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Splendide solitude - Lucien Durosoir (re)découvert
Singulier destin… Né en 1878 à Boulogne-sur-Seine, Lucien Durosoir mena une très belle carrière de violoniste virtuose avant la première guerre mondiale. Il eut ainsi l’occasion de se produire à Berlin aux côtés de la Philharmonie ou encore de créer outre-Rhin des ouvrages de musique de chambre de Fauré. Avocat fervent du Concerto pour violon de Brahms, c’est lui qui en donna la création française à Paris. Vint la grande boucherie ; effroyable expérience dont les lettres de l’artiste(1) donnent la mesure… Seules la lecture des poètes, l’amitié et la musique lui apportèrent un brin de réconfort –« mon violon m’a sauvé la vie », dira-t-il... Général doublé d’un grand mélomane, Charles Mangin favorisa en effet le rapprochement entre Durosoir et deux autres fantassins nommés André Caplet et Maurice Maréchal (dont « Le Poilu », violoncelle de fortune fabriqué avec le bois de caisses de munitions, est aujourd’hui exposé au Musée de la Cité de la musique).
Durant les rudes années passées sur le front l’envie de composer se fit jour chez Lucien Durosoir. Cette activité allait bientôt occuper toute son existence. Brisé par l’expérience de la guerre, le violoniste décida ne pas reprendre le chemin des salles de concerts et de se dédier entièrement à la création. Ce qu’il fit jusqu'à sa mort en 1955 à Bénus, petite cité des Landes où il avait élu domicile, vivant très modestement avec les siens sur ce que lui avait rapporté la vente de ses instruments et d’une très belle collection d’archets.
En 1922, Caplet manifesta son enthousiasme à propos d’un quatuor de son ami qu’il disait trouver « mille et mille fois plus intéressant que tous les produits dont nous accablent le groupe tapageur des nouveaux venus ». Groupes, cliques et autres coteries agaçaient Durosoir autant que les modes et les mesquineries du monde musical parisien. Il en tira toutes les conséquences et, dans une totale et splendide solitude, passa la reste de sa vie à composer des ouvrages qui ont dormi jusqu’il y a peu dans des cartons.
Fils du musicien, Luc Durosoir a pris assez récemment l’initiative de soumettre quelques quatuors de son père au jugement de Nicolas Bacri. L’enthousiasme de ce dernier aura été l’un des déclencheurs de la découverte de la musique de Durosoir. Jean-Paul Combet et le label Alpha ont suivi en créant une collection Durosoir. Après deux très beaux disques, l’un du Quatuor Diotima, l’autre de Geneviève Laurenceau et Lorène de Ratuld, un troisième volume(2) signé de l’excellent Ensemble Calliopée que dirige Karine Lethiec vient de sortir sous le titre « Jouvence » (magnifique ouvrage pour violon principal et octuor que composa Durosoir en 1921).
La parution de cet enregistrement était le prétexte pour les membres de Calliopée d’une soirée d’hommage à Lucien Durosoir avec la participation de son fils Luc qui, sans s’étendre à l’excès comme c’est parfois le cas dans ce type d’événement, a apporté un témoigne aussi instructif qu’émouvant. Aux côtés de pièces de Debussy, Ravel et Pécou, les interprètes avaient retenu deux réalisations majeures de l’artiste. Sur le Quintette avec piano en fa majeur (1925) plane certes l’ombre de celui de Franck, mais il n’en possède pas moins un langage singulier et profondément original. L’harmonie mouvante et ambiguë de l’ouvrage étonne et captive autant qu’un puissant lyrisme entretenu par Frédéric Lagarde au piano et des archets convaincus de leur mission. Tout comme celui de Saskia Lethiec qui défend Jouvence (1921) avec une poésie brûlante et émerveillée, en parfaite osmose avec ses huit partenaires.
Après avoir œuvré pour la cause de Martinu en enregistrant son – prétendument perdu - Trio n°1 H. 136 au sein d’un magnifique double album/DVD paru l’an dernier(3), les Calliopée apportent une contribution de taille à la diffusion de l’art de Lucien Durosoir. De la musique « que c’est vraiment la peine », pourrait-on dire en paraphrasant le bon Chabrier !
Alain Cochard
Soirée d’hommage à Lucien Durosoir, Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 7 juin 2010.
(1)Maréchal, Durosoir : Deux Musiciens dans la Grande Guerre ( Tallandier)
(2)1 CD Alpha 164
(3)Alpha 143
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Photo : DR
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