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Tannhaüser selon Michael Thalheimer au Grand-Théâtre de Genève – Romance cinq étoiles – Compte-rendu

Pour son début de saison, le Grand Théâtre de Genève affiche une distribution de tout premier ordre pour Tannhäuser. Stéphane Degout, en Wolfram, le plus connu, est aussitôt identifiable avec l’aplomb d’un timbre racé et cette diction impeccable qui font sa signature. Il livrera une Romance à l’Étoile, portée sur le fil de la voix, tel un lied romantique.

© Carole Parodi - GTG
Les autres interprètes sont, a priori, moins médiatisés. En Elisabeth, l’Irlandaise Jennifer Davis s’impose dès son air d’entrée, lancé avec assurance : timbre vaillant et lumineux, pétri d’humanité. La bienveillance et l’intensité sont chez elle constantes, et elle livrera une prière finale bouleversante. À l’opposé, la Vénus de Victoria Karkacheva impose d’emblée sa séduction tant physique que vocale : timbre ensorceleur, voluptueux et autoritaire, propre à séduire le poète pusillanime qu’elle tient sous son joug.
Le roi, Franz-Josef Selig, fait figure de vétéran wagnérien, et son timbre reste tout aussi granitique, malgré quelques fêlures dans le matériau. Également remarquable, l’équipe des troubadours — Julien Henric, Mark Kurmanbayev, Jason Bridges, Raphaël Hardmeyer — conclut le premier acte par un septuor irréprochable de tenue et d’équilibre. Charlotte Bozzi, en pâtre juvénile, sera également très applaudie.
En fosse, Sir Mark Elder apporte équilibre et fluidité. On avait pourtant des doutes en écoutant l’ouverture et la bacchanale, un peu plates, sans grande énergie ni relief. Il est vrai que la mise en scène campe d’emblée Tannhäuser figé dans un statisme étrange, trop omniprésent. Derrière lui, le Venusberg est une sorte de trou noir qui ne cesse de tourner, peut-être métaphore de l’épuisement des désirs sans fin. Il manque à toute cette première partie le ballet, ici nécessaire, car il aurait habité un vide scénique dont la ténébreuse longueur suscite l’assoupissement.

© Carole Parodi - GTG
Fascination pour le sang
Il est vrai que cette production est née dans la difficulté. Tatjana Gürbaca, qui devait l’assurer, a déclaré forfait pour des raisons de santé, deux mois avant la première. C’est l’Allemand Michael Thalheimer, metteur en scène ici-même de Parsifal (2023) et Tristan und Isolde (2024), qui en a assuré le rattrapage. On a donc droit à un spectacle un peu bifide où les intentions de la première sont habitées par le travail du second. L’un comme l’autre partagent cependant la même fascination pour le sang : source de vie mais également de blessures et de mort — un sang que le poète doit répandre pour parvenir à la beauté, condition douloureuse de la création, mais également son risque.
Cet élément vital était déjà omniprésent dans le Parsifal de Tatjana Gürbaca, à Anvers, en 2013. Il était également présent dans le Parsifal de Thalheimer ici-même. Il barbouille les visages, il tache la chemise du héros qu’Elisabeth et Wolfram endossent et se transmettent comme une sainte dépouille. Mais de spiritualité, ici, il ne sera pas question. C’est un drame de chairs, d’absences et de contraintes qui se joue — et que Thalheimer excelle à rendre dans un subtil jeu d’acteurs. Les échanges physiques entre Tannhäuser et Wolfram au troisième acte, la très juste mise en place finale du deuxième acte restent dans la mémoire. L’excellence du chœur du Grand Théâtre de Genève y est pour quelque chose, tout comme la subtilité et la beauté des pupitres de l’Orchestre de la Suisse romande, notamment des bois.

© Carole Parodi © GTG
Emotion et humanité
Reste le rôle-titre, que se partagent le Suédois Daniel Johansson et Samuel Sakker. On garde un souvenir ému de ce dernier en Tristan à Nancy dans la mise en scène de Tiago Rodrigues (2023). Nous avons choisi d’assister à la prestation du ténor australien. Si la tessiture élevée du rôle durant son duo avec Vénus n’est pas sans poser quelques problèmes dans certains passages, le chant n’en reste pas moins d’une grande émotion et d’une splendide humanité dans le récit de Rome, aussi déchiré et habité que le fut son monologue de Tristan. Malgré la menace d’un vibrato qui pourrait bien entailler un timbre aux belles couleurs, l’incarnation vibrante, et raffinée, a su combler nos attentes.
Vincent Borel

Wagner : Tannhaüser - Genève, Grand Théâtre, 23 septembre ; prochaines représentations 26, 28 septembre, 1er et 4 octobre 2025 // www.gtg.ch/saison-25-26/tannhauser/
Photo © Carole Parodi - GTG
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