponde, que l’auditeur s’interroge sur mes choix d’œuvres et de compositeurs : Harmonia Mundi m’a suivi dans cette aventure.

Parlez nous des 32 variations en ut mineur de Beethoven ...

C’est une œuvre sans numéro d’opus que Beethoven ne semblait pas vraiment aimer. Chaque variation est assez studieuse. Le thème est une chaconne, l’écriture très inspirée de l’écriture baroque, raison, du reste, pour laquelle j’ai enregistré pour le même volume la Chaconne de Bach transcrite pour la main gauche par Brahms. Ces variations ne sont pas un des grands chefs-d’œuvre de Beehoven, mais dès le thème initial on est saisi par une énergie absolument irrésistible ; il s’agit d’une œuvre très puissante qui fait toujours forte impression sur le public.
 

© Jean-Baptiste Millot

Et les variations de Bach, dites Aria variata alla maniera italiana BWV 989, comment les avez-vous découvertes ?

Par une interprétation d’Emil Guilels. Il joue cette œuvre avec une grandeur émouvante, qui m’a toujours bouleversé. J’ai toujours gardé cette interprétation dans un coin de ma tête, et m’étais promis d’enregistrer un jour cette œuvre sublime. Je ne voulais pas, au cœur de cette anthologie, enregistrer les Variations Goldberg, dont la dimension aurait éclipsé une large partie du projet. Ces Variations BWV 989 sont bien plus rares ; j’avais à cœur de les faire découvrir. Il y a une telle inventivité de chaque variation ; Bach manifeste un extraordinaire art de la caractérisation !

Ce volume de Variation[s] confronte Beethoven à des compositeurs contemporains américains. Pourquoi ?

La pièce de Crumb est une œuvre d’une grande puissance. La façon dont le compositeur transforme l’objet sonore est fascinante. De même que la musique de Feldman. Chaque nouvelle note est comme une variation de la précédente. Et j’adore également la manière dont Feldman joue avec le silence. Ce travail me rappelle la démarche beethovénienne.
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 15 janvier 2024
 

Calendrier des concerts de Cédric Tiberghien : www.cedrictiberghien.com/concerts
 
(1) Harmonia Mundi 2CD
(2) Les Eroica figuraient au cœur d’une anthologie de variations Beethoven de Cédric Tiberghien, enregistrée en 2001 pour Harmonia Mundi (HMC 901775). L’interprétation a certes beaucoup évolué depuis mais témoignait déjà d’un exceptionnel tempérament beethovénien.
 

© Jean-Baptiste Millot

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