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Toulouse - Compte-rendu : Voir Œdipe


Bruxelles, Saarbrücken, Varsovie, Lucerne, Weimar, Vienne et Berlin ont monté Oedipe, conscientes d’un chef d’œuvre qu’il fallait réintégrer au répertoire, mais la France attendait de le revoir depuis la tournée de l’Opéra de Bucarest qui sacrifiait bien entendu à la langue roumaine. Œdipe, dans le français admirable du livret d’Edmon Flegs, n’avait en fait plus paru depuis sa création à Garnier en 1936.

Nicolas Joel, qui déclare que monter Oedipe est l’œuvre de sa vie, le donne à voir dans son antiquité, soucieux de servir avant tout le texte de Flegs et la musique d’Enesco, et au fond c’est bien pour une œuvre dont le sujet peut attirer tous les dévoiements. On aurait aimé pourtant une direction d’acteur plus percutante, tant la musique indique la puissance du drame ; Œdipe ainsi montré, assez statique et sans vrai geste théâtral – la peste à Thèbes est bien tranquille malgré l’excellence des chœurs – paraît plus oratorio qu’opéra, jusque dans la scène de la Sphinge, numéro qu’une pointe de surnaturel aurait suffit à rendre inoubliable.

Mais voir Œdipe enfin sur scène s’accommode mal de la moindre réserve, d’autant qu’il nous est ici servi avec des luxes certains.

Distribution au delà de toute éloge, de l’Œdipe simple, sans métaphysique et broyé à mesure d’un Franck Ferrari qui ne psalmodie jamais son rôle, mais l’incarne jusque dans la fureur, à la pléthore des barytons et des basses si délicats à distribuer et à caractériser : le Veilleur de nuit de Jérôme Varnier en deux mots rappelle la grande tradition des basses nobles françaises, Arutjun Kotchinian dresse un portrait saisissant de Tiresias, Enzo Capuano est impeccable en grand prêtre, Vincent Le Texier négocie avec subtilité les ambiguïtés et les atermoiements de Créon, Harry Peters incarnait avec tendresse les suppliques de Phorbas pour le retour d’Œdipe à Thèbes, et Andrew Schroeder rendait à Thésée sa noblesse et son élégance. Berger subtilement inquiet de Gonzalez Toro, Laïos terrorisé de Léonard Pezzino, les ténors eux aussi étaient idéalement distribué.

Et que dire des femmes, sinon que la encore on atteignait à la perfection, Maria José Montiel émouvante Mérope dessine en deux gestes un personnage étreignant, Sylvie Brunet ressuscite la grande école du chant et de la diction française pour une Jocaste incendiée, pantelante, simplement clouante – on l’aurait bien entendue également en Sphinge, malgré le numéro très au point de Marie-Nicole Lemieux, chantant avec grand art contre sa vraie nature. Amel Brahim-Djelloul donnait aux quelques mots d’Antigone toute la compassion filiale et trouvait le ton juste dans la délicate scène du rapt interrompue par l’arrivée de Thésée.

On a beau dire, le personnage principal d’Œdipe n’est pas Œdipe, c’est l’Orchestre, véritable deus ex machina qu’Enesco pousse dans ses derniers retranchements, lieu de toutes les complexités, paradis des ambiguïtés tonales. Pinchas Steinberg lui donne toute son ampleur, sans jamais couvrir le plateau ou saturer l’acoustique ; il sait que l’orchestre est le véritable détenteur du drame pensé par Enesco, et c’est la première fois que cette prééminence apparaît dans toute sa puissance. Œdipe s’en est trouvé enfin totalement révélé.

Jean-Charles Hoffelé

George Enesco, Oedipe, Théâtre du Capitole, Toulouse, le 10 octobre, puis les 12, 14, 17 et 19 octobre 2008

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Photo : Patrice Nin

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