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Tricentenaire de l’Ecole Française de Danse - Interview de Nicolas Paul et de Béatrice Massin, chorégraphes du ballet D’ores et déjà

Cette célébration que l’Opéra de Paris programme ce mois en grande pompe, ce sont des siècles de positions et de mouvements codifiés, de recherches à l’infini pour assurer à la fois harmonie et expressivité, mises en place par une triade de génies, Lully, Beauchamp et Louis XIV soi-même. Depuis 1713, date de sa fixation par décret, l’école française a su garder ses bases, devenues références pour le monde, tout en assimilant d’autres influences. Cinq spectacles lui rendent hommage, dansés par les élèves de l’école et quelques éléments de la troupe, en plusieurs ballets qui reflètent ses étapes stylistiques. Mais il en est un particulier, dont l’idée vient de Brigitte Lefèvre, et qu’Elisabeth Platel, directrice de l’Ecole, a reprise avec enthousiasme: unir deux univers contrastés, celui de Béatrice Massin, subtile analyste du baroque, et de Nicolas Paul, inventif jeune chorégraphe issu de l’Opéra. La création de ce D’ores et déjà est attendue avec impatience, tant la complicité entre les deux artistes est forte. Partition à quatre mains.

Comment a commencé cette prise de contact inusitée ?

Béatrice Massin : Nous ne nous connaissions pas. En guise d’introduction, j’ai donc suggéré à Nicolas une promenade au Louvre, pour faire émerger nos goûts communs face à de grandes œuvres picturales. Ce fut passionnant. Pour ma part, j’ai un très fort faible pour Tiepolo, mais beaucoup d’autres univers nous ont inspirés. Très vite le profil de notre travail s’est dessiné : il porte sur la rencontre, la nôtre, celle de deux mondes, celle des écritures, avec la sensation que nous étions sur la même longueur d’ondes.

Nicolas Paul : Nous avons vraiment écrit la pièce à deux, non pas en alternant les séquences, comme cela arrive, mais en nous passant le stylo constamment. Et en abandonnant les idées auxquelles l’autre n’adhérait pas. Une scénographie s’est rapidement imposée.

Comment s’organise votre ballet ?

B. M. : J’ai voulu travailler sur une danse masculine, dont j’avais envie depuis longtemps et nous avons donc retenu 16 à 17 danseurs, car une géométrie variable était intéressante. En plus je ne voulais pas du baroque homme–femme pour éviter la symétrie des mouvements. Ensuite l’idée d’un cadre comme espace dansé s’est imposée, et Nicolas l’a attrapée au vol.

N. P. : Après beaucoup d’hésitations, nous avons choisi le modèle, doré, et l’avons placé au centre de la scène. Il s’inscrit dans l’espace et le temps comme le cadre de l’histoire. Il n’y a pas de jeux de miroir. La danse se déroule dedans et à travers. Nous sommes tous deux en quête d’une intimité du danseur, alors que le baroque est fait pour être vu. Nous essayons de sortir de l’éternel et faux conflit être et paraître.

Les élèves de l’opéra ne sont pas des habitués de la technique et du style baroques, comment s’est faite leur adaptation ?

B. M. : En fait, ils ont une initiation depuis quelque temps, grâce à Elisabeth Platel qui en a perçu la nécessité, et je leur ai fait quelques master-classes. Très vite ils se sont passionnés pour le propos. Notamment parce que nous ne sommes pas adressés à eux comme à des enfants mais comme aux danseurs d’une compagnie, et les avons considérés comme des personnalités à part entière. C’est devenu « leur pièce ». Ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas jouer l’un contre l’autre, qu’il n’y avait aucune compétition entre eux. Une fois franchi ce cap, nous-mêmes avons été surpris par la qualité de leurs échanges. Dans le ballet, il n’y a aucun contact entre les danseurs, tout se passe au travers de l’espace qui les sépare, par le regard et la prise de conscience du corps. Cela me rappelle mon expérience avec Alwin Nikolais.

N. P. : Nous nous adressons à des jeunes gens qui ont une formation classique, il ne faut pas l’oublier. Ils connaissent à peine le baroque et le contemporain pratiquement pas. Alors que ce dernier est niché dans la verticalité, l’extrême mobilité du baroque se cristallise dans la spirale. Dès lors, ils découvrent à quel point il s’agit d’une danse d’espace et de mobilité, mais non pas d’une danse de l’extérieur. Je pense qu’on peut définir l’esthétique classique par la notion de beauté et celle de baroque par l’élégance. M’immiscer dans cette perspective historique m’a bouleversé, comme si je retrouvais l’histoire de la danse au sein de mes mouvements. C’est un vrai retour aux origines et les enfants ont beaucoup de chance d’y avoir accès.

Sur le plan de la technique, quelles sont les règles que vous avez suivies ?

B. M. A l’époque baroque, les danseurs étaient handicapés par d’énormes costumes, ce qui créait un rapport au sol particulier. Nos jeunes gens doivent quitter le sol. Et il a fallu mettre au point une méthodologie de travail. Ainsi je leur ai fait faire des pirouettes en chantant ! Mais pas de talons, élément de péril impliquant un travail de dos très différent, juste des chaussures souples. Nous ne voulions pas les transformer en personnages déguisés. Leur costume pourrait être un costume d’aujourd’hui : dans un choix de camaïeu commençant par des teintes douces, puis vives, puis sombres. Ce jeu autour de la couleur était important par rapport aux dorures du cadre pour ne pas donner dans un style Marie-Antoinette.

Sur quelle base musicale est construite votre pièce ?

N. P. : Le Rameau des Indes Galantes. Elisabeth Platel nous l’a suggéré. Nous aurions peut-être choisi autre chose, Purcell par exemple, mais Rameau est irrésistible, beaucoup plus jubilatoire. Nous avons donc opéré un choix assez large que nous avons ordonné à notre façon, sachant qu’il était impossible d’éviter le tube que représente le tableau des Sauvages. En revanche, nous avons laissé de côté l’ouverture et commencé par l’Adoration au soleil.

B. M. : Comme par moments la présence de Rameau se faisait un peu écrasante, nous avons choisi de commencer par le silence, pour redonner sa pleine place à la danse. L’envie que 300 ans se déploient, que le temps s’arrête pour les spectateurs et que la magie opère. Et le ballet se finit aussi dans le silence, par l’effacement. Le cadre se vide…

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 1er mars 2013

Palais Garnier, les 15, 17 et 18 avril 2013 / La soirée du 15 avril fera l’objet d’une captation audiovisuelle, diffusée le 28 avril à 20h45 sur Arte et sur les site www.arteliveweb.com et www.operadeparis.fr

Gala des Ecoles de Danse du XXIe siècle, Palais Garnier, le 20 avril 2013.

Opéra Royal de Versailles, le 25 avril 2013.

Exposition L’Ecole de Danse, Naissance et avènement, Palais Garnier, de juin à août 2013.

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Photo : Patrick Lafratte
 

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