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Trois créations et une redécouverte par l’Ensemble 2e2m – Mémorable ! – Compte-rendu
Il règne une certaine effervescence rue de Madrid pour ce concert de l’Ensemble 2e2m. L’Auditorium Marcel Landowski du Conservatoire à rayonnement régional (CRR) est archi-comble et nombre de compositeurs se mêlent à un public curieux. Il faut dire que le programme concocté par Léo Margue (photo) a de l’allure. Le jeune et brillant directeur artistique de l’ensemble, dont il perpétue l’histoire plus que cinquantenaire, a réuni trois créations mondiales, précédant la redécouverte – fabuleuse – d’un concerto pour violon d’Aurèle Stroë (1932-2008). Ouvert par quelques mots enthousiastes du chef, le concert ne tardera pas à montrer une grande cohérence.
La première œuvre est une commande de l’ensemble à l’Italienne Giulia Lorusso (née en 1990), « compositrice associée » pour la présente saison : elle propose un très beau travail, où s’entrecroisent, se répondent et s’amplifient les sonorités de la guitare électrique et de l’ensemble instrumental. Cette réflexion sur l’hétérogénéité et cette invitation à une écoute fine perd cependant un peu en intensité au fil de la pièce.
Le compositeur russe Dmitri Kourliandski (né en 1976) était en résidence auprès de 2e2m en 2010. On se souvient de sa musique radicale, sans concessions, sans affect, souvent bruitiste et refusant le mouvement. Possible Places 3 est la première partition qu’il a pu composer après son exil à Paris, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par le régime russe. C’est une œuvre apaisée, dans laquelle le compositeur revient aux fondements de sa « musique objective ». Le matériau saillant est une phrase faussement simple à l’accordéon, mais parasitée sitôt énoncée par la harpe (qui mobilise des techniques non conventionnelles, comme ce mini-ventilateur dont les pales font vibrer les cordes tel un instable bourdon). L’ensemble (flûte, clarinette, basson, trombone, violoncelle, contrebasse) qui entoure les solistes apporte à l’objet sonore initial (la phrase réengagée sans cesse par l’accordéoniste Pascal Contet) un éclairage toujours changeant. En 2011, un diptyque, Objets impossibles, faisait appel à la vidéo, la musique émulant les volumes géométriques à l’écran. Ici, il n’est plus besoin de l’œil pour « voir » tourner l’objet musical, l’appréhender sous toutes ses facettes.
Farnaz Modarresifar © Maï Toyama
La troisième œuvre, Dis de Farnaz Modarresifar (née en 1989), toujours une commande de 2e2m, est une nouvelle merveille sonore : écrit pour la soprano Marie Soubestre, la partition requiert deux santûrs, cithare iranienne proche du cymbalum, que joue la compositrice elle-même. Les sonorités fusionnent et s’entrechoquent, nimbées du mystère de son propre texte poétique et des résonances du lithophone, instrument et sculpture sonore, conçu et joué par Tony Di Napoli.
Trois beaux exemples donc de compositeur ou compositrice à l’ouvrage, trois figures de la musique en train de se faire. S’y ajoutait, en conclusion du concert, la redécouverte – on peut même dire l’apothéose – du concerto violon Capricci et ragas d’Aurèle Stroë. La musique du maître roumain, ardemment défendue par le compositeur Bernard Cavanna – qui en proposait un portrait sensible en avant-concert – est stupéfiante. Le pari de l’hétérogénéité est ici extrême, dans l’orchestration même : petite flûte, 2 clarinettes, contrebasson, 2 trombones, harpe, percussions, 4 altos, 2 contrebasses – il faut d’ailleurs le renfort d’étudiants du CRR et du Pôle supérieur de Boulogne-Billancourt. Le compositeur en fait un point d’accroche pour l’écoute dans cette œuvre articulée entre mouvements virtuoses invoquant les mânes de Paganini et moments réflexifs, volontiers micro-tonaux, intitulés « Écoute fine I, II et III ».
Noémi Schindler © Sophie Steinberger
L’interprétation est magnifiée par Noëmi Schindler, violoniste en état de grâce de la première note jusqu’à la dernière, tenue jusqu’aux bords du silence, et par la direction époustouflante de Léo Margue, embarquant tout le monde, musiciens et publics, confondus dans une même écoute. L’œuvre et sa sublime interprétation vont faire l’objet d’un enregistrement pour le label L’Empreinte digitale : un beau souvenir pour ce concert mémorable.
On va d’ailleurs bientôt pouvoir à nouveau applaudir les talents de Léo Margue et de son équipe, samedi 11 mai, lors d’un passionnant après-midi André Jolivet (dont 2024 marque le cinquantenaire de la disparition) au Conservatoire Edgard-Varèse de Genevilliers.(1) Un lieu tout trouvé quand on sait l’influence décisive que l’auteur d’Amériques exerça sur son cadet.
Jean-Guillaume Lebrun
(1) ensemble2e2m.com/fr/page-78/detail-344/anniversaire-andre-jolivet.html
Paris, CRR – 25 avril 2024 // ensemble2e2m.com
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Photo © Sylvie Fréjoux
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