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Un Bal masqué selon Waut Koeken à l’Opéra de Marseille – Retour à l’origine – Compte-rendu

 
Six ans après avoir séduit le public à Luxembourg, Nancy, Maastricht, Rennes et Nantes, Un Bal basqué mis en scène par Waut Koeken s’offre un voyage dans le Sud, à Marseille plus précisément, sans avoir perdu une once de son intérêt en traversant les vicissitudes du temps présent.
 
Des vicissitudes, l’ouvrage en a connues et Verdi avec lui. Initialement le compositeur avait travaillé sur un livret d’Antonio Somma d’après Gustave III ou le bal masqué d’Eugène Scribe qui relate l’assassinat du roi de Suède au cours d’un bal donné à l’Opéra de Stockholm. Giuseppe compose et, au moment de livrer l’œuvre au San Carlo de Naples – le commanditaire – la censure s’active : impossible de montrer un régicide sur scène, impossible aussi de se servir d’un pistolet ; d’exigences en interdictions, le roi deviendra comte et même duc, l’action se déplaçant de la Poméranie à Boston pour une création au Teatro Apollo à Rome. Il faudra attendre les années 1950 pour revenir à l’origine et retrouver Stockholm, le roi, les pistolets… Ce qui peut sembler cocasse aujourd’hui car le texte chanté fait état d’épée et de poignard alors que, sur scène, les personnages brandissent des armes à feu…
 

Sheva Tehoval (Oscar) © Christian Dresse
 
C’est la version originelle, royale donc, que le metteur en scène belge a travaillée ici avec un grand sens de l’esthétique. Despote éclairé, pratiquant lui même le théâtre, assassiné à l’Opéra : pour coller au personnage de Gustave III, Waut Koeken inscrit l’action dans l’univers de l’art dramatique ; une mise en abyme qui donne à voir coulisses et envers du décor – la scène finale s’inscrit au cœur du théâtre San Carlo vu en contre-plongée : spectaculaire ! De la qualité et du bon goût dont le décorateur et costumier Luis F. Carvalho ne se départit à aucun moment.
L’autre gageure, réussie, de ce travail est de faire cohabiter le drame (le roi est amoureux, sans consommer, d’Amelia, la femme de son meilleur ami le comte Anckarström qui, après avoir découvert la relation, rejoindra deux comploteurs désireux de tuer Gustave) avec la légèreté de la mascarade, le trait d’union entre les deux ambiances étant Oscar, mi-page, mi-bouffon, virevoltant en permanence au milieu des protagonistes dans un univers parfois proche du théâtre ambulant qui animait autrefois les places de village.
 

Enkeledja Shkoza (Ulrica) © Christian Dresse
 
La jeune soprano Sheva Tehoval donne vie à Oscar avec des aigus juvéniles maîtrisés et un sens de la comédie évident. Sans aucun complexe elle embrasse avec charme et aisance ce rôle dont on pourrait penser qu’il est accessoire alors qu’il est indispensable. A ses côtés, Chiara Isotton (photo) impose son Amelia avec l’assurance et la maîtrise d’une excellente soprano verdienne. Un chant détaillé, des aigus redoutables de puissance, une projection idéale, elle fait preuve d’une intense sensibilité notamment dans son grand air de l’acte III « Morro, ma prima in grazia » qui procure le frisson. En Ulrica, la mezzo-soprano Enkeledja Shkoza possède la gravité, l’ampleur et la maturité vocales d’une femme qui a vécu. Son léger vibrato apporte encore plus de présence inquiétante à la devineresse qui complète idéalement le trio féminin de l’œuvre.
 

Gezim Myshketa (Anckarström) & Chiara Isotton (Amélia)  © Christian Dresse
 
Enea Scala (photo), radieux, se glisse dans la peau d’un Gustave III qui traverse la pièce comme un jeune premier, amoureux de surcroît, auquel il ne peut rien arriver. Son insouciance et son innocence l’emmènent à la mort, lui qui a toujours respecté Amelia jusqu’à signer un ordre de mission pour son mari synonyme de séparation. Magnanime il pardonnera à son assassin avant de fermer les yeux au terme d’une agonie d’opéra aussi longue qu’émouvante. Quant à sa voix, que dire sinon qu’elle nous a semblé être à la hauteur du rôle, empreinte de puissance et de sensibilité, avec une ligne de chant idéale, de la limpidité dans la diction et une grande facilité dans l’aigu.
 
C’est au baryton Gezim Myshketa qu’incombait le rôle de l’ami-assassin, ce comte Anckarström qui n’a de cesse de prévenir Gustave du danger mortel qui le menace avant de devenir, par jalousie, celui qui tirera dans son dos au cours du bal masqué. L’homme est solide et doit vocalement se hisser à la hauteur du duo évoqué plus haut. Il y parvient mais laisse entrevoir, et surtout entendre, quelques courts moments légèrement plus faibles. Maurel Endong (Ribbing) et Thomas Dear (Horn) sont bien à leur place de conspirateurs et Gilen Goicoechea brille dans le court rôle de Cristiano.
 

© Christian Dresse

Emmanuel Trenque, qui poursuit désormais sa carrière au théâtre de La Monnaie à Bruxelles, a hissé ces dernières années le chœur de l’Opéra de Marseille au meilleur niveau. Son successeur Florent Mayet marche dignement dans ses pas à en juger par l’excellence de la prestation de ses troupes au service des ensembles vocaux somptueux que comprend l’ouvrage.
Puis il y a le grand ordonnateur de la musique, Paolo Arrivabeni, dont les directions font vibrer le public marseillais depuis déjà vingt ans. Il maîtrise sur le bout des doigts les subtilités de l’univers verdien et ne se prive pas de mettre en exergue les qualités d’une partition où le bel canto est moins développé qu’à l’habitude et où l’instrumentation offre un idéal complément du chant tout en étant une parfaite créatrice d’ambiance. Une nouvelle fois, le maestro bénéficie des couleurs, de la précision et de la passion de l’orchestre maison pour y parvenir. Ovation méritée aux saluts !
 
Une fin de saison qui ne rend que plus impatient d’aborder la suivante, celle du 100ème anniversaire de la résurrection de l’Opéra de la cité phocéenne. Rentrée le 26 septembre avec Norma, dans une mise en scène d'Anne Delbée et sous la baguette de Michele Spotti.
 
Michel Egéa
 

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Verdi : Un Bal masqué – Marseille, Opéra, 4 juin ; prochaines représentations les 7, 9 et 11 juin 2024 // opera.marseille.fr/programmation/opera/un-ballo-maschera

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