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Tristan et Isolde au Festival de Bayreuth - Sombre et violent – Compte-rendu

Après une mise en scène iconoclaste des Maîtres Chanteurs au Festival de Bayreuth en 2008, Katharina Wagner, désormais seule à bord du Festspielhaus depuis le départ programmé de sa demi-sœur Eva, propose depuis l’an dernier une relecture très personnelle de Tristan et Isolde. Servie par la direction architecturée de Christian Thielemann – désormais directeur musical de la manifestation bavaroise –, sa régie porte un regard sans concession sur la passion qui unit les deux héros.
 
Tout paraît en effet déjà écrit dès les premiers échanges et le philtre d’amour n’a nul besoin d’agir tant la crudité des relations s’impose d’emblée. Les décors de Frank Philipp Schlössmann et Matthias Lippert ne laissent guère de respiration entre les trois actes (l’intérieur d’un bateau, sorte de dédale à la Piranèse, puis une prison gardée par des projecteurs, lieu d’enfermement, de toutes les tortures, enfin un univers fermé à caractère symbolique où apparaissent fugitivement des vidéos de forme triangulaire, mirages évoquant les délires de Tristan).
 

© Enrico Nawrath
 
Noirceur et violence prévalent dans des scènes suggestives : le Roi Marke règle ses comptes sans jamais pardonner la trahison, et Isolde n’est plus transfigurée par l’amour dans son ode à la mort mais violemment entraînée par la force dans les coulisses. Le mythe est banni pour faire place à une réalité désespérante que la précédente production in loco (signée de Christoph Marthaler au mitan des années 2000) n’avait pas atteint à un tel degré. Véritable capitaine à la tête d’un orchestre toujours aussi performant, Thielemann ménage des moments de pure splendeur où l’esthétisme l’emporte le plus souvent sur la profondeur. Il faut pourtant lui reconnaître un sens de la narration, de la subtilité, des nuances infinitésimales, quoique l’humanité sous-jacente échappe à sa conception dénuée d’émotion, en parfait accord avec celle véhiculée par Katharina Wagner.

© Enrico Nawrath
 
En Isolde, Petra Lang, véritable bête de scène, compense désormais ses limites vocales par une grande expérience. La soprano peine à équilibrer le prisme de son chant et la projection des aigus tient parfois du cri, mais elle parvient néanmoins à surmonter les écueils de la scène finale avec intensité. Stephen Gould incarne un Tristan crédible, endurant. La présence scénique n’est pas son point fort (l’hymne à la nuit à l’acte II...), mais il fait preuve de solidité et d’intelligence du rôle. Sans doute fatigué, Georg Zeppenfeld (parallèlement, il incarne le Hunding de La Walkyrie et le Gurnemanz de Parsifal) assume avec prestance la psychologie d’un Roi Marke brutal, peu enclin au pardon. La Brangäne de Christa Mayer, très applaudie, déploie un timbre radieux et des qualités d’intonation remarquables.
Mention spéciale pour le Kurwenal de belle tenue de Iain Paterson, pour le Melot inquiétant de Raimund Nolte et le Pilote généreux de Kay Stiefermann, qui compense le peu de séduction de Tansel Akzeybek en Berger et Jeune Marin. Un spectacle qui ne tient pas ses promesses et ne nous a pas réellement convaincu.
 
Michel Le Naour

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Wagner, Tristan et Isolde - Bayreuth, Festspielhaus, 22 août 2016
 
Photo © Enrico Nawrath
 

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