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Une interview de Béatrice Massin, chorégraphe et directrice des Fêtes Galantes – Ouvrir le champ des rêves

Gestes mousseux, souplesse légère et sensuelle, pas menus, distinction sans crispation, avec son bouquet de danses cueillies au meilleur du baroque, pour sa compagnie Fêtes Galantes, Béatrice Massin sait concilier approche historique et langage vivant d’un art qui plus que tout autre doit se garder d’une lecture archéologique forcément dénaturée. Elle a œuvré pour le très sérieux Atys, aidé à des films, Le Roi danse, à des pièces, La Place Royale, ciselé des bijoux comme Terpsichore, en évitant tout ennui lié à la méthode plus qu’à l’art. A ce jour, elle se veut ludique, et parle aux enfants, en replongeant dans les racines d’un conte célèbre entre tous, La Belle au bois dormant, dont elle tire les ficelles avec une imagination réjouissante. Créé au Théâtre Montansier de Versailles, le court spectacle a conquis le public. Après Vitry-sur-Seine le 19 décembre, on le verra au Théâtre de Chaillot du 26 décembre au 16 janvier.
 
Comment vous est venue cette idée ?
 
Béatrice MASSIN En premier, du personnage de la Duchesse de Bourgogne, Dauphine de France, lumineuse jeune femme qui éclaira les dernières années du règne de Louis XIV et de la morne cour versaillaise de l’époque. Elle était la vie et la fraîcheur même et le vieux monarque l’adora, jusqu’en 1712 où elle mourut à 25 ans, en même temps que son mari et son 2e fils. Le roi ne s’en remit pas. Elle est pour moi la Belle idéale, d’autant qu’elle dansait tout le temps aux  bals de la cour, et que la notation chorégraphique, inventée en 1700, a permis de conserver ses pas. On voit donc le personnage se dessiner dans sa danse même. Quant au conte proprement dit, j’ai toujours été troublée de ne trouver aucune illustration des Contes de Perrault avant Gustave Doré au XIXe siècle, puis dans l’utilisation qu’en fit le ballet romantique en Russie avec Petipa en 1890. J’ai donc voulu replonger l’histoire dans son bain natif. Mais ce n’est pas du tout un ballet narratif. Je donne des pistes: à chacun de les enrichir.
 
Comment parler baroque aux enfants d’aujourd’hui ?
 
B.M. D’abord, il faut préciser qu’il s’agit d’un ballet fait pour le jeune public avec les moyens dévolus à ce jeune public. Le spectacle est court, La compagnie est réduite au minimum, trois seulement, mais ce sont des personnages à transformation, ce qui réjouit les enfants. Mon propos est de me servir de cette danse pour ouvrir le champ des rêves mais aussi la montrer dans son évolution, ce qui est un peu mon propre parcours, par parenthèse. Je raconte la danse à ma façon, particulièrement dans un moment clef, le réveil de la belle : dans ce court instant, il y a à la fois la trame du ballet romantique, le souvenir baroque et l’attitude un peu empêtrée d’un adolescent moderne qui ne sait pas comporter face à cette situation incroyable. Alors que la Belle, elle, comme le précise Perrault, a rêvé de son prince pendant cent ans. Elle le connaît ! C’est cet amusant contraste qui va donner vie à la seconde partie.
 
Quels éléments avez-vous utilisés pour susciter l’intérêt enfantin ?

B.M. Quelques  basiques, comme l’angoisse et la peur (modérément !) Ainsi l’arrivée du Roi, père de la Belle, fait il pousser un grand oh aux gamins. Puis l’épisode de la sorcière : je le raconte de façon elliptique, sans pantomime ou autre moyen vraiment narratif, mais avec un effet de resserrement dans l’espace : la belle traverse et retraverse le plateau, la silhouette de la sorcière se rapproche, forme sinistre qui entoure peu à peu la jeune fille, et leurs croisements progressifs produisent la tension qui va conduire au drame. Pour camper la sorcière et créer la peur, je me suis souvenue de la statue du commandeur qui se trouve à côté du théâtre pragois où fut créé Don Giovanni : un drapé de pierre autour du vide, du néant (un peu comme les nazguls du Seigneur des anneaux de Tolkien, ndlr). Cette statue m’a toujours fascinée. Il faut aussi faire rire: le côté empoté et dégingandé du prince amuse les enfants, tout comme ses bévues : ainsi il embrasse la nourrice, croyant que c’était la princesse.
 
Visuellement, que donnez vous comme cadre ?
 
B.M. De beaux costumes, bien sûr, car ils sont essentiels notamment pour la première partie, qui ne dure qu’une vingtaine de minutes, et où la belle apprend peu à peu à devenir une princesse, ce qui me permet de graduer les danses jusqu’au moment où elle est mûre pour un rôle « officiel ». Pour la seconde partie, j’ai, là encore, trouvé des éléments à Prague, ville mozartienne par excellence : dans son métro, il y a sur les murs des sortes de pavages ultracolorés en dégradés très vifs qui m’ont inspirée. Quant à l’aiguille du fuseau, elle est un rayon lumineux qui traverse le décor. Et pour réveiller tout cela, une alarme qui vrille les tympans lorsque le prince trouve la belle, avant d’enchaîner sur l’air de Chérubin ! Autre de mes pistes d’inspiration, le merveilleux petit livre de la dessinatrice Warja Lavater, qui a illustré le conte au moyen d’adorables symboles permettent de lire l’histoire comme à travers une notation abstraite, mais ravissante.
 
Quels sont vos interprètes ?

B.M. Lou Cantor est ma belle: elle a eu un parcours personnel avant d’intégrer la compagnie aujourd’hui. C’est merveilleux pour moi de la faire travailler et de l’intégrer à mon univers, car elle est ma fille, et que l’harmonie entre nous est parfaite. J’ai également Olivier Bioret, qui fait à la fois le roi et le prince, ce qui n’est pas neutre… Formé au CNSM de Paris, il ajoute à son talent de danseur celui de notateur. C’est dire qu’il est à l’aise dans les pas baroques. Enfin, Corentin Le Flohic, venu du CNDC d’Angers, incarne à la fois la nourrice et la sorcière. Et avec son personnage forcément ambigu, j’ai voulu poser la problématique du travestissement, majeure au temps de Louis XIV, où seuls les hommes paraissaient en scène. Je n’ai d’ailleurs pas traité la nourrice sur le mode grotesque, avec grosse poitrine. Le danseur porte juste une belle robe.
 
Enfin, musicalement, quels sont vos choix ?
 
B.M. Un régal, car en 50 minutes, le conte me permet de dérouler un siècle d’histoire musicale. Lully d’abord, bien sûr, et c’est sur Atys que la Belle s’endort, pour se réveiller chez Mozart. J’ai choisi des pièces de Wolfgang mais aussi de Leopold. Il y a aussi un passage auquel je suis très attachée, c’est celui qui soutient le duo de la belle et de son père, emprunté à une sonate d’Elisabeth Jacquet de la Guerre. C’est magnifique. Et ma passion musicale me conduira ensuite vers Bach, pour la Messe en si, qui sera créée à Chaillot en mars 2016, sous le titre Mass.B., grâce au soutien d’une fondation américaine.
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 10 décembre 2014.
 
La Belle au bois dormant - Vitry-sur Seine, Théâtre Jean Vilar, le 19 décembre 2014 à 19h, www.theatrejeanvilar.com , Paris, Théâtre de Chaillot, les 26, 27 et 28 décembre 2014, les 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 16 janvier 2015. http://theatre-chaillot.fr/danse/beatrice-massin/la-belle-au-bois-dormant
 
A lire, ou plutôt à déplier, La Belle au bois dormant, illustrations de Warja Lavater (Ed. Maeght)

Photo © Luc Barrovecchio

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