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« Trauernacht » au théâtre des Célestins / Festival « Secrets de famille » de l’Opéra de Lyon – Le funèbre et la grâce – Compte-rendu

 

 
Dans le cadre du festival thématique intitulé Secrets de famille, l’Opéra de Lyon a convié la metteuse en scène Katie Mitchell à représenter Jean-Sébastien Bach, lequel figure à l’affiche aux côtés de Rigoletto et de l’époustouflant Irrelhoe de Schreker. Mais le spectacle ne convoquera pas la tribu Bach et ne traitera pas de la prolifique descendance du Cantor. Car cette Trauernacht parle de nous, du deuil et de toutes ces douleurs que nous avons irrémédiablement en partage. Depuis son Miranda consacré à Purcell (2019), Katie Mitchell nous a habitué à de telles inclusions du répertoire baroque dans le tragique du quotidien.
 
Sur la scène intimiste du théâtre des Célestins, voici donc cinq personnages en quête de consolation. Un père, ses deux filles et ses beaux-fils ; soit cinq chanteurs qui vont officier un lent requiem domestique autour d’une table et de cinq chaises. Le Bach des passions et des cantates, celui des enfants morts et des proches trop tôt disparus, en sera le célébrant. Le père, resté dans l’ombre (de la mort), sifflote, de loin, des notes de choral luthérien.  Pourquoi avoir choisi sa disparition plutôt que celle de la mère, se demande-t-on un instant ? Parce qu’il est aujourd’hui de bon ton de vouloir en finir avec le patriarcat ? Parce que Bach, le père de toute musique, est celui qui a le mieux su faire du deuil un apaisement ? Ces questions, comme le lent cérémonial, resteront dans la pénombre.
 
Filles et maris apprêtent le repas funèbre. On extraie des meubles fonctionnels les affaires du défunt rendu par l’hôpital. C’est une veste trop large dont se revêt la fille la plus affectée (Elisabeth Boudreault, soprano poignante). Ce sont ses chaussures trop grandes, c’est une chemise, une montre, des lunettes dans leur étui ; c’est encore un portefeuille compulsivement chéri par le moelleux mezzo de Fiona MacGown. Tout ce qui reste du disparu passe ainsi de main en main.
 

Simon-Pierre Bestion  © Hubert-Caldagues-Photoheart

En fond de scène un ensemble, constitué des jeunes musiciens du département de musique ancienne du CNSM de Lyon, officie. Vue de dos, la souple battue de Simon-Pierre Bestion semble le vol d’un noble corvidé. Le rituel a débuté par un motet dans la lignée de Johann Ludwig Bach, il se poursuit avec le premier mouvement du Concerto BWV 1052a, avec l’orgue en place du clavecin. Suivront des extraits de passions et de cantates moins connues que l’Actus Tragicus dont il est ici fait l’économie. L’instrumentarium, bien que minimal, sonne suave, intense et habité.
 
Les pages sont interprétées en duo, en quatuor, ou bien en solo. On pleure l’absent, on l’évoque, on cherche à le ressentir encore un peu. Soudain une lettre surgit. Testament ? dernière volonté ? mise au point ? Elle déclenche, au cœur du cérémonial, la colère et le refus d’Andrew Henley, rageux ténor. Tous ces impedimenta du deuil finiront dans un sac-poubelle où Romain Bockler, baryton excédé, les aura enfournées en entonnant le soudainement ironique Ich habe genug. Il s’en suivra une ultime commémoration durant laquelle chacun regagne sa place tandis qu’un consort de violes exsude un bouleversant contrepoint.
Dehors, sur le parvis des Célestins, un printemps de magnolias s’apprête pour Pâques. Après quatre-vingt-quinze minutes de grâce la formule consacrée Repose en paix vient de retrouver tout sa densité.
 
Vincent Borel  

Trauernacht (Mus. J.-S. Bach) - Théâtre des Célestins, 19 mars ; prochaines représentations les 22, 23, 25, 26, 27 mars 2022. www.opera-lyon.com/fr/saison-2122/opera/nuit-funebre-trauernacht

Photo © Blandine Soulage
 

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