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Une interview d’Alain Altinoglu, directeur artistique du Festival de Colmar – « J’ai voulu un festival à mon image »

 

Beaucoup de répertoire rare sous la baguette d’Alain Altinoglu en ce moment : après avoir dirigé le mois dernier à Bozar la 3Symphonie op. 42 « Ilya Muromets » de Reinhold Glière – l’une des plus longues compositions du répertoire symphonique – à la tête d’un vaste effectif réunissant l’Orchestre national de Belgique et l’Orchestre de la Monnaie, le chef retrouve ce dernier à partir du 11 mai pour huit représentations du non moins méconnu Henry VIII de Camille Saint-Saëns, dans une mise en scène d’Olivier Py. (1)
Directeur musical de la Monnaie depuis 2016 et de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort depuis 2021 (2), Alain Altinoglu vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc en prenant il y a peu les rênes du Festival International de Colmar. Un double challenge : la manifestation a en effet connu trois années d’interruption à cause du covid puis de l’éclatement du conflit russo-ukrainien, et il a fallu pour le nouveau directeur artistique bâtir en un temps record la programmation 2023. Elle s’offrira du 5 au 14 juillet prochains, avec de grands rendez-vous symphoniques (Francfort et Altinoglu, Toulouse et Tarmo Peltokoski, Mulhouse et Christoph Koncz), de remarquables solistes (Alexandre Kantorow, Sergeï Kachatryan, François Leleux, Daniel Lozakovich, Grigori Sokolov, Nora Gubisch), mais aussi une belle place réservée à la musique de chambre et à la jeunesse (en particulier lors de concerts de midi en collaboration avec le CNSMDP). Un cocktail idéal pour le nouveau départ du festival alsacien !
 

© Marco Borggreve
 
Comment en êtes vous venu à prendre la direction artistique du Festival de Colmar ?
 
Je connais le Festival de Colmar depuis très longtemps ; avec Nora (la mezzo Nora Gubisch, épouse d’Alain Atinoglu ndlr) nous y avions joué à la fin des années 90, en tant que jeunes musiciens, et Nora a eu l’occasion de s’y produire plusieurs fois par la suite sous la direction de Vladimir Spivakov. L’idée d’assurer la direction artistique d’un festival me tentait depuis un moment. Si vous ajoutez à cela le fait que Colmar se situe dans une région que j’aime beaucoup, vous comprenez que j’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme l’opportunité qui se présentait. Le temps était court, il fallait relever le challenge d’une interruption de trois ans. Et je découvre avec beaucoup d’excitation ce rôle, nouveau pour moi, de programmateur.
 

Cédric Tiberghien, interprète de Bridge, Debussy et Brahms avec Bruno Philippe, le 6 juillet, et d'Enoch Arden de Strauss avec Eric Génovèse, le 7 juillet   © DR
 
Comment caractériser la « signature » Altinoglu que porte désormais la programmation de Colmar ?
 
J’ai voulu un festival à mon image et je me suis attaché à y mettre tout ce qui m’anime dans la vie en général. On trouvera de la pédagogie par exemple : les grands solistes de passage à Colmar donneront le lendemain de leur concert trois ou quatre heures de masterclass pour de jeunes musiciens ou chanteurs de la région. La jeunesse aura sa place aussi lors des concerts de 12h30 au Koïfhus, que nous organisons en collaboration avec le CNSMD de Paris. Cela fait d’autant plus sens pour moi que j’y ai tout appris et que j’y suis professeur aujourd’hui ; c’est une manière de remercier une institution qui m’a tant apporté.
J’ai aussi voulu un éclectisme du répertoire, avec des pièces célèbres que les gens aiment et on envie d’entendre, mais aussi des découvertes, je pense par exemple à une rareté telle que le mélodrame Enoch Arden de Richard Strauss (qui sera interprété par Eric Génovèse et Cédric Tiberghien).

 Autre point important pour moi : trouver des solutions pour casser l’image élitiste que la musique classique peut avoir auprès de beaucoup de gens. J’ai grandi en banlieue dans une HLM, je vivais entouré de gens qui ne faisaient pas de musique et étaient éloignés de cet univers. J’ai vu aussi combien quand on savait leur en parler, le leur faire découvrir, ils étaient immédiatement « accrochés ». C’est pour cela que j’ai mis en place le « Symphonic Mob » qui, le 8 juillet sur la place Rapp, permettra à des amateurs de jouer avec des musiciens professionnels (ceux de l’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort). Au moment où je vous parle, nous avons déjà 150 inscrits ! C’est une formule que j’ai expérimentée avec succès en Allemagne, au Festival de Bad Kissingen. Les partitions sont disponibles en ligne ( bit.ly/42ilCvz ) et chacun peut les télécharger dans une version adaptée à son niveau. On peut évidemment trouver l’original mais aussi, pour les enfants ou les jeunes, des solutions bien plus abordables. Tout est accessible à partir du site du Festival. J’ajoute qu’on trouve même des instruments qui ne figurent pas dans l’original. Il n’y a pas de saxophone dans l’Ouverture de Carmen ... mais nos amis saxophonistes pourront y prendre part !
Un festival à mon image, vous disais-je ... Je suis amateur de gastronomie et c’est pourquoi j’ai proposé à Eric Girardin, chef étoilé, de créer des bouchées en fonction du caractère de la musique, que le public pourra déguster pendant l’un des concerts. Une manière d’associer les sens ; c’est un essai ; nous allons voir ce que cela donne ...
 

Le Trio Karénine, interprète de Rachmaninov, Beethoven et Schumann le 12 juillet © Lyodoh Kaneko

 
Et vous n’avez pas oublié que, jeune musicien, Colmar a fait partie des festivals qui vous ont fait confiance ...
 
Evidemment. Il y a donc les concerts de 12h30, déjà évoqués, mais aussi les concerts de musique chambre de 18h, qui réservent une belle place aussi à la jeunesse. Ce qui est frustrant pour un programmateur, c’est qu’il ne peut pas inviter tout le monde la même année : il doit faire des choix, et penser aux années suivantes.
 
Vous avez conçu la programmation 2023 en temps très bref et avez désormais la possibilité de vous projeter dans le futur. Quels sont les axes que vous souhaitez privilégier pour les prochaines années ?
 
Avant d’annoncer quoi que ce soit pour 2024, je vais d’abord voir comment le festival se passe cet été et tenir compte des réactions du public pour éventuellement affiner ou revoir certaines choses.
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 24 avril 2023

(1) Henry VIII : www.lamonnaiedemunt.be/fr/program/2316-henry-viii

(2) Le contrat d’Alain Altinoglu à Francfort vient d’être prolongé jusqu’à la saison 2027/2028

Festival international de Colmar
Du 5 au 14 juillet 2023
festival-colmar.com/fr
 
Photo © Marco Borggreve

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