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Un dimanche d'orgue particulier à Paris et Saint-Denis – Daniel Roth et Pierre Pincemaille à l'honneur – Compte-rendu

Annoncée de longue date, sous l'égide d'Organpromotion et à l'instigation de Michael Grüber, en raison de la préparation d'un ouvrage auquel ont participé quantité d'auteurs, cette célébration couronnait la « trilogie de Saint-Sulpice » : après le 150ème anniversaire de l'orgue de Saint-Sulpice en 2012 (1), puis en 2015 le 30ème anniversaire de la nomination de Daniel Roth et de Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin comme titulaire et titulaire-adjointe du prestigieux Cavaillé-Coll (2), amis, disciples et public ont fêté ce 5 novembre à Saint-Sulpice le 75ème anniversaire de Daniel Roth, né à Mulhouse le 31 octobre 1942. L'hommage coïncida avec l'office de 11 heures (introduit et refermé par le Prélude et la Marcia de la Troisième Symphonie de Widor), permettant d'entendre pour la première fois à Paris sa Missa beuronensis, créée quelques temps auparavant en l'archi-abbaye de Beuron (Bade-Wurtemberg) : cinq moines des abbayes bénédictines de Beuron et de São Paolo avaient fait le déplacement pour en assurer le plain-chant traditionnel, l'orgue de chœur étant tenu par Bruno Morin – et Pierre-François Dub-Attenti pour l'Offertoire –, Daniel Roth jouant naturellement l'orgue de tribune.

Daniel Roth à la console de Saint-Sulpice © DR
 
Les sections d'orgue, de grande envergure, de cette Missa relèvent d'une palette de styles s'intégrant superbement dans le déroulé de la liturgie, certaines plus audacieuses, toutes mettant en valeur l'instrument de façon particulièrement envoûtante – à l'instar des improvisations que Daniel Roth, tout au long de l'année liturgique, offre aux heureux paroissiens et aux innombrables visiteurs de Saint-Sulpice : le rendez-vous de la traditionnelle et très prisée audition, qui fait immédiatement suite à l'office, jouit depuis toujours d'une aura internationale qui ne se dément pas. Celle de ce 5 novembre prit la forme d'un dialogue entre plain-chant des moines et improvisations de Daniel Roth, en un vaste prolongement de l'esprit de l'office magnifiant tant le grégorien des offices de Toussaint que le Cavaillé-Coll, en aussi grande forme que son titulaire, gratifié d'une immense et longue ovation.

Le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice © DR
 
S'ensuivit en milieu d'après-midi une cérémonie dans la crypte de l'église (où repose Charles-Marie Widor) avec présentation de l'ouvrage évoqué (en allemand avec résumés en français et en anglais) : Licht im Dunkel – Lumière dans les ténèbres / Festschrift Daniel Roth zum 75. Geburtstag (3). Le titre reprend celui d'un poème pour orchestre de Daniel Roth créé en 2005 à Ludwigshafen puis donné en première audition à Paris en 2006, à Saint-Étienne-du-Mont, sous la direction de François-Xavier Roth. Étaient aussi proposés l'enregistrement de la Missa beuronensis pour schola et orgue (la partition est également disponible) ainsi qu'un DVD-CD – Hommage à Daniel Roth : Un portrait d'artiste (4). Comme la vie musicale ne connaît de trêve à Saint-Sulpice, profitons-en pour annoncer le concert du 19 novembre à 16 heures, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Lefébure-Wely (1817-1869), premier titulaire du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice : Vincent Genvrin et François Ménissier seront aux deux orgues, avec la soprano Françoise Masset, l'Ensemble Les Meslanges de Thomas van Essen
 et Volny Hostiou au serpent – mais aussi Daniel Roth.
 
Les trente ans de titulariat de Pierre Pincemaille
 
En fin d'après-midi de ce même dimanche, une foule considérable s'était donné rendez-vous en la basilique Saint-Denis pour célébrer les trente ans de titulariat de Pierre Pincemaille (photo). La nef comble disait combien le titulaire des lieux, par la qualité et le nombre de concerts organisés aux claviers du Cavaillé-Coll op. 1 (1841), a su au cours de ces trente années fidéliser un public conscient du privilège de disposer d'un instrument aussi somptueusement singulier. Lequel, ayant bénéficié de soins intensifs cet été après le valeureux récital de Raphaël Tambyeff (5) – grand dépoussiérage et accord – impressionna par une présence plus affirmée que jamais, bénéficiant sans doute aussi de la baisse de la température.
 

La console du Cavaillé-Coll de Saint-Denis © DR

Pierre Pincemaille ne serait pas le musicien que l'on sait s'il se gardait du risque. Aussi avait-il décidé d'ouvrir le programme avec la Pièce d'orgue BWV 572 de Bach, à la mémoire de Mgr Olivier de Berranger, évêque de Saint-Denis de 1996 à 2009. Avec pour le premier volet de ce triptyque, Très vitement, une registration à la fois diaphane et acérée obligeant l'oreille de l'auditeur à faire d'emblée l'effort de la plus extrême concentration, l'ultime section, Lentement, apparaissant telle la résolution de cette tension auditive. Entre les deux – vertige assuré ! – le Gravement sur le grand plein-jeu, renversant de densité et de décente magnificence, fut un moment de grâce d'une éloquente et sereine majesté.

On se souvient que cinq ans auparavant, pour fêter ses vingt-cinq ans de titulariat (6), Pierre Pincemaille avait programmé la Messe solennelle pour deux orgues et chœur op. 16 de Louis Vierne : elle fut de nouveau proposée, au Madrigal de Paris déjà entendu en 2012 s'étant joint pour la circonstance le Chœur de Chambre d'Île-de-France de Jean-Sébastien Veysseyre ; les deux formations étaient dirigées par Pierre Calmelet, chef du Madrigal de Paris. À l'« orgue de chœur » (de nouveau électronique mais pour un équilibre convaincant) : Quentin Guérillot. Le tout rehaussé de quatre cuivres !
 

Pierre Pincemaille © DR

Certes, côté équilibre, tout dépend de l'endroit de la nef où l'on est placé. Les chœurs, disposés à la croisée, aussi vaillants et puissants soient-ils, étaient soumis à rude épreuve dans leur confrontation avec le grand orgue. Sans s'être le moins du monde passé le mot, une réflexion fusait à l'issue du concert : lors de la première entrée de l'orgue, on reçut à pleine puissance l'image sonore rêvée de l'orgue de Notre-Dame de Paris tel qu'il était dans les années 50 et 60. Monumental, altier, exerçant une irrépressible attraction sans jamais basculer dans l'excès. La Messe tout entière fut un radieux et solennel frisson musical, à l'image de la sensibilité de Vierne, et de Pincemaille.
 
Trois Motets a cappella de sa composition s'ensuivirent, par le seul Madrigal de Paris : Pater Noster, Ave Maria, Ave Verum. Le deuxième figurait au programme de 2012, les deux autres, tout aussi magnifiques et dans la veine Ravel-Duruflé individualisée et prisée par Pierre Pincemaille, étaient donnés en première audition. L'immensité du lieu n'est pas le meilleur gage d'intelligibilité – il faudrait les proportions et la lumière de Saint-Étienne-du-Mont pour goûter à souhait les subtilités harmoniques des parties –, mais impact et séduction furent bel et bien au rendez-vous, faisant naître le désir de réentendre ces pages.
 
Le concert se referma dans la grandeur et la concision sur les sept versets de l'hymne grégorienne des vêpres de la Toussaint Placare Christe servulis, traités en alternance par le chœur et le grand orgue, Pierre Pincemaille optant pour un format liturgique : un développement chaque fois scrupuleusement calibré, esthétiquement et formellement maîtrisé, sans nulle redite ou redondance – l'équilibre même, servi par un art de la registration et une acuité de l'articulation qui, sur cet orgue dont on sait la difficulté de maniement, laisse pantois. Chapeau bas devant tant de souplesse, de pure aisance et d'inspiration, de « naturel » et de « domination du sujet », des sublimes flûtes harmoniques jusqu'au tutti de l'instrument.
 
Un dimanche à marquer d'une pierre blanche pour deux anniversaires plus que dignement célébrés.
 
Michel Roubinet

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Paris, église Saint-Sulpice / Saint-Denis, basilique Saint-Denis, dimanche 5 novembre 2017
 
 
(1) www.concertclassic.com/article/anniversaire-de-lorgue-cavaille-coll-de-saint-sulpice-150-ans-et-en-grande-forme-compte
 
(2) www.concertclassic.com/article/daniel-roth-et-sophie-veronique-cauchefer-choplin-30-annees-de-titulariat-saint-sulpice
 
(3) www.bodensee-musikversand.de/product_info.php?products_id=580676
 
(4) organpromotion.de/de/shop/dvds/product/view/2/40
 
(5) http://www.concertclassic.com/article/raphael-tambyeff-la-basilique-saint-denis-se-laisser-guider-par-lopus-1-de-cavaille-coll
 
(6http://www.concertclassic.com/article/pierre-pincemaille-saint-denis-25-ans-aux-claviers-du-cavaille-coll-op-1-compte-rendu
 
 
Sites Internet
 
Daniel Roth
www.danielroth.fr
 
Pierre Pincemaille
pierrepincemaille.fr

Photo Pierre Pincemaille © DR

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