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​Trois questions à Richard Brunel, directeur de l’Opéra de Lyon – "J’ai la responsabilité de faire découvrir une nouvelle génération de metteurs en scène et de faire venir les grands noms du monde lyrique"

Successeur de Serge Dorny à la direction de l’Opéra de Lyon, Richard Brunel a présenté le 5 mai sa première programmation. Une saison «  de transition » dont il dégage ici les grandes lignes.
 
Dans un contexte difficile (baisse de la subvention de la ville, report de spectacles annulés), comment avez-vous composé cette saison 2021-22 ?

Comme tous les membres de l’équipe de l’Opéra de Lyon, j’ai été extrêmement surpris que la ville annonce en cours d’année une baisse de sa subvention. Cette réduction aura forcément un impact sur le programme d’ouverture et de création que je compte développer. Nous allons entamer avec la ville, car il faut que les élus soient associés aux conséquences de leur décision. Conscient de ma responsabilité, j’ai maintenu tous les projets déjà en cours, et j’ai tenu à honorer les contrats engagés par Serge Dorny pour les quatre productions qui auraient dû être présentées en 2020-21 et qui sont reportées en 21-22 (Rigoletto, Irrelohe de Schreker, Shirine, création de Thierry Escaich, et Hänsel, Gretel d’après Humperdinck). Nous avons pu maintenir les distributions initialement prévues, au prix de quelques ajustements pour des questions de disponibilité. Rien à signaler pour Shirine et pour Irrelohe ; pour Rigoletto, en revanche, il y a deux changements : Enea Scala sera le duc de Mantoue, et Michele Spotti étant occupé ailleurs au même moment, c’est Daniele Rustioni qui sera dans la fosse. Il me paraît important que notre directeur musical ait aussi la priorité pour les productions maison. Et je précise qu’aucun spectateur n’a pu voir ces spectacles, qui ont été annulés à cause du premier confinement.
Par ailleurs, j’ai choisi de proposer la saison prochaine une reprise du Messie dans la production qu’avait signée en 2012 Deborah Warner ; il y aura aussi The Pajama Game, la comédie musicale que Jean Lacornerie avait montée en décembre 2019. Du côté des nouveautés : María de Buenos Aires de Piazzola, avec les Nuits de Fourvière, Peer Gynt, et le Falstaff d’Aix-en-Provence, qui fait suite à une discussion que j’ai pu engager il y a deux ans. C’est donc une saison de transition, entre l’héritage de Serge Dorny et mes propres pistes de programmation. Un cas particulier : je fais moi-même partie des reports puisque j’étais invité en tant que metteur en scène pour Shirine de Thierry Escaich. Mais rassurez-vous, je n’ai aucune intention d’imposer à l’avenir un « festival Richard Brunel » ! Je serai simplement un artiste-directeur comme il y en a dans plusieurs maisons d’Europe : je pense  Barrie Kosky au Komische Oper de Berlin, ou à Benedikt von Peter à Bâle.

Comment envisagez-vous l’équilibre entre les « formats hybrides entre théâtre, musique et cirque contemporain » que vous souhaitez proposer et le répertoire lyrique plus traditionnel ?

Si je voulais travailler seul, je n’aurais pas choisi d’être metteur en scène. Et si je n’avais pas un parcours qui m’a conduit à monter une vingtaine d’opéras en France et en Europe, je n’aurais pas été candidat au poste de directeur de l’Opéra de Lyon. J’ai la responsabilité de faire découvrir une nouvelle génération de metteurs en scène et de faire venir les grands noms du monde lyrique. Mettre en scène est pour moi une excellente façon d’être proche des équipes, au cœur des problématiques musicales et théâtrales, et je précise que j’ai été rejoint, pour la production lyrique, par Jochen Breiholz du Theater an der Wein. Si je propose des « formats hybrides », c’est notamment pour élargir notre public. C’est le cas pour María de Buenos Aires qui sera monté par avec Yaron Lifschitz, metteur en scène australien de la Compagnie Circa à l’intersection du cirque, de la danse, de la musique et du théâtre. Et bien sûr avec Peer Gynt, qui inclura les 70 minutes de Grieg et une vingtaine de minutes de texte parlé : même s’il y aura dans le rôle-titre Jérémy Lopez, sociétaire de la Comédie-Française, nous restons une maison d’opéra, il ne s’agit pas de présenter une pièce de théâtre de quatre heures avec la musique de scène qui interviendrait ici et là. Ce spectacle fera vraiment l’objet d’un travail conjoint entre la chef Elena Schwarz et la metteuse en scène Angélique Clairand.

En 2021-22, il y aura du grand répertoire (Rigoletto, Falstaff, Manon) et des titres rares comme Irrelohe. Je veux faire découvrir ou redécouvrir des œuvres méconnues en France : on joue toujours les cent mêmes opéras, mais il y a des trésors délaissés dans le répertoire mondial. Et il y aura aussi la création contemporaine, qui est un autre aspect de mon projet. Pour les saisons à venir, je souhaite aussi faire revenir des compositeurs ou des titres qu’on a moins vus à Lyon ces derniers temps : Puccini a été très peu joué au cours des vingt dernières années ; quant à Wagner, Serge Dorny a programmé certains de ses opéras, mais d’autres n’ont plus été donnés depuis 1970 ! Entre les répertoires russe, allemand, le belcanto et le baroque, il y a vraiment de quoi faire, avec pour idéal de trouver un équilibre entre les œuvres connues, les raretés, et les créations, trois axes que mon prédécesseur appliquait déjà.

Les versions de concert permettront-elles de faire une plus large place au répertoire et aux artistes français ?

Je parlais de Wagner, l’un des deux opéras en concert inclura le deuxième acte de Tristan et Isolde, avec la prise de rôle de Michael Spyres ! J’ai souhaité que Daniele Rustioni, qui sera avec nous jusque 2025, amorce ainsi un cycle Wagner et Richard Strauss, comme une préfiguration des saisons à venir, une mise en bouche avant les productions scéniques prévues. Isolde sera Ausrine Stundyte, que l’on a vue à Lyon dans Lady Macbeth de Mzensk ; c’est une artiste avec laquelle nous voudrions tisser des liens réguliers. Sans oublier, en Brangaene, Tanja Ariane Baumgartner, qui est aussi une très grande chanteuse. Mais l’opéra en concert, c’est aussi notre cycle Massenet, entamé cette saison avec Werther. En 2021-22 il y aura Manon (en remplacement d’un autre titre initialement prévu) et je peux déjà vous révéler que l’an prochain, ce sera Hérodiade. On en restera là pour Massenet, et nous commencerons un autre cycle sur trois ans. Cela me paraît être une bonne solution pour faire entendre des œuvres pour lesquelles il est difficile d’offrir une proposition scénique intéressante. Ce n’est pas le cas de Manon, mais c’est déjà plus vrai pour Hérodiade, et ce l’est tout autant pour I due Foscari que nous présentons à Aix cet été.
C’est aussi l’occasion pour Daniele Rustioni d’ouvrir son répertoire italien avec le français et le germanique, d’élargir sa palette, son travail sur les couleurs, la précision. Il y a actuellement une formidable  entente entre l’orchestre et son chef. Pour revenir au répertoire français, il sera représenté la saison suivante par deux titres français, notamment grâce à des coproductions. Je ne ferai pas comme mon camarade Laurent Campellone à Tours, qui a décidé de mettre la musique française au cœur de son projet, et c’est formidable, mais nous aurons régulièrement des ouvrages français à l’affiche. Dans tout le travail accompli par Laurent Pelly autour d’Offenbach, notamment, il y a de très belles choses qui pourront être reprises. Quant aux artistes français, il y aura cette année Patricia Petibon dans Manon, Julien Behr dans Shirine, Stéphane Degout en Ford dans Falstaff. Sans oublier le concert Messiaen/Chausson/Debussy avec Aude Extrémo. Quand j’ai été nommé à ce poste, une des premières choses que j’ai faites a été d’appeler de jeunes chanteurs pour discuter de leurs interrogations, de leurs possibilités, de leur répertoire, sans passer par les agents, pour entendre leurs désirs. Comptez sur l’Opéra de Lyon pour vous réserver de belles surprises dans les saisons prochaines !

Propos recueillis par Laurent Bury le 7 mai 2021

Opéra national de Lyon : www.opera-lyon.com/fr
Photo © Jean-Louis Fernandez

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