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Turandot au Festival Castell Peralada – Impériale Iréne Theorin – Compte-rendu

Turandot n'avait encore jamais été présenté à Peralada, c'est pourquoi le directeur du célèbre festival catalan a proposé à Mario Gas de mettre en scène l'ultime ouvrage de Puccini pour marquer les trente ans de la manifestation.

L'affiche aurait sans doute gagné en prestige et en attrait, si Gregory Kunde, l'inoubliable Otello du cru 2015, avait pu comme il en a été question, s'associer à cette production (donnée à deux reprises les 6 et 8 août). L'illustre ténor a finalement été remplacé par Roberto Aronica, Calaf tout en muscle, constamment à la recherche de son personnage, tantôt sur la réserve, comme pour faire oublier sa présence, tantôt à se hausser du col au risque de s’époumoner, capable pourtant de passer à la trappe le contre ut de "Ti voglio ardente d'amore" et d'éviter d’un cheveu la catastrophe dans un "Nessun dorma" au bas medium rocailleux, abordé sans aucune stabilité.

Tout le contraire de sa partenaire, la soprano suédoise Irene Theorin, grande titulaire du rôle, qui impressionne par l'importance et la justesse de ses moyens, mais également par la qualité de son interprétation. Sous des dehors de princesse intouchable et cruelle bat bel et bien un cœur de femme, comme le traduit intelligemment cet organe nuancé, phrasé sans effort et qui se joue des pièges parsemant la partition. Ni stridence, ni raideur, mais au contraire un instrument qui se plie aux exigences musicales avec discipline pour révéler les névroses de ce personnage facilement caricatural et trop souvent perçu comme binaire.
 
La première Liu de la Mexicaine Maria Katzarava, entendue récemment au Liceu dans Desdemona, possède une ligne de chant soignée et un timbre charnu, mais on aurait aimé que ses apparitions soient exécutées avec un style plus pur et que ses aigus piano soient filés avec plus de raffinement, d'émotion et d'irréalité, à la manière d'une Scotto, ce qui est sans doute trop demander.
Andrea Mastroni dessine avec aplomb le vieil aveugle Timur, de même que Josep Fado celui de l'Empereur Altoum, le trio Ping, Pang, Pong étant incontestablement dominé par le baryton Manel Esteve (Ping). Si l'Orchestre Symphonique du Gran Teatre del Liceu placé sous la baguette experte et enthousiaste de l'Italien Giampaolo Bisanti a donné le meilleur, malgré des cordes insuffisamment incisives, la représentation a été sublimée par la prestation exceptionnelle du Chœur Intermezzo, dont les jeunes protagonistes sont tous titulaires du Chœur du Teatro Real de Madrid, préparé par Enrique Rueda.

© Tito Ferrer
 
Le spectacle conçu par Mario Gas s'appuie sur l'élégante scénographie signée Paco Azorin (metteur en scène d'Otello à Peralada l'été dernier) avec au centre du plateau, sur une tournette, un temple rouge sang, évidé d'acte en acte, et des costumes aux coupes et aux étoffes recherchées d'Antonio Belart, éléments qui servent avant tout à illustrer un conte dont l'exotisme frise parfois la pacotille. Quelques idées proches de la bande dessinée viennent accessoiriser l'action, comme ces pousse-pousse desquels sortent tels des pantins les facétieux ministres Ping, Pang, Pong, ou quelques prostituées aguicheuses censées remplacer Turandot dans le cœur de Calaf.

Le clou de la soirée se situe pourtant après la mort de Liu, une voix off annonçant que l’œuvre de Puccini s’arrête là, ce dernier n’ayant pas été en mesure de la conclure en raison de son décès. Après un silence solennel, la représentation reprend son cours avec le final d'Alfano chanté par les artistes vêtus d'un smoking et d'une robe du soir, pour permettre à Turandot et Calaf de s'ouvrir à l'amour une fois dépouillés de leurs oripeaux scéniques.
Intelligente façon de contourner une difficulté !
 
François Lesueur

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Puccini : Turandot – Festival Castell Peralada, 6 août 2016
 
Photo © Toti Ferrer

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