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Toulouse - Compte-rendu : un Couronnement de Poppée bien vu

Nicola Jöel se risque à aborder le chef d’oeuvre de Monteverdi. Un Couronnement transposé à l’ère musolinienne? Pourquoi pas, on sait que le livret de Busenello est éternel et endosse sans dommage toutes les époques mais pour le coup on trouve Nicolas Joël un rien timoré. Il aurait pu saisir la perche tendue par l’actualité et transformer son Néron en Berlusconi, ou pousser plus avant le parallèle historique en allant jusqu’à lui donner les traits d’Hitler.

En dehors de cette transposition temporelle, la mise en scène respecte scrupuleusement l’œuvre, et sa direction d’acteur est d’une justesse qui fait mouche. On aimera, ou pas, le décor unique et tournant, salle ronde d’un palais de marbre avec ses colosses démarqués de l’antique et bodybuildés comme les voulait le Duce, et les costumes bien vus pour les femmes, trop galonnés pour les hommes (Ah ces soldats avec toutes leurs breloques, ça vous a un petit coté opérette), mais la distribution est assez inattaquable, sauf pour un rôle, précisément celui autour duquel Nicolas Joël a bâti son projet : l’octavie de Catherine Malfitano.

La tentation de transformer l’impératrice répudiée en un numéro de composition est tentant, on devrait pourtant toujours s’en défendre. Outre que Malfitano hurle littéralement quelques unes des plus touchantes musiques coulées de la plume de Monteverdi, on ne peut croire un instant à cette Octavie furiosa qui fait plutôt penser à Clytemnestre. Autour d’elle quasiment une perfection : Koch tente la tessiture élevée de Néron avec bonheur, et son empereur est presque trop noble –on aurait aimé entendre les Adieux d’Octavie par cette voix là, justement – Gillet idéalement sensuelle et mutine offre une Poppée jeune fille qui flirte avec la courtisane sans en souligner le maquillage. Le couple est irrésistible, mais son italien, surtout confronté à celui idiomatique de bien des comprimari, sonne un rien exotique.

Deux révélations qui prouvent que le maître des lieux peaufine ses distributions avec un art consommé, le Sénèque serein et simple de Giorgio Guiseppini, basse chantante aux graves jamais poitrinés, un model de style, et la Drusilla lumineuse, percutante de Sabina Puertolas qui donne à son personnage trop souvent sacrifié à des sopranos anonymes un relief dont son Ottone, l’excellent Max Emanuel Cencic, hélas pas dans son meilleur jour, était quelque peu privé (mais de là à mériter les sifflets d’un public décidément peu amène, non vraiment). La vis comica connaissait des fluctuations malheureuses : pour une Nourrice finement vue et très peu surjouée par Anders Dahlin, il faut pardonner à Gilles Ragon son Arnalta grossièrement chantées, constamment aboyée au point que son instrument s’épuise, et que la berceuse, détimbrée et chantée aux abîmes d’une voix éraillée fut un moment pénible. Mention spéciale au Lucain d’Emiliano Gonzales Toro : ce ténor cuivré, au timbre pugnace devrait sortir des emplois de caractère qui lui vont pourtant si bien. Dans son duo avec Néron il ravissait la palme à Sophie Koch .

En fosse, l’orchestre minimaliste réuni par Rousset faisait finement, toujours musical mais en deçà des possibilités expressives du plateau, restitué à l’idéal dans l’acoustique du Capitole, décidément parfaite pour ce répertoire, au point qu’on aimerait y entendre une saison parallèle consacrée à l’opéra baroque, ce qui serait d’ailleurs probablement possible. Mais l’on aurait aimé plus de contraste, plus d’implication dramatique, plus d’exaltation de la part de Rousset bridé justement par la modestie de son ensemble.

Jean-Charles Hoffelé

Première du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, Toulouse, Théâtre du Capitole, le 7 avril 2006.

Le Couronnement de Poppée en dvd

Photo : DR

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